Conférence donnée par Maxence Hecquard lors de la Journée régionale d'Ile-de-France du CEP le 29 avril 2017 sur le thème de son ouvrage "Les fondements philosophiques de la démocratie moderne".
https://www.youtube.com/watch?v=PcaQrQw8Khg
Je vous propose de faire mon exposé sur les mécanismes de la démocratie en deux temps : la première partie de mon exposé sera une simple analyse sociologique de la démocratie moderne, et dans la seconde partie, j'essaierai de vous donner des clés de compréhension du fonctionnement de ce système tout à fait extraordinaire.
Alors, ce qui frappe dans la démocratie, c'est qu'aujourd'hui, c'est tout simplement une référence universelle. Il n'y a plus d'État aujourd'hui qui ne se dise pas démocratique. J'avais fait une vérification quand j'ai commencé à écrire mon ouvrage au début des années 90 : sur à peu près 160 États dans le monde, il n'y avait que 6 États qui n'avaient pas une référence de près ou de loin au système démocratique. Depuis, il y en plusieurs qui se sont dotés d'une référence démocratique. Des États aussi reculés que le royaume du Bhoutan, un petit royaume d'Himalaya de 600 000 habitants, une monarchie traditionnelle avec un roi, a décidé en 2008 de se doter d'une constitution. Alors, finalement, rien n'a changé, le roi est resté le roi, le premier ministre n'a pas changé, le prince hériter est monté sur le trône depuis, mais on est passé d'une monarchie traditionnelle héréditaire à un régime démocratique.
Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est la question qui se pose.
En réalité, le caractère universel de la référence démocratique est très récent. Pendant la Révolution Française, on ne parlait pas de démocratie. Même pendant la dernière guerre, une correspondance entre De Gaulle et René Cassin, en 1941, indiquait qu'il ne fallait pas utiliser le mot « démocratie » car il avait mauvaise presse parmi les partisans, était synonyme de 3è République, de désordre et de changements de gouvernement incessants. De Gaulle disait donc qu'il ne fallait pas utiliser le mot « démocratie ». Mais il y avait la pression des américains qui souhaitaient réhabiliter ce concept de démocratie. Alors, dans des lettres adressées en 1942 à Jacques Maritain, philosophe officiellement catholique bien connu, De Gaulle lui a demandé son aide pour réconcilier les français avec la démocratie. La majorité de l'opinion en 1942 était pétainiste, et donc pas communiste par définition, et le concept de démocratie n'avait pas bonne presse. Jacques Maritain va se mettre au travail, il était exilé à l'époque à New York, et il écrit un petit livre intitulé « Christianisme et démocratie » qui sera publié en octobre 1942 sur papier bible par l'office de propagande de l'armée américaine et parachuté sur toute la France de manière à faire basculer l'opinion qui était pétainiste en faveur du général De Gaulle et de la démocratie. Et cela va fonctionner. Effectivement, les gens vont lire ce petit ouvrage qui est encore publié, qui est disponible. C'est un texte très intéressant où Maritain nous explique que le christianisme et la démocratie, c'est quelque part la même chose. Nous allons voir ce qu'il voulait dire. Et de fait, c'est après la Seconde Guerre Mondiale que le concept de démocratie va devenir universel. C'est évidemment lié à la victoire des américains sur le nazisme mais la référence va devenir universelle. Maritain va être nommé par De Gaulle ambassadeur de France auprès du Vatican, il va se lier d'amitié à Paul VI, et il va devenir le seul laïc admis au Concile Vatican II, il va devenir le philosophe officiel de Vatican II et nous allons voir que ce n'est pas sans rapport avec la doctrine démocratique.
La référence démocratique est donc universelle.
Les philosophes des idées nomment ces grands mouvements de pensée des idéologies. La démocratie contemporaine à toutes les caractéristiques d'une idéologie. Selon Raymond Aron, une idéologie est un mélange de propositions de faits et de valeurs, une sorte d'échelle de valeurs. Or, la démocratie est une échelle de valeurs, nous le savons. On attend parler en permanence aujourd'hui des valeurs républicaines, on les enseigne à l'école à nos enfants : liberté, égalité, fraternité, mais aussi beaucoup d'autres comme la protection de la nature, la science, l'art contemporain, etc. Aujourd'hui, si vous aimez un peu trop l'art médiéval, votre caractère démocratique va être suspect. Si vous considérez que l'art contemporain est une imposture, vous n'êtes pas loin d'être un antidémocrate.
