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Desiderio desideravi : quelle messe veut le pape François ?

Auteur(s) : Club des hommes en noir
Thème(s) : Révolution / Modernité / Démocratie / Antéchrist / Eschatologie
Nature : Emission
Origine : Quelle est l'image de la messe donnée par la lettre apostolique Desiderio desideravi ? Quelles en sont les conséquences ? Quelle messe veut le pape François ? Le Club des Hommes en noir composé des abbés de Tanouärn et Célier, ainsi que de Jeanne Smits et Jean-Pierre Maugendre, sous la direction de Philippe Maxence, décryptent la Lette apostolique du Pape dans ce deuxième épisode de la saison 2022-2023, le 23 septembre 2022.

Contexte

Quelle est l'image de la messe donnée par la lettre apostolique Desiderio desideravi ? Quelles en sont les conséquences ? Quelle messe veut le pape François ? Le Club des Hommes en noir composé des abbés de Tanouärn et Célier, ainsi que de Jeanne Smits et Jean-Pierre Maugendre, sous la direction de Philippe Maxence, décryptent la Lettre apostolique du Pape dans ce deuxième épisode de la saison 2022-2023.

Vidéo de la conférence sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=nBCwpnIDxR8

Transcription partielle par Recatho

(de 10'07" jusqu'à la fin)

Jeanne Smits : […] Et surtout, sans même parler de la façon dont est exclue la liturgie traditionnelle, il me semble qu'il y a une erreur de focalisation très nette qui est de dire que le prêtre préside l'assemblée et que celui qui célèbre de sacrement, c'est le corps mystique, c'est l'assemblée. Il me semble vraiment que c'est le point central et que cela va largement à l'encontre de ce que j'ai appris, il me semble, en tout cas sous le contrôle de messieurs les abbés, j'ai été choqué par cet élément, on est dans une sorte de glorification de l'assemblée assistant à la messe, qu'il faut adapter au temps, aux horaires, aux goûts, au style du peuple pour la rendre plus accessible. Mais, à part ça, je ne vois pas bien ce que ce document contient.

Philippe Maxence : Donc, c'est la logique de la réforme liturgique qui continue ?

Abbé de Tanouärn : Alors, ce document contient tout simplement une nouvelle théologie de la messe me semble-t-il, autour du n°15, que vous citiez, dans lequel on explique que c'est le Corps mystique du Christ qui est le sujet de l'acte liturgique.

Alors, si c'est le Corps mystique et si on ne distingue pas le Corps mystique, l'Eglise, de la Tête de ce Corps mystique, on renonce à faire de la messe un acte du Christ.

Si la messe n'est pas un acte du Christ, elle ne peut pas être une transsubstantiation, parce que si le sujet de la messe est purement humain, si c'est l'assemblée, si c'est l'Eglise, l'Eglise ne peut pas avec toute la bonne volonté du monde réaliser ce miracle divin qu'est la transsubstantiation. L'Eglise ne peut pas réaliser ce miracle divin qu'est la réactualisation du Sacrifice du Christ. Et par conséquence, si, comme le dit le pape François, le sujet exclusif est l'Eglise, alors ce n'est plus la messe.

L’Eglise : sacrement du Corps du Christ

15. Sans cette incorporation, il n’y a aucune possibilité de vivre la plénitude du culte rendu à Dieu. En effet, il n’y a qu’un seul acte de culte parfait et agréable au Père, à savoir l’obéissance du Fils dont la mesure est sa mort sur la croix. La seule façon de participer à son offrande est de devenir des « fils dans le Fils ». C’est le don que nous avons reçu. Le sujet qui agit dans la Liturgie est toujours et uniquement le Christ-Eglise, le Corps mystique du Christ.

Philippe Maxence : C'est votre sentiment aussi M. l'abbé Célier ?

Abbé Célier : Ce qui est sûr, c'est que la messe est toujours définie comme le sacrifice du Christ et en deuxième portée le sacrifice de l'Eglise qui participe et qui s'y joint, mais c'est d'abord et avant le sacrifice du Christ.

On revient à tout l'esprit de l'Institutio Generalis Missalis Romani, la présentation générale du missel romain de 1969, qui effectivement disait clairement que c'était l'assemblée qui faisait la messe, qui réalisait la synaxe sacrée.

