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Biographies des papes - Catholic Encyclopedia 1913

Eugène III

(BERNARD PIGNATELLI)

Né dans la région de Pise, élu le 15 février 1145, décédé à Tivoli le 8 juillet 1151. Le jour même où Lucien II succomba, de maladie ou de blessures, le Sacré Collège, prévoyant que la population romaine allait tenter une action résolue pour forcer le nouveau pontife à abdiquer son pouvoir temporel et jurer allégeance au Senatus Populusque Romanus, se hâta d'enterrer le pape défunt au Latran et de se retirer dans le cloître lointain de St-César, sur la Voie Appienne. Là, pour quelque raison obscure, ils cherchèrent un candidat étranger à leur corps, et choisirent à l'unanimité Bernard de Pise, abbé du monastère de Trois-Fontaines, sur le site du martyr de Saint Paul. Il fut aussitôt intronisé à Saint-Jean-de-Latran sous le nom d'Eugène III et, puisque résider dans la cité rebelle était impossible, le pape et ses cardinaux s'enfuirent à la campagne. Leur lieu de rendez-vous fut le monastère de Farfa, où Eugène reçut la consécration épiscopale. La cité de Viterbe, refuge hospitalier de tant de papes affligés du Moyen-Age, ouvrit ses portes pour l'accueillir, et là il attendit que les événements prissent une tournure favorable. Quoiqu'impuissant devant la foule romaine, il se vit assurer par des ambassades dans toutes les puissances européennes qu'il jouissait de la sympathie et de l'hommage affectueux de toute la Chrétienté.

Concernant la parenté, le lieu de naissance et même le nom originel d'Eugène, chacun de ses biographes a produit ses propres opinions. Tout ce que l'on peut affirmer, c'est qu'il appartenait à la noble famille des Pignatelli, et on ne sait avec certitude si Bernard fut le prénom de son baptême ou celui de son entrée dans les ordres. Il fut élevé à Pise, et après son ordination fut fait chanoine de la cathédrale. Plus tard, il tint la charge de vice dominus ou intendant des temporalités du diocèse. En 1130, il se plaça sous l'influence fascinante de Bernard de Clairvaux. Cinq ans plus tard, quand le saint rentra chez lui après le synode de Pise, le vice dominus l'accompagna comme novice. Au cours du temps il fut employé par son ordre dans plusieurs affaires importantes; et enfin il fut envoyé avec une colonie de moines pour repeupler l'ancienne abbaye de Farfa; mais Innocent II préféra les installer à Trois-Fontaines.

Saint Bernard reçut la nouvelle de l'élévation de son disciple avec étonnement et plaisir, et donna l'expression de ses sentiments dans une lettre paternelle adressée au nouveau pape, dans laquelle figure le fameux passage si souvent cité par les réformateurs, vrais et faux: « Qui m'accordera de voir, avant de mourir, l'Eglise de Dieu comme aux jours anciens où les apôtres abandonnèrent leurs filets pour une pêche, non d'or ou d'argent, mais d'âmes? ». Le saint, de plus, consacra ses maigres instants de loisirs à composer un admirable petit livre pour les papes, appelé De consideratione. Tandis qu'Eugène séjournait à Viterbe, Arnold de Brescia, qui avait été condamné à l'exil hors d'Italie par le concile de 1139, s'aventura à rentrer au début du nouveau pontificat et se jeta aux pieds du pape pour implorer sa clémence. Croyant à la sincérité de sa repentance, Eugène lui pardonna et lui infligea en pénitence un jeûne et la visite du tombeau des Apôtres. Si le vétéran entra dans Rome dans un esprit pénitentiel, la vue de la démocratie basée sur ses propres principes le poussa bien vite à retrouver son ancien état. Il se plaça à la tête du mouvement, et dans ses philippiques incendiaires contre les évêques, les cardinaux et même l'ascétique pontife qui le traita pourtant avec une extrême indulgence, poussa ses auditeurs à une telle furie que Rome ressemblait à une cité capturée par les barbares. Les palais des cardinaux et des nobles qui avaient suivi le pape furent rasés jusqu'à la la dernière pierre, les églises et les monastères pillés; l'eglise de Saint-Pierre fut transformée en arsenal; et les pieux pèlerins furent dévalisés et maltraités.