Pourquoi ? C'est ce que je voudrais tenter de vous expliquer aujourd'hui.
ndlr : Maxence Hecquard précise ce point dans le Libre Journal de Philippe Maxence du 24 mai 2016 sur Radio Courtoisie, sur le thème : "La démocratie est-elle la religion du mondialisme ?". En voici un extrait :
Pendant des siècles, jusqu'à la Révolution française, la démocratie est considérée tout simplement comme un régime de gouvernement. Les philosophes expliquent qu'il y a trois types de gouvernement : la monarchie, l'aristocratie et la démocratie, et que c'est donc juste une catégorie de gouvernements. Or, aujourd'hui, nous avons parlé du club du Racing qui est dit non démocratique, et des blue-jeans qui sont dits démocratiques, on s'aperçoit que la démocratie va bien au-delà d'un simple régime de gouvernement et que, comme le dit Jacques Maritain, c'est une philosophie générale de la vie humaine. Alors, si on fait une petite enquête sociologique sur ce qui a la qualité démocratique ou non, on a quelque chose d'extrêmement large. Et donc cela répond à la définition de ce qu'on appelle un système global d'interprétation et c'est la définition des idéologies que nous donne Raymond Aron. On s'aperçoit que la démocratie a toutes les caractéristiques d'une idéologie aujourd'hui dans l'esprit de nos contemporains. Une idéologie, c'est un système de pensée un peu différent de ce qu'on appelait les grandes pensées philosophiques autrefois qui sont construites et rationalisées. Raymond Aron dit qu'une idéologie est un ensemble de propositions de fait et un système de valeurs. Une idéologie est donc à la fois des propositions de fait, c'est-à-dire des choses qui sont jugées incontestables, par exemple le fait que le peuple peut gouverner ou le fait que tous les hommes soient égaux ou le fait que nous naissions libres, et des valeurs, un système de valeurs. Ce sont des concepts qui sont nés au 19e siècle. Il y a de nombreuses valeurs démocratiques, l'égalité, la liberté, mais il y a plein d'autres valeurs. Par exemple, la libre entreprise est considérée comme démocratique par opposition au système soviétique ou à l'économie planifiée. J'analyse également dans mon ouvrage le lien entre le système démocratique et le libéralisme, et il y a un lien qui est très fort. La rigueur scientifique par exemple fait partie de la démocratie. Et, aujourd'hui, on fait un lien avec l'écologie, avec la défense de la nature. "Sauver l'océan", du slogan américain "Save the ocean", c'est démocrate. Les fameuses valeurs républicaines sont les valeurs de la démocratie. Et, si vous n'adhérez pas assez à ces valeurs, on va vous dire mais vous n'êtes pas démocrate et vous allez être suspect ; au pire, vous allez avoir une sorte de mort civique ; vous allez perdre vos mandats si vous critiquez certaines valeurs ; si vous êtes élu, vous perdrez vos mandats ou ce genre de chose. Et donc, tout cela est caractéristique d'un système global d'interprétation, d'une idéologie. Auguste Comte va même jusqu'à dire que la démocratie, le système républicain, est une espèce de religion séculière, une religion au sens le plus fondamental du terme qui ne relie pas les hommes à Dieu mais qui les relie entre eux, une religion horizontale. Et on se bat pour elle, on fait des guerres pour elle, c'est donc quelque chose d'extrêmement fort. Jacques Maritain a écrit que "dans une société laïque d'hommes libres, l'hérétique est celui qui brise les croyances et les pratiques communes, celui qui prend position contre la liberté, contre l'égalité fondamentale des hommes, contre la dignité et les droits de la personne humaine".
Non seulement la démocratie est hégémonique, est une référence universelle, est une échelle de valeurs, mais elle a une sorte de rituel et donc elle a quelque part les caractéristiques de ce qu'Auguste Comte appelait une religion séculière. Nous sommes [le 29 avril 2017] entre deux tours d'une élection majeure, si, comme c'est mon cas, vous n'allez pas voter, et que vous osez le dire, vous seriez bien imprudents, eh bien les gens vous regardent en se demandant pourquoi, si vous êtes malades. C'est de l'ordre véritablement du rituel. La démocratie a ce caractère religieux. Nous allons voir ce qu'il veut dire.
Si on va un peu plus loin dans l'analyse et qu'on essaie de comprendre ce phénomène, on est obligé de remonter à sa naissance. Je vous ai dit que la référence universelle datait de l'après-guerre mais évidemment la chose est plus ancienne. Tout le monde s'accorde à dire que la Révolution Française est une étape majeure de la naissance de la démocratie, les démocrates le disent eux-mêmes, et ils font le lien entre la démocratie et la République. On peut dire que le régime démocratique actuel est né à la Révolution Française. C'est un équivalent de ce que les philosophes ont appelé le régime républicain.
Qu'est-ce que le régime républicain ?
C'est d'abord une négation. La Révolution Française est la négation de l'Ancien Régime au nom de ce que les philosophes des Lumières, je pense à Rousseau, ont nommé l'état de nature et le contrat social. En ce nom, on a nié un ordre qui était jugé désuet, tyrannique et qui constituait à avoir ce qu'Aristote nomme des communautés dites naturelles. Aristote explique que le monde a une nature, qu'il y a une nature des choses, que les êtres ont une nature.