Abbé de Tanouärn : Alors, il y a eu un changement de l'Institutio Generalis Missalis Romani en 1970, rarissime, où le mot sacrifice était employé, où on avait fait une concession à la perspective traditionnelle sur la messe mais je crois vraiment que ce document est d'une importance capitale et que la réunion [colloque du 24 septembre 2022 sur l'avenir de la messe] qu'organise Jean-Pierre est très importante parce que c'est relativement nouveau que l'on nous ressorte ce vieux dogme de 1969 sur la messe synaxe ou assemblée.

JP Maugendre : Alors, justement, sur cet aspect de dogme, je crois aussi qu'il faut insister, le Saint-Père le dit à trois reprises dans les paragraphes 1, 34 et 61 qu'il partage des réflexions, que ce n'est pas un document dogmatique et qu'il n'a donc pas d'autorité. Deuxièmement, c'est ce qui va servir à certains à défendre le texte, il dit qu'il ne traite pas le sujet de manière exhaustive, c'est à dire qu'il fait un certain nombre de considérations que vous venez d'évoquer mais, ce qui m'a surtout surpris, c'est ce dont il ne parle pas. On a parlé du sacrifice. Le mot sacrifice est employé deux fois : une fois tout au début où il parle du sacrifice pascal et une fois tout à la fin où il parle des sacrifices que les fidèles font dans leur vie quotidienne etc. A aucun moment, il n'est parlé in expressis verbis du sacrifice du Christ, de la définition qui était celle de la messe selon le concile de Trente, du renouvellement non sanglant du sacrifice du calvaire. C'est quelque chose qui est étranger à ce texte avec en plus une hypertrophie du mot symbole. Tout devient un symbole et il y a tout un passage sur la puissance symbolique. On est sur un changement complet de paradigme. Tout est symbole, il n'y a plus de réalité. Le mot transsubstantiation n'est pas employé.

Abbé Célier : C'est un symbole efficace. Le sacrement est un symbole mais c'est un symbole efficace et non pas seulement significatif.

Abbé de Tanouärn : Et cette efficacité du symbole vient du fait que le sacrement est l'acte du Christ.  Bien entendu que l'Eglise répond au Christ comme l'offertoire répond à la consécration, comme le sacrifice de l'homme à l'offertoire répond au sacrifice divin de la consécration, mais s'il n'y a pas ce sacrifice divin, s'il n'est pas exprimé, il y a un changement de nature de la messe ce qu'avait vu les chrétiens en 1969 et ce qui semble ne faire ni chaud ni froid à personne. On est en train de nous refiler en contrebande une nouvelle théologie de la messe qui ne correspond pas à ce qu'est la messe.

Philippe Maxence : Parce que cette théologie de la messe qui a été officiellement instituée en 1969-70 s'est répandue et est globalement partagée par un grand nombre de catholiques.

Abbé de Tanouärn : Oui, mais, si 70 abroge 69, on peut dire que quand même il y a eu une réaction des fidèles et des prêtres et des évêques, j'imagine, qui a permis un retour en arrière du magistère de Paul VI. Aujourd'hui, qu'est-ce qui peut permettre ce retour en arrière ?

Abbé Célier : Non, 70 n'abroge pas 69. Mgr Bugnini, l'organisateur de la réforme liturgique sous la direction de Paul VI a dit explicitement que ce nouveau texte de 70, révisé de de l'Institutio Generalis de 69, ne changeait rien sur le fond, que c'était juste des remarques de forme.

Abbé de Tanouärn : Mais il le dit sans aucune autorité autre que celle d'être le responsable de Consilium.

Abbé Célier : Ce qui n'est pas rien si vous voulez, c'est lui qui a écrit la première version, et c'est lui qui a écrit la deuxième version et il dit qu'il n'y a pas de différences entre les deux.

JP Maugendre : Sur ces différences, justement, je me permets d'attirer l'attention sur trois phrases qui m'ont marqué.

Au paragraphe 36, c'est l'Eglise qui est le sujet célébrant et pas seulement le prêtre, donc là on est vraiment sur un changement de paradigme.