Mais l'orage était trop violent pour durer. Seul un idiot pouvait ne pas comprendre que la Rome médiévale, sans le pape, n'avait aucun moyen de subsistance. Un fort parti se forma à Rome et dans le voisinage, constitué des principales familles et de leurs adhérents, pour défendre les intérêts de l'ordre et de la papauté, et les démocrates furent poussés à écouter la voix de la modération. Un traité fut passé avec Eugène par lequel le sénat était préservé, mais comme sujet de la souveraineté papale, et avec un serment d'allégeance au pontife suprême. Les sénateurs devaient être choisi chaque année par l'élection populaire et le pouvoir était confié à un comité tiré de leur assemblée. Le pape et le sénat devaient tenir des cours séparées, et un appel pouvait être fait à l'une ou l'autre des deux cours. En vertu de ce traité, Eugène fit dans Rome une entrée solennelle, quelques jours avant Noël, et fut accueilli par la population dans un enthousiasme débordant. Mais le double système de gouvernement s'avéra impraticable. Les Romains exigèrent la destruction de Tivoli. Cette ville était restée fidèle à Eugène durant la rébellion des Romains et méritait sa protection. C'est pourquoi il refusa de permettre qu'elle fût détruite. Les Romains devenant de plus en plus turbulents, il se retira au château Saint-Ange, puis de là à Viterbe et finalement traversa les Alpes au début de 1146.

Des problèmes se posèrent alors au pape, d'une bien plus grande importance que le maintien de l'ordre à Rome. Les principautés chrétiennes de Palestine et de Syrie étaient menacées d'extinction. La chute d'Edesse (1144) avait provoqué la consternation dans tout l'Occident, et déjà, depuis Viterbe, Eugène avait lancé un appel pressant à la chevalerie d'Europe pour se hâter d'aller défendre les Lieux Saints. Saint Bernard fut désigné pour prêcher la seconde croisade, et il s'acquitta de cette tâche avec un tel succès qu'en deux ans, deux armées magnifiques, commandées par le roi des Romains et le roi de France, prirent le chemin de la Palestine. Le fait que cette seconde croisade fût un échec complet ne peut être imputé à Saint Bernard ni au pape; mais c'est un de ces phénomènes que l'on rencontre si souvent dans l'histoire de la papauté, qu'un pape choisi pour mater une poignée de rebelles dans Rome, pût battre le rappel de toute l'Europe contre les Sarrasins. Eugène passa en France trois années actives et fructueuses, tentant de propager la foi, la correction des erreurs et des abus, et le maintien de la discipline. Il envoya le cardinal Breakspear (plus tard Adrien IV) comme légat en Scandinavie; il entra en relation avec les orientaux en vue de préparer une réunification; il combattit avec vigueur les hérésies manichéennes naissantes. Dans plusieurs synodes (Paris en 1147, Trèves en 1148), et notamment au grand Synode de Reims (1148), des canons furent promulgués concernant l'habillement et la conduite du clergé. Pour s'assurer de la stricte exécution de ces règles, les évêques qui négligeraient de les appliquer se trouveraient menacés de suspension. Eugène fut implacable à punir les hommes indignes de leur charge. Il déposa les évêques métopolitains d'York et de Mayence et, pour une cause que Saint Bernard jugea pourtant plus légère que le châtiment qu'elle reçut, il retira le pallium à l'archevêque de Reims. Mais si le saint pontife savait par moment être sévère, ce n'était cependant pas sa disposition naturelle.

« Jamais », écrivit Pierre le Vénérable à Saint Bernard, « je n'ai trouvé ami plus véritable, frère plus sincère, père plus pur. Son oreille est toujours prête à écouter, sa langue est prompte et puissante pour conseiller. Il ne se comporte pas comme votre supérieur, mais plutôt comme votre égal ou votre subordonné... Je ne lui ai jamais adressé une demande qu'il ne m'ait accordée, ou alors refusée pour des motifs tels que je ne pouvais raisonnablement m'en plaindre ». A l'occasion d'une visite qu'il rendit à Clairvaux, ses anciens compagnons découvrirent avec joie que « lui qui brillait à l'extérieur dans la robe pontificale, avait gardé dans son coeur l'observance du moine ».