Qu'est-ce que la nature des êtres ?
C'est ce qui les distingue. Pour la nature humaine, c'est ce qui fait qu'un homme n'est pas animal. C'est quelque chose de stable, et les hommes entre eux forment des communautés et Aristote nous explique que ces communautés sont régies par la nature. Donc, il dit qu'un homme épouse une femme et fonde une famille, c'est une réalité naturelle. La petite société qu'un homme forme avec sa famille, sa femme et ses enfants, ses domestiques, et ses cousins, ses oncles et tantes, c'est une communauté qui est naturelle, qui est produite par la nature. Ensuite, les familles se regroupent en villages, les villages se regroupent en nations, et donc les nations pour Aristote sont des réalités naturelles.
La Révolution Française nous dit qu'il n'y a pas de nature, que ces communautés ne sont pas naturelles mais résultent de quelque chose de volontaire. Une des premières décisions de la Révolution Française a été l'instauration du divorce, ce qui veut dire que la communauté que forme un homme et une femme peut être rompue s'ils décident de la rompre et qu'elle ne procède pas d'un ordre naturel. L'essentiel du contrat social consiste à dire que la société civile que les familles et les hommes forment entre eux n'est pas une réalité naturelle mais une réalité volontaire.
On constate qu'il y a là deux visions de la nature extrêmement différentes puisque si Aristote considère que l'homme naît naturellement dans sa famille et dans sa société, cela veut dire que quelqu'un qui ne serait pas dans une famille ou dans une société ne serait pas complètement un homme, et effectivement, Aristote dit qu'un homme qui vit seul est une sorte d'être incomplet ou un saint, c'est-à-dire quelqu'un qui est capable de se suffire à lui-même, ce qui n'est pas le cas de l'ensemble des êtres que nous sommes car nous avons besoin de notre famille pour nous soutenir et nous avons besoin de partager le travail, nous avons besoin de cordonniers, de menuisiers, d'architectes, on doit se partager le travail pour être dans une société civilisée.
La conception humaine de Rousseau est très différente puisqu'il nous dit que l'homme est un tout parfait et solitaire qui se suffit à lui-même et vit seul. La conception de la société de Rousseau n'a rien à voir avec celle d'Aristote. Rousseau prône une sorte d'individualisme. L'homme de Rousseau est un animal qui vit seul, qui a plusieurs partenaires dans sa vie, qui a des enfants avec plusieurs partenaires, qui laisse ces enfants seuls dès qu'il peut, c'est l'homme moderne.
Cette société issue de la Révolution Française a nié toutes les communautés naturelles et évidemment, c'est aujourd'hui plus vrai que jamais. La gestation pour autrui, c'est quand même le désir de s'abstraire des lois de la nature, c'est le désir d'une femme qui, pour préserver sa beauté, pour préserver sa carrière, décidera de faire porter ses enfants par une autre femme. C'est un désir de liberté, c'est un désir de s'affranchir de la loi naturelle. Vous voyez bien qu'aujourd'hui les évolutions réglementaires qui sont nombreuses depuis la Révolution Française vont toujours dans le même sens avec le fait de s'abstraire des lois de la nature, et le fait d'aller vers l'individualisme. Donc, les individus sont seuls.
Ces individus solitaires, que forment-ils ?
Ils forment une espèce de masse. Les philosophes des Lumières ont une image qui est très juste : ils disent que le peuple est comme un tas de sable composé de grains de sable, c'est une image de Hobbes. Et effectivement, en démocratie, les citoyens sont tous identiques comme des grains de sable et la caractéristique des grains dans un tas de sable est qu'ils sont égaux et se touchent tous mais ne se pénètrent pas, il n'y a pas de liens entre eux. Et cette image du tas de sable de la démocratie va être reprise par beaucoup de philosophes de la modernité.
Et on nous explique que ce tas de sable, ce peuple, est souverain et que la démocratie, c'est l'État de droit. N'y a-t-il pas une contradiction ?
Le fait d'être souverain, c'est le fait de faire la loi. Le mot souverain vient du latin supranus qui a également donné le mot suzerain. Le grand théoricien de la souveraineté, Jean Bodin, nous dit en 1576 que la souveraineté se reconnaît à un certain nombre d'actes : le fait de nommer les officiers, le fait d'être au-dessus de la loi, le fait de battre monnaie, le fait de déclarer la guerre, etc. Ceci soulève des questions : le peuple forme une unité alors comment le peuple peut-il être soumis à la loi ? Si vous faites la loi, alors vous n'y êtes pas soumis. Par définition, vous pouvez la modifier cette loi. Comment un souverain peut-il être soumis à la loi ? Vous voyez une première contradiction qui est d'ordre logique.