36. Je pense au rythme régulier de nos assemblées qui se réunissent pour célébrer l’Eucharistie le jour du Seigneur, dimanche après dimanche, Pâques après Pâques, à des moments particuliers de la vie des personnes et des communautés, à tous les âges de la vie. Les ministres ordonnés accomplissent une action pastorale de première importance lorsqu’ils prennent par la main les fidèles baptisés, afin de les conduire dans l’expérience répétée de la Pâque. Rappelons-nous toujours que c’est l’Eglise, le Corps du Christ, qui est le sujet célébrant et non pas seulement le prêtre. La connaissance qui découle de l’étude n’est que le premier pas pour pouvoir entrer dans le mystère célébré. Il est évident que pour pouvoir conduire leurs frères et sœurs, les ministres qui président l’assemblée doivent connaître le chemin en l’ayant étudié selon l’itinéraire donné pour leurs études théologiques mais aussi en ayant fréquenté la liturgie dans la pratique effective d’une expérience de foi vivante, nourrie par la prière – et certainement pas seulement comme une obligation à remplir. Le jour de son ordination, chaque prêtre entend l’évêque lui dire: « Réalise ce que tu vas faire, imite ce que tu vas célébrer, conforme ta vie au mystère de la croix du Christ Seigneur ».

Au paragraphe 37, quand même quelque chose d'hallucinant par rapport à la messe si elle était bien un culte : "une célébration qui n'évangélise pas n'est pas authentique". C'est tout à fait nouveau, on va dire ça gentiment. En effet, le but de la messe, ce sont les quatre finalités du Saint Sacrifice de la messe : l'adoration, l'action de grâce, l'aspect propitiatoire et impétratoire. La messe en tant que telle, c'est un culte. Son objectif n'est pas l'évangélisation, c'est de rendre un culte à Dieu. S'il y a une messe avec un prêtre et un servant de messe, il n'y a pas d'occasion d'évangélisation et c'est une messe qui produit tous ses effets.

37. Le plan d’études de la Liturgie dans les séminaires doit également tenir compte de l’extraordinaire capacité qu’a en elle-même la célébration actuelle d’offrir une vision organique et unifiée de tout le savoir théologique. Chaque discipline de la théologie, chacune selon sa propre perspective, doit montrer son lien intime avec la Liturgie, en vertu de laquelle se révèle et se réalise l’unité de la formation sacerdotale (cf. Sacrosanctum Concilium n.16). Une approche liturgico-sapientielle de la formation théologique dans les séminaires aurait certainement aussi des effets positifs dans l’action pastorale. Il n’y a pas d’aspect de la vie ecclésiale qui ne trouve son sommet et sa source dans la liturgie. Plus que le résultat de programmes élaborés, une pratique pastorale globale, organique et intégrée est la conséquence du fait de placer l’Eucharistie dominicale, fondement de la communion, au centre de la vie de la communauté. La compréhension théologique de la liturgie ne permet en aucun cas de comprendre ces paroles comme si tout était réduit à l’aspect cultuel. Une célébration qui n’évangélise pas n’est pas authentique, de même qu’une annonce qui ne conduit pas à une rencontre avec le Seigneur ressuscité dans la célébration n’est pas authentique. Enfin l’une et l’autre, sans le témoignage de la charité, ne sont qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante (cf. 1 Co 13,1).

Troisième élément, et là vous voyez toute l'ambiguïté, je crois que c'est caractéristique, paragraphe 49 : "par le biais du mémorial, le mystère pascal est rendu présent". Alors ça veut dire quoi ?

49. Comme dans tout art, l’ars celebrandi requiert différents types de connaissances.

Tout d’abord, il faut comprendre le dynamisme qui se déploie à travers la liturgie. L’action de la célébration est le lieu où, par le biais du mémorial, le mystère pascal est rendu présent afin que les baptisés, par leur participation, puissent en faire l’expérience dans leur propre vie. Sans cette compréhension, la célébration tombe facilement dans le souci de ce qui est extérieur (plus ou moins raffiné) ou dans le souci des seules rubriques (plus ou moins rigides).

Ensuite, il est nécessaire de savoir comment l’Esprit Saint agit dans chaque célébration. L’art de célébrer doit être en harmonie avec l’action de l’Esprit. C’est seulement ainsi qu’il sera libre des subjectivismes qui sont le fruit de la domination des goûts individuels. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera libre de l’invasion d’éléments culturels assumés sans discernement et qui n’ont rien à voir avec une compréhension correcte de l’inculturation.

Enfin, il est nécessaire de comprendre la dynamique du langage symbolique, sa nature particulière, son efficacité.

Jeanne Smits : Je me suis fait la même réflexion, il y a beaucoup de flou, beaucoup de jolis mots, et peu de choses concrètes, peu de substance.