Le séjour prolongé du pape en France fut d'un grand avantage pour l'Eglise de France de bien des façons, et il accrut le prestige de la papauté. Eugène encouragea aussi le nouveau mouvement intellectuel auquel Pierre Lombard avait donné une grande impulsion. Avec l'aide du cardinal Pullus, son chancelier, qui avait établi l'université d'Oxford sur une base durable, il refonda les écoles de théologie et de philosophie sur une meilleure base. Il encouragea Gratien dans sa tâche herculéenne de répertorier les Décrets, et nous lui devons diverses règles utiles portant sur les degrés académiques. Au printemps 1148, le pape rentra en Italie par petites étapes. Le 7 juillet, il rencontra les évêques italiens à Crémone, promulga pour l'Italie les canons de Reims, et excommunia solennellement Arnold de Brescia, qui régnait encore sur la foule romaine. Eugène, ayant emporté avec lui une considérable aide financière, commença à rassembler ses vassaux et avança jusqu'à Viterbe puis de là jusqu'à Tusculum. Là, il reçut la visite du roi Louis de France, qu'il réconcilia avec sa reine, Aliénor. Avec l'aide de Roger de Sicile, il força son chemin jusqu'à Rome (1149), et célébra Noël au Latran. Son séjour ne dura pas longtemps. Durant les trois années suivantes, la cour romaine erra en exil à travers la Campanie tandis que les deux partis cherchaient l'assistance de Conrad d'Allemagne en lui offrant la couronne impériale. Décidé par les sérieuses exhortations de Saint Bernard, Conrad décida finalement de descendre en Italie et de mettre fin à l'anarchie qui régnait dans Rome. La mort le prit au milieu de ses préparatifs, le 15 février 1152, laissant la tâche à son neveu plus énergique, Frédéric Barberousse. Les envoyés d'Eugène ayant conclu avec Frédéric, à Constance au printemps 1153, un traité favorable aux intérêts de l'Eglise et à ceux de l'Empire, les Romains les plus modérés, voyant que les jours de la démocratie étaient comptés, se joignirent à la noblesse pour renverser les Arnoldistes, et le pontife put vivre en paix ses derniers jours.

Eugène a la réputation d'avoir gagné l'affection du peuple par son affabilité et sa générosité. Il mourut à Tivoli, où il était allé pour éviter les chaleurs de l'été, et fut enterré devant le grand autel à Saint-Pierre-de-Rome. Saint Bernard le suivit dans la tombe (le 20 août). « Le modeste mais intelligent élève de Saint Bernard » , dit Gregorovius, « continua toujours à porter le grossier habit de Clairvaux sous la pourpre; les vertus stoïques du monachisme l'accompagnèrent durant sa carrière orageuse, et l'investirent de cette puissance de résistance passive qui est toujours restée l'arme la plus efficace des papes. ». Saint Antoine dit d'Eugène III qu'il fut « l'un des plus grands papes, et l'un des plus éprouvés ». Pie IX, par un décret du 28 décembre 1872, approuva le culte que les Pisans rendent à leur compatriote depuis des temps immémoriaux, et ordonna qu'il fût honoré avec messe et office ritu duplici à l'anniversaire de sa mort.


Pour les anciennes biographies par BOSO, JEAN DE SALISBURY, BERNHARD GUIDONIS ET AMALRICUS, cf. AUGERII cf. MURATORI, SS. Rer. Ital., III, 439 sqq. Cf. Lib. Pont., ed DUCHESNE, II, 386; HEFELE, Conciliengesch., v, 494; ses lettres sont éditées in Patrologie Latine., CLXXX, 1009 sqq. (JAFFÉ, II, 20 sqq.). Voir aussi SAINATI, Vita de beato Eugenio III (Monza, 1874); Annal. Bolland. (1891), X, 455; et Histoire de la ville de Rome par VON REUMONT et GREGOROVIUS.

JAMES F. LOUGHLIN
Tiré de "Catholic Encyclopedia", copyright © 1913 by the Encyclopedia Press, Inc. Traduction française : Bertrand Blochet, Février 2004.