On nous explique que cet État de droit est fondé sur la représentation populaire et là je vous renvoie à des textes de Rousseau dans le "Contrat Social". Rousseau nous explique que la souveraineté ne peut pas se déléguer, c'est un peu comme la paternité. Un parent peut déléguer des tâches à ses enfants mais pas la paternité. Et la souveraineté, c'est la même chose. Si un roi est souverain, il peut nommer des ministres, il peut nommer des généraux, il peut donner des missions, il peut envoyer des émissaires, mais il ne peut pas déléguer l'ensemble de sa souveraineté. Il ne peut pas non plus la découper. Si vous la découpez, cela veut dire que vous n'êtes plus souverain, que vous n'avez qu'une partie du pouvoir. Or, personne aujourd'hui ne met en doute que notre régime démocratique est fondé à la fois sur la représentation populaire, donc les élections, et un mécanisme de séparation des pouvoirs. Pourquoi une séparation des pouvoirs ? Montesquieu, le grand théoricien de la séparation des pouvoirs, explique que cette séparation est nécessaire par sécurité, de manière à ce qu'aucun des représentants du pouvoir ne s'approprie la totalité du pouvoir. Et ce mécanisme de séparation de la souveraineté, vous le retrouvez à tous les étages de la démocratie, et aujourd'hui, plus que jamais. Aujourd'hui, on crée des agences sur tel ou tel point particulier pour contrôler ce que font les uns et les autres, les députés eux-mêmes, etc. C'est un système complet qui est bâti là-dessus. Ne perdons pas de vue que c'est contradictoire, Rousseau le dit dans le Contrat Social. Il dit aussi que le régime démocratique est un régime trop parfait, il ne peut pas exister parce qu'il ne concevait la démocratie que dans des cités extrêmement petites. Il dit que la démocratie pourrait fonctionner dans un canton suisse où les gens pourraient se réunir, comme à Athènes, mais on verra tout à l'heure si cela a vraiment fonctionné. Vous voyez qu'il y a plein de contradictions dans ce système.
En plus, nous savons bien que le peuple ne gouverne pas. Tout le monde le reconnaît. Tous les philosophes des Lumières reconnaissent que le peuple est incapable de gouverner. Machiavel le dit : « le peuple se laisse mener par le bout du nez par les princes ». Montesquieu aussi nous explique que le peuple est absolument incapable de gouverner. Il dit que soit il va beaucoup trop vite, soit il va beaucoup trop lentement comme un millepatte. L'exercice du pouvoir requiert des décisions rapides et efficaces et aujourd'hui où le monde est beaucoup plus compliqué qu'à l'époque de Montesquieu, est-ce que le peuple est capable de choisir s'il faut des missiles intercontinentaux plutôt que des sous-marins stratégiques, qui sont quand même des grandes décisions à prendre avec des impacts budgétaires considérables, s'il faut lancer un programme de recherche sur la fusion froide, investir des dizaines de milliards là-dedans, etc. ? Le peuple en est absolument incapable, moi le premier. Quelle est la bonne politique monétaire ? Est-ce qu'il faut une seule monnaie en Europe ? Est-ce qu'il faut revenir à l'étalon-or ? Ce sont des décisions extrêmement techniques et complexes et nous savons bien que nous sommes incapables de les prendre.
Le peuple est incapable de gouverner. La démocratie est pleine de contradictions logiques dans son mécanisme. Comment comprendre cette démocratie ?
Alors, vous allez me dire, la démocratie, elle a fonctionné à Athènes. Il faut savoir que la démocratie à Athènes a duré très peu de temps, un siècle et demi environ, et qu'elle a toujours très mal fonctionné. Elle a fonctionné pour des raisons indépendantes du régime démocratique. C'est lié à la guerre du monde grec contre le monde perse et pour des raisons ponctuelles, Athènes qui était situé au centre de la Mer Egée, est devenue une puissance maritime et a permis aux grecs de gagner la guerre contre Xerxès. Ensuite de quoi, il y a eu l'hegemon, c'est-à-dire la domination d'Athènes sur tout le monde grec, domination non seulement militaire mais financière parce que toutes les cités grecques ont délégué à Athènes le soin de leur défense. C'est ce qui a créé la richesse d'Athènes et qui a permis à la démocratie d'arriver à la suite de rivalités entre grandes familles aristocratiques grecques. Ce régime de gouvernement a extrêmement mal fonctionné. Ce régime n'avait pas grand-chose à avoir avec notre régime car il y avait à l'époque à Athènes 400 000 habitants dont 21 000 citoyens, le reste était des esclaves ou des métèques (des étrangers). Seuls les 21 000 citoyens pouvaient participer au pouvoir. Ils se réunissaient sur la colline de Pnyx pour prendre des décisions. Thucydide nous dit qu'en fait c'est Périclès qui gouvernait, le peuple suivait Périclès. Et la démocratie athénienne est morte des mauvaises décisions prises par le peuple à la suite de Périclès et notamment la guerre du Péloponnèse. Périclès a poussé à la guerre du Péloponnèse pour des raisons familiales de rivalités aristocratiques. Cette guerre a anéanti la puissance militaire d'Athènes qui ne s'en est jamais relevé. Et Athènes, dans les décennies qui ont suivi a sombré dans ce que nous vivons aujourd'hui, c'est-à-dire une corruption généralisée, des affaires dans tous les sens, la multiplication des lois, la multiplication des procès, et le système fonctionnait très mal. Lorsque Philippe de Macédoine est arrivé, il a tout balayé et en a fini avec la démocratie pour 18 siècles.