Abbé de Tanouärn : cela veut dire que sur la présence réelle du Christ, on n'utilise plus la théologie sacramentaire mais on utilise la théologie issue des réflexions des années 30 sur le mystère pascal qui est tout sauf claire.

Jeanne Smits : il se trouve que je sors de la traduction du livre de Mgr Schneider avec Aurelio Porfiri sur la messe catholique que publie Renaissance catholique. A un moment donné, Mgr Schneider explique qu'il y a le rôle du prêtre qui dit la messe, qui est in persona Christi, le Christ accomplit son action par l'instrument du ministre, et l'assemblée qui est dans la nef représente l'épouse, l'Eglise, qui est là et qui reçoit finalement, qui apporte son sacrificiel si on veut, mais qui assiste et qui n'accomplit pas le sacrifice. On n'a absolument rien de tout cela et l'impression que j'ai eue en lisant Desiderio desideravi, c'est vraiment celle d'un changement de la nature du prêtre et c'est quelque chose que l'on voit vraiment depuis tous les synodes successifs organisés à la demande du pape François, la synodalité, le changement du rôle, et surtout le colloque du cardinal Ouellet en début d'année sur le sacerdoce où on avait certes quelques interventions qui étaient tout à fait classiques, mais, dans l'ensemble, cette idée que le prêtre n'est plus in persona Christi en tant que tel, qu'il est plutôt président.

Philippe Maxence :  Ce qui m'étonne beaucoup dans ce que vous venez de dire, c'est que vous dites que c'est un changement, mais ce changement n'apparaît pas aujourd'hui par hasard, il a eu lieu en 69 et on est juste dans une continuité, on n'est pas dans un changement.

Jeanne Smits : Oui, et le texte le dit très clairement d'ailleurs en faisant de multiples références d'abord au texte de Vatican II et puis à tout ce qui a changé depuis lors.

Philippe Maxence :  M. l'abbé Celier, je voudrais vous poser une question sur ce que vous venez d'aborder à propos du mystère pascal. Quel est le point qui pose problème selon vous dans cette approche ?

Abbé Célier : Alors, d'abord, en soi, dans la messe traditionnelle, il est bien parlé de la passion, de la mort et de la résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ qui est résumé dans le terme mystère pascal, donc ce n'est pas en tant que perception globale quelque chose de nouveau, c'est vraiment la tradition. Mais, c'est devenu, lorsqu'on lit les textes, un terme qui intervenait je dirais toutes les 50 pages et qui maintenant intervient 50 fois par page. Depuis 69, le mystère pascal est devenu le nouveau paradigme de la messe et là-dedans, dans ce qui est présenté comme le mystère pascal, il y a un certain flou de savoir par exemple où est la cause de notre salut. Et la cause de notre salut, Saint Thomas le dit très clairement, c'est la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa mort rédemptrice, et la résurrection vient donner le saut de l'efficacité et de l'acceptation par le Père mais n'est pas en tant que telle la source de salut. C'est vraiment la mort et la résurrection. Or, là, en fait, on est dans une théologie où tout le monde est déjà sauvé, où tout le monde va au ciel, et donc c'est la résurrection qui est l'image du fait qu'on est tous sauvés. Et donc, on noie la passion et la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ comme cause efficiente de notre salut.

JP Maugendre : Je crois que cela se positionne aussi dans un mouvement plus général lié à la théologie des sacrements. Du sacrement qui est traditionnellement un acte du Christ agissant ex opere operato, où le sacrement est le signe efficace et sensible d'une grâce invisible mais qui produit effectivement quelque chose, on passe à une conception du sacrement qui devient aujourd'hui un acte communautaire. Le baptême, c'est l'entrée dans la communauté et, par exemple, j'ai été très frappé au paragraphe 51 où il est question à propos de la messe de "l'énergie de toute l'assemblée".