C'est la véritable histoire de la démocratie athénienne. Lorsque Ernest Renan fait le pèlerinage d'Athènes en 1865, il écrit un texte magnifique, la « Prière sur l'Acropole », qui est une espèce d'hymne à la déesse Athéna, à la déesse démocratie. Quand il dit « En pénétrant sur l'Acropole, j'ai eu la sensation de toucher le divin », il est dans l'idéologie.
Donc, nous savons tous que le peuple ne gouverne pas. Nous savons que ce sont les élites qui gouvernent c'est-à-dire les enfants des familles riches bien éduqués qui remontent dans les chaussures de leurs parents sur les marches du pouvoir. C'est un ordre qui a toujours existé dans toutes les sociétés sauf qu'autrefois, sous l'Ancien Régime, cela s'appelait l'aristocratie. Suivant les pays et suivant les époques, elle était plus ou moins poreuse, on pouvait y accéder plus ou moins rapidement. Elle s'autoreproduisait, on trouvait cela naturel et on le disait, alors qu'aujourd'hui, on dit que vous êtes tous égaux mais il y a toujours une sorte d'aristocratie qui dirige. Cette élite actuelle, elle ne dirige pas officiellement, elle se soumet au rituel démocratique. Elle dirige indirectement, sans le dire, par les lobbies, les maçonneries, les loges. C'est une réalité que tous les hommes d'affaires rencontrent. Cette élite dirige par l'opinion. C'est une guerre de l'opinion ce qui n'est pas naturel. L'élite sait qu'elle est supérieure mais elle se soumet au rituel démocratique.
Voilà pour l'analyse sociologique. La démocratie nous donne un régime qui est la négation de tout ordre naturel, qui a de véritables contradictions, des contradictions logiques, et qui pourtant est hégémonique, et qui pourtant est universel, et que personne ne remet en cause. Alors, comment est-ce possible ? Ceux d'entre nous qui sont ingénieurs savent qu'une machine ne peut pas fonctionner avec des contradictions, mais la démocratie tient, avance, même le Royaume du Bhoutan a fini par se ranger à la démocratie.
La démocratie n'est pas uniquement qu'une question politique, ce n'est pas une question d'organisation de la société, il faut aller au niveau métaphysique.
La métaphysique, c'est la vision du monde que l'on a.
Or, aujourd'hui, il y a quelque chose d'universel, c'est l'adhésion aux sciences dures. Rares sont ceux qui n'adhèrent pas aux conclusions scientifiques d'aujourd'hui. Quelles sont-elles ces conclusions scientifiques d'aujourd'hui universelles enseignées dans toutes les écoles ?
C'est Darwin. C'est la métaphysique aujourd'hui. La métaphysique, c'est de dire que le monde est issu d'une évolution qui a duré pendant des milliers ou des millions d'années et que cette société est issue d'une très longue histoire. Et donc, quand Rousseau imagine des hommes sylvestres qui a un moment décident de créer une société, ce n'est peut-être pas un récit historique mais ce n'est pas très loin de ce que l'on peut imaginer d'après les descriptions de Darwin.
Je voudrais souligner que cette doctrine darwinienne, qui est universelle aujourd'hui, qui est reçue non pas comme une position philosophique idéologique mais comme une réalité scientifique, en réalité, ne date pas du tout de Darwin. Elle est très ancienne. Elle date des présocratiques, des débuts de la philosophie. Il est très important d'en prendre conscience. La philosophie, la réflexion sur le monde est née en Grèce. Dès ses débuts, il y a eu des philosophes pour expliquer que le monde était arrivé au hasard. Ils avaient tous des théories distinctes, ces théories n'étant pas vraiment scientifiques, encore que.
Les premiers philosophes de l'atomisme, je pense à Leucippe, à Démocrite, se veulent être des scientifiques quelque part, mais avant eux, c'étaient des théories plutôt poétiques.
Vous avez des gens comme Anaximandre ou comme Empédocle. Empédocle vous explique qu'au début, dans l'Univers, il y avait une espèce tourbillon et que dans ce tourbillon, il y avait des organes qui se baladaient, il y avait des têtes, des bras, des pieds, etc. et puis ils se collaient les uns aux autres et donnaient des monstres, et parmi ces monstres, certains ont survécu. Ces monstres ont évolué et sont devenus ce que nous sommes, et tout cela est arrivé au hasard. Et Anaximandre explique que les hommes sont arrivés par des poissons, qu'ils ont été crachés de la bouche des poissons et se sont mis à marcher sur la terre.
Donc, des théories presque évolutionnistes. Et la caractéristique de tous ces philosophes est qu'ils disent qu'il n'y a pas eu de Dieu créateur comme dans la Genèse qui aurait créé les poissons, les vaches, puis les hommes. Pour eux, c'est arrivé par hasard.
Et alors, il y a un philosophe qui a repris toutes ces théories et qui s'appelle Epicure. Aujourd'hui, tous les philosophes connus sont épicuriens ! Michel Onfray est un épicurien diplômé. Luc Ferry se définit comme un kantien, et Kant était épicurien. André Compte-Sponville est un épicurien affiché. Il écrit des livres sur Epicure.
Epicure vient après Aristote, deux générations après. Il était très prétentieux et disait qu'il n'avait jamais eu de maître et pourtant les historiens, notamment Diogène Laërce, expliquent qu'il avait eu un maître aristotélicien. En fait, la naissance de la philosophie épicurienne est un rejet de la philosophie aristotélicienne. Aristote est le grand philosophe de la philosophia naturalis, la philosophie naturelle. Aristote disait que l'on ne peut pas comprendre ce monde sans imaginer un être supérieur qui l'ait créé et dont il dépend. C'est le grand philosophe de Dieu, Aristote. Toute sa métaphysique consiste à expliquer et à prouver que le monde ne peut pas s'expliquer par lui-même. On est obligé de poser l'existence d'un être supérieur qui s'expliquerait par lui-même et qui aurait créé le monde et qui évidemment correspond au Dieu de la Bible. Aristote ne connaissait pas la Bible. Epicure vient après. Epicure dit que « non, le monde s'explique par lui-même, les dieux ne sont pour rien dans l'explication du monde. »
Il faut savoir que cette année 2017 est une très grande date épicurienne parce qu'Epicure a été perdu pendant près de mille ans parce que les moines n'ont pas recopié ses écrits qu'ils estimaient très impies. On a donc perdu ses écrits, et en janvier 1417, il y a donc 600 ans cette année, on a redécouvert dans un monastère à Murbach en Alsace le manuscrit d'un des grands disciples d'Epicure, Lucrèce. C'est un poème en latin qui s'appelle le « De rerum natura ». Ce poème explique la naissance du monde, c'est un condensé de la philosophie épicurienne. Et c'est à partir de janvier 1417 qu'Epicure va être redécouvert et va être lu. Mon avis, partagé par Michel Onfray, est que la modernité peut être datée de cette redécouverte du manuscrit de Lucrèce.
Alors, cela ne s'est pas vu beaucoup au début, mais on l'a vu chez Montaigne, que l'on cite à tout instant. Pourquoi lit-on les Essais de Montaigne ? Eh bien, on les lit tout simplement parce que Montaigne ne croit pas en la vérité. Il dit : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Il ne croit pas en la vérité. Pour lui, la vérité change avec les gens. Montaigne était un lecteur d'Epicure, il cite 150 fois Lucrèce dans les Essais.
Epicure va être très lu ; au XVIIIe siècle, tous les philosophes des Lumières lisaient Lucrèce, à tel point que le cardinal Melchior de Polignac va écrire un livre, l'Anti-Lucretius, contre Lucrèce pour essayer de défendre la vision aristotélicienne du monde et il va échouer.
Alors donc, que dit Epicure ?
Epicure nous dit que le monde est un tout, les dieux ne sont pour rien dans sa naissance, ce tout est composé d'atomes, Epicure est un lecteur de Leucippe et de Démocrite, et ces atomes se sont réunis au hasard, ils ont formé des masses qui ont donné la matière puis des êtres vivants. Voici comment le monde a été créé selon Epicure. C'est une vision extrêmement moderne des choses.
Donc, Lucrèce est redécouvert et Epicure va revenir dans la philosophie occidentale d'une façon indirecte. Epicure pensait que le monde était infini et que toutes les planètes étaient habitées. Cette question de l'infini du monde est une très vieille question de la philosophie.
Dans la philosophie d'Aristote, on ne dit pas le monde est infini. On dit au-contraire que le monde est limité, que la matière est finie, qu'il y a divers cieux. Qu'y a-t-il après la dernière planète ? Le Ciel. Qu'est-ce que le Ciel ? Mais c'est Dieu. Physiquement, il y a l'infini de Dieu, le Paradis. C'est la vision aristotélicienne et chrétienne des choses.