51. En parlant de ce thème, nous sommes enclins à penser qu’il ne concerne que les ministres ordonnés qui exercent le service de la présidence. Mais en fait, il s’agit d’une attitude que tous les baptisés sont appelés à vivre. Je pense à tous les gestes et à toutes les paroles qui appartiennent à l’assemblée : se rassembler, marcher en procession, s’asseoir, se tenir debout, s’agenouiller, chanter, se taire, acclamer, regarder, écouter. Ce sont autant de façons par lesquelles l’assemblée, comme un seul homme (Ne 8,1), participe à la célébration. Effectuer tous ensemble le même geste, parler tous d’une seule voix, cela transmet à chaque individu l’énergie de toute l’assemblée. Il s’agit d’une uniformité qui non seulement ne brime pas mais, au contraire, éduque le fidèle individuel à découvrir l’unicité authentique de sa personnalité non pas dans des attitudes individualistes mais dans la conscience d’être un seul corps. Il ne s’agit pas de suivre un livre de bonnes manières liturgiques. Il s’agit plutôt d’une « discipline » – au sens où l’entend Guardini – qui, si elle est observée, nous forme authentiquement. Ce sont des gestes et des paroles qui mettent de l’ordre dans notre monde intérieur en nous faisant vivre certains sentiments, attitudes, comportements. Ils ne sont pas l’explication d’un idéal dont nous cherchons à nous inspirer, mais ils sont au contraire une action qui engage le corps dans sa totalité, c’est-à-dire dans son être unité de corps et d’âme.

Pour in moine qui célèbre sa messe tout seul dans son couvent, je ne pense pas qu'il y ait l'énergie de toute l'assemblée comme élément fondamental de la validité de cette messe. On est vraiment sur un bouleversement complet la théologie traditionnelle.

Philippe Maxence :  Je reviens à la question du mystère pascal. N'est-ce pas tout simplement un approfondissement et non pas une nouveauté ?

Abbé de Tanouärn : Moi je pense que c'est une instrumentalisation, et que les théologiens, Dom Lambert Baudoin et quelques autres qui ont mis au point avant guerre la théologie du mystère pascal n'étaient pas du tout arrivés à cette synthèse d'hérésie, me semble-t-il, qu'est Desidario desideravi, parce qu'ils inscrivaient leurs réflexions sur le mystère pascal dans la théologie classique sacramentelle de l'Eglise, et la messe restait un acte surnaturel parce que nul ne peut transsubstantier le pain et le vin que Dieu lui-même. Donc, si ce n'est pas un acte divin d'abord, on parle d'autre chose. Et donc il me semble qu'il y a une instrumentalisation de la théologie du mystère pascal et que la véritable théologie qui est présente dans Desidario desideravi, c'est la théologie de l'assemblée, l'assemblée réalisant la présence de Dieu comme lorsque le Christ dit "là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux". Quand l'article 7 de l'Institutio Generalis de 69 parle de la messe, il conclut par "là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux". Or ce n'est pas de cette présence spirituelle qu'il s'agit, c'est d'une présence sacramentelle qui est une intention du Christ lui-même. Si ce n'est pas ça mais alors la messe n'est plus qu'un symbole, et l'utilisation du mot symbole est grave parce qu'elle remplace la théologie de la transsubstantiation et la théologie de la réactualisation du sacrifice du Christ.

Philippe Maxence :  Je vais être un peu provocateur mais est-ce que finalement ce n'est pas une bonne description de ce qu'est la nouvelle liturgie.

Abbé Célier : Je pense que le pape nous parle de la liturgie actuelle, de son esprit réel qui était peut-être un petit peu camouflé. Son esprit réel, c'est effectivement de s'éloigner dans l'ensemble comme dans le détail, d'une façon impressionnante, de la théologie de la messe définie par le concile de Trente. C'est le bref examen critique qui le dit très clairement et c'est la vérité.

JP Maugendre : Je crois que ce que vous évoquez aboutit sur un texte qui au final est schizophrénique où on a en particulier des références régulières à Sacrosanctum Concilium, le texte sur la liturgie du concile Vatican II, où le pape fait un certain nombre de remarques en disant qu'il ne faut pas faire n'importe quoi, qu'il faut des rites, etc. On pourra noter trois choses dans Sacrosanctum Concilium. Premièrement, dans l'article 36, il est rappelé que le latin doit être la langue commune, mais le pape n'en parle pas dans sa lettre apostolique. Deuxièmement, le pape dénonce une certaine forme de créativité et, dans l'article 54, la "manie mal dissimulée [par le célébrant] d’être le centre de l’attention", mais c'est connaturel au fait que le prêtre célèbre face au peuple ! Il ne pouvait pas être le centre de l'attention quand on ne voyait que son dos.

Abbé Célier : Et rappelons que le pape, dans un document précédent [Traditionis Custodes], a critiqué le fait de ne pas célébrer face au peuple en disant cela voulait dire que vous aviez peur du peuple de Dieu.