Mais, comme c'est un peu plus compliqué à comprendre, dès le XVe siècle, on a commencé à s'interroger sur l'infini du monde, y compris les chrétiens, y compris des gens comme le cardinal Nicolas de Cues qui disait que le monde était infini. Ses propos vont être repris par Giordano Bruno qui va être brûlé en 1600 et qui explique que Dieu existe mais que Dieu est l'âme du monde qui fait que le monde est vivant.
C'est très différent de ce que disait Aristote. Aristote dit que Dieu est à côté du monde, Dieu donne la vie au monde mais il est plus existant que le monde, il n'est pas dans le monde, ce n'est pas du panthéisme, il est distinct du monde.
Giordano Bruno explique que Dieu est l'âme du monde et donc que Dieu et le monde, c'est un peu la même chose. Giordano Bruno va influencer énormément les philosophes du XVIIe et du XVIIIe siècle et on le réédite encore aujourd'hui depuis 15 ans. Des gens comme Gassendi, grand épicurien, prêtre, professeur au collège de France comme l'avait été Giordano Bruno, vont réintroduire en France l'atomisme.
Le transformisme ne date pas de Darwin mais débute au XVIIe siècle. Vanini écrit un livre sur les secrets de la nature où il explique que les hommes sont issus de la semence des guenons et des singes, en 1619. Ce n'est pas Darwin qui l'a inventé.
Evidemment, Giordano Bruno et Vanini étaient des lecteurs de Lucrèce, ils citent Empédocle, ils citent Démocrite, ils sont tous dans cette filiation philosophique qui date des présocratiques. Donc le transformisme sera repris par des Lumières, sera repris par Diderot.
Et Darwin va donner un sceau scientifique à la doctrine épicurienne. La doctrine épicurienne qui, avant, était une doctrine philosophique va devenir une doctrine scientifique. C'est très différent. La métaphysique de nos contemporains, qui ne croient qu'aux sciences dures, est donc validée par Darwin, par les sciences dures et par le néoplatonisme.
Si le monde est en évolution, si le monde évolue, il n'y a plus d'essence stable, contrairement à ce que nous disent Aristote et saint Thomas d'Aquin pour qui il y a des natures stables, des communautés stables. S'il n'y a plus aucune communauté stable, si l'homme change, si l'homme, hier, était un singe, et que, demain, il sera quelque chose de différent, il n'est pas stable dans l'histoire. S'il n'est pas stable dans l'histoire, pour éviter que les hommes s'entretuent, c'est là qu'intervient la démocratie. Pourquoi ? Parce qu'à l'échelle des hommes, l'évolution est d'abord sociale, c'est Teilhard de Chardin qui le dit, l'évolution se fait d'abord dans la société. Au niveau de la société, la démocratie a pour rôle de maintenir un instant de stabilité dans un monde qui change, et là vous expliquez la contradiction du souverain qui se soumet à la loi.
Que veut dire la souveraineté populaire ?
Cela veut dire que le peuple, à un instant donné, va se donner une loi pour favoriser le vivre ensemble mais pour un temps fini, cette loi n'a pas vocation à être éternelle, et cette loi a vocation à changer lorsque le peuple en aura décidé ainsi. Donc, la souveraineté populaire, c'est d'abord de dire qu'on ne dépend pas d'une loi naturelle qui aurait été donnée au monde, évidemment par Dieu. L'essence même de la démocratie est le fait de dire que l'on ne dépend pas de Dieu. Que le peuple souverain se soumette à la loi, c'est logique, c'est l'équivalent de quelqu'un qui se donne des règles, une hygiène de vie. C'est cela l'essence de la démocratie.
Le but, c'est de poursuivre le progrès car il est le dessein du monde, ce que Kant appelle le dessein de la nature. Le but, c'est que l'espèce humaine continue de progresser. Et pour qu'elle continue de progresser, il lui faut sa liberté de mouvement. Et la démocratie se veut un État de droit pour défendre la liberté.
Toutes les contradictions [de la démocratie] s'expliquent. La loi est gardienne de la liberté. Et cette liberté des individus doit favoriser le progrès de l'espèce.
Et pourquoi la démocratie est-elle une obligation morale ? Pourquoi la moralité est-elle de respecter la loi aujourd'hui ? Parce que la loi est la seule règle qui reste, il n'y a plus de loi dans la nature, il n'y a plus de règles morales naturelles, donc, il n'y a pas d'autre loi que ce que nous dit le droit, et cette loi va changer, et la seule chose qui compte, c'est que le progrès continue. Et la seule garantie que le progrès continue, c'est la démocratie elle-même. Et, c'est pour cela que la démocratie et ce qu'on appelle les valeurs républicaines sont les valeurs ultimes et les seules nécessaires au progrès de l'espèce humaine.
Mais, ce système démocratique issu de la philosophie des Lumières reste assez théorique, les lectures des grands auteurs comme Hobbes, Rousseau, Kant et Hegel sont difficiles, arides.