Jeanne Smits : Et dans le sens de ce que vous dites tous les deux, à la fin du document, le prêtre est évoqué, le ministre doit avoir une certaine façon de poser sa voix, de faire parler l'assemblée ensemble, de se présenter face à la caméra sans se mettre en avant mais quand même ! en étant l'image du Christ, enfin le représentant du Christ. Il y a une personnalisation du prêtre qui est très nette et qui va à l'encontre de ce qui est dit précédemment.

Abbé de Tanouärn : Et là encore parce qu'on a abandonné la vieille théologie de la cause instrumentale. Le prêtre est cause instrumentale de la liturgie mais l'instrument est souvent indigne de sa fonction. C'est la cause efficiente qui rend la cause instrumentale…

Abbé Célier : Comme dit Saint Augustin : Saint-Pierre te baptise, c'est Jésus qui te baptise, Saint-Paul te baptise, c'est Jésus qui baptise, Judas te baptise, c'est Jésus qui te baptise. Et donc, le prêtre est vraiment l'instrument du Christ, il peut être indigne, il peut bafouiller, etc. il est porteur de l'action christique.

JP Maugendre : Alors, troisièmement, sur cet aspect schizophrénique, il y a aussi la condamnation par le pape de la multiplicité, la variété des manières de célébrer la messe mais elle est constitutive de la réforme liturgique puisque le prêtre pourra ceci mais il pourra aussi cela, on choisira ceci ou on choisira cela. Le résultat débouche sur une diversité qu'ensuite on condamne. Intellectuellement, c'est peu satisfaisant.

Philippe Maxence :  Dans ce texte, ce qui a aussi marqué, c'est que le pape François appuyait sa décision d'interdire ou de limiter de manière étendue la célébration de la messe traditionnelle. Pourquoi ?

Abbé de Tanouärn : L'objectif du pape François n'est pas de mettre en œuvre immédiatement le texte de Traditionis custodes, il ne peut pas le faire, cela signifierait de détruire toute la tradition dans l'Eglise et serait trop voyant, mais c'est bien ce qui est écrit et en particulier, l'article 8 de Traditionis custodes précise que toute liturgie célébreée avant celle du pape François est une liturgie déclarée par lui obsolète et de nulle valeur, celle de 69 et celle de Saint Jean-Paul II avec les ajouts. Il ne peut pas mettre en œuvre immédiatement ce que contient Traditionis custodes mais il tient à montrer que cette condamnation de tous les rites qui précède le rite qu'il célèbre lui est une condamnation pesée, voulue et sur laquelle il revient de document en document. Si on compte, avec les dubias, avec le texte d'accompagnement aux évêques, ça fait quatre fois je pense.

Philippe Maxence :  Et pourquoi cette insistance ?

Abbé de Tanouärn : Pour ne pas revenir en arrière.

Jeanne Smits : Oui, j'abonde dans ce sens. Il y a un point qui m'a frappé dans Desiderio desideravi est qu'en fait le pape désire en finir avec la messe traditionnelle. Il parle du sens du mystère. Il dit que les gens reprochent à la nouvelle messe son manque de sens du mystère et il finit par dire que c'est finalement très bien si la messe nouvelle a permis d'évacuer un mauvais sens du mystère, une espèce de magie, le sentiment qu'on a du pouvoir sur Dieu. Et c'est une critique que j'ai souvent entendue à l'égard de la messe traditionnelle, son aspect magique, ses paroles auxquelles on ne comprend rien etc. Et j'ai l'impression que ça rejoint cette critique. Et finalement le pouvoir sur Dieu que donne au prêtre la messe est quand même extraordinaire justement parce qu'il est instrument de Dieu lui-même, et tout cela me semble avoir été le fond de cette affaire, il y a quelque chose qu'il faut évacuer.

Philippe Maxence :  Mais ce que j'aimerais arriver à saisir, c'est pourquoi le pape François à ce besoin de revenir un an après sur son motu proprio qui semblait clore la question ?