Les Lumières elles-mêmes appellent à leur secours la religion. La religion va être engagée par les Lumières au service de la démocratie.
C'est écrit noir sur blanc dans les livres de Kant. Kant écrit en 1797 un petit livre qui s'appelle "la religion dans les limites de la simple raison". Il explique que dans toutes les grandes religions, il y a deux choses. Il y a d'une part ce qu'il appelle la foi historique, les dogmes, les livres sacrés. Il dit que tout ceci, c'est de l'histoire, c'est très utile, il faut le cultiver, mais, au-delà, il y a ce qu'il appelle la foi de la raison, la foi rationnelle. Il y a des grands pans de vérité qui sont utiles et universels. Et ces grandes vérités sont communes à toutes les religions et seules ces grandes vérités sont valables. Et il faut savoir aller au-delà de ce qu'il appelle la foi historique pour dégager ces vérités rationnelles. C'est l'histoire de l'œcuménisme, le fait de dire qu'il existerait une sorte de religion transversale que l'on retrouverait dans toutes les religions historiques. C'est écrit noir sur blanc dans les livres de Kant, et a été repris par Hegel et par tout le monde, et par les grandes églises et notamment dans le catholicisme.
La déclaration "Dignitatis Humanae" du concile Vatican II reprend le concept de dignité de la personne humaine et de "règne des fins" de Kant. Aujourd'hui, les papes prônent à travers le monde une paix universelle entre les hommes. Encore hier en Egypte, le pape François a dit qu'il fallait la paix, que les religions s'entendent, qu'il n'y ait aucune violence au nom de Dieu. Il ne parle plus au nom d'une révélation mais pour favoriser la paix entre les hommes de toute religion. C'est le projet de la paix universelle des Lumières.
Luc Ferry nous explique que nous sommes à une époque merveilleuse où on humanise le divin, humaniser le divin, c'est expliquer que les religions historiques ne valent que par leur caractère rationnel, et on divinise l'humain, diviniser l'humain, c'est transformer les hommes grâce à des concepts ou des valeurs religieuses pour les amener à la démocratie. Luc Ferry a écrit un livre très intéressant qui s'appelle "L'Homme-Dieu ou le sens de la vie", et il explique qu'il y a dans les religions ce qu'il appelle les valeurs hors du monde qu'on ne trouve pas dans la nature. Et il écrit un livre sur saint Paul, "La tentation du christianisme". Il ne croit pas que saint Paul ait une révélation mais qu'il a un message d'amour des hommes qui est très utile. Il a aussi écrit un livre avec le cardinal Barbarin, "Quel devenir pour le christianisme". Or, Luc Ferry se présente vraiment comme un kantien orthodoxe, donc il ne croit pas vraiment en Dieu puisque pour lui Dieu est un concept de notre raison. Et dans une tribune, la semaine dernière, dans le Figaro, Luc Ferry nous explique que l'on vit dans un monde merveilleux, que l'on est beaucoup plus heureux aujourd'hui, que les Lumières ont amené le bonheur aux hommes malgré encore quelques imperfections.
Donc, voilà ce que je crois être l'essence de la démocratie, c'est une métaphysique du progrès.
[Fin de la conférence]
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Réponses à quelques questions suivant la conférence :
Il y a beaucoup d'éléments pour le penser. Le premier est que les Lumières au XVIIIe siècle nous ont promis des choses qui ne sont pas arrivées. Elles nous ont promis le bonheur, c'est en toutes lettres dans Kant. Kant nous dit que si on adopte le régime républicain, cela va être le bonheur universel. La raison d'être que donne Hobbes qui est le premier grand théoricien du régime républicain, c'est de dire qu'il n'y aura plus de guerres, ce sera la paix. Or, aujourd'hui, est-ce que le monde est véritablement meilleur ? Que voit-on ? On voit que des masses sont de plus en plus abruties par la télévision, les jeux vidéos, etc. On n'a pas l'impression que les hommes aient beaucoup progressé. On voit la planète abîmée, la pollution universelle, la disparition des espèces. Le monde politique n'est que corruption, mensonge, et d'ailleurs tout le monde s'en détourne, il y a beaucoup d'abstention, beaucoup de gens qui ne votent pas. La société est toujours plus idéologique. La démocratie est chaque jour plus policière, plus armée, et c'est normal parce qu'au nom du progrès, les atomes se mélangent, il faut donc toujours plus de brassage, plus de métissage, il faut mélanger les choses, mélanger les populations, mélanger les pays, et ça devient de plus en plus difficile. Parce que faire un contrat social au XVIIIe siècle entre les bretons et les auvergnats, ça allait à peu près, mais faire un contrat social entre les bretons et les musulmans du 93, c'est un peu plus difficile, donc, il faut augmenter les