JP Maugendre : Je crois qu'il revient parce qu'il sent bien que cela ne se passe pas comme il voulait et comme c'était prévu avec ce leitmotiv qui est quand même à hurler de rire, c'est l'appel à l'unité dans le paragraphe 61. Il entend "que cette unité soit rétablie dans toute l’Eglise de rite romain". Alors, on rappelle quand même que dans le rite romain, il y a aussi le rite zaïrois, il y a le rite pour les anglicans, il est question d'un rite amazonien, M. l'abbé Lorans nous a parlé d'un rite nautique, donc parler de l'unité du rite Romain consécutive à la réforme liturgique c'est quand même à hurler de rire. C'est le premier point. Et, deuxième point, il sent bien que c'est une autre conception de l'Eglise, de la théologie sacramentelle, de la théologie de la messe et qu'en fait ces deux formes liturgiques sont porteuses de deux ecclésiologies et de deux théologies différentes. Voilà, c'est bien triste, mais je crois que c'est la réalité.

Philippe Maxence :  Mais c'est exprimé par le pape et donc normalement nous sommes appelés à obéir.

Abbé de Tanouärn : Sans cette nouvelle théologie de la messe, la décision du pape n'a aucun sens. C'est cette nouvelle théologie de la messe qui donne sens parce que c'est une rupture avec la tradition. Dans cette théologie de la messe, le sujet, c'est l'assemblée, c'est à dire l'Eglise. Et l'Eglise, pour le pape François, c'est lui ! Par conséquent, l'Eglise fait ce qu'il veut, lui ! On est dans une forme d'absolutisme. Il faut le dire, aujourd'hui, ce n'était pas du tout le cas du pape Benoît, l'Eglise vit au rythme d'une personne qui est le pape et dans une forme d'absolutisme qui est complètement décalée par rapport à la modernité et à la théologie et qui bafoue concrètement le droit des chrétiens à recevoir une sanctification efficace. On a un pape qui est qui est plus absolu que Louis XIV ne l'était, qui passe au-dessus de ses conseils et dit que la messe, c'est lui !

Philippe Maxence :  Nous allons achever cette émission. Un mot, Jeanne ?

Jeanne Smits : Oui, il me semble que ça se rattache à la théologie du peuple du pape François qui voit dans le peuple le lieu théologique, le lieu de la foi, un nouveau lieu de révélation et pour moi ça s'adapte très bien à ses réformes qui sont révolutionnaires.

JP Maugendre : Je crois qu'on peut également conclure et ne jamais oublier que l'Eglise, c'est l'Eglise du Christ. Ce n'est pas l'Eglise de Pierre, de Paul, de Jacques, de François, etc. Et on a le sentiment là que le pape se sent une mission comme s'il était lui propriétaire de l'Eglise. Et je rebondis sur ce que je disais tout à l'heure, ce texte n'est pas un texte magistériel, il n'engage pas l'infaillibilité du souverain pontife, ce sont des réflexions. Et bien, le Saint-Esprit n'est pas obligatoirement là dans toutes les réflexions, même celles du souverain pontife.

Philippe Maxence :  Un mot de conclusion M. l'abbé Célier ?

Abbé Célier : Dans le numéro 65, qui est le dernier, le pape dit "abandonnons les polémiques" mais le fil directeur de ce document, c'est une polémique contre ceux qui sont attachés à la messe traditionnelle.

Philippe Maxence :  Merci beaucoup de vos réflexions sur Desiderio desideravi sur la formation liturgique du peuple de Dieu, nous nous retrouverons la semaine prochaine pour une nouvelle émission sur un autre sujet mais avec les mêmes invités, les membres du club des hommes noirs. D'ici ce prochain rendez-vous, que Dieu vous garde.

ANNEXE CONCERNANT LA CORRECTION DE L'INSTITUTIO GENERALIS MISSALIS ROMANI EN 1970

Le Monde, le 4 août 1970

L'article 7 de la présentation générale de la messe a été entièrement récrit

[…] Le changement essentiel concerne l'article 7 qui avait fait couler le plus d'encre. Il a été en effet entièrement réécrit, pour bien montrer la nature sacramentelle et sacrificielle de la messe, qui ne se réduit pas à une simple cérémonie symbolique rappelant la Cène. Il est également précisé que le prêtre n'est pas seulement le président de l'assemblée, mais celui qui représente la personne du Christ.

Ancienne rédaction :

La Cène du Seigneur, autrement dit la messe, est une synaxe sacrée, c'est-à-dire le rassemblement du peuple de Dieu, sous la présidence du prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. C'est pourquoi le rassemblement local de la sainte Église réalise de façon éminente la promesse du Christ : "Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d'eux." (Matth., 18, 20.)

Source :

https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/08/04/l-article-7-de-la-presentation-generale-de-la-messe-a-ete-entierement-recrit_2643727_1819218.html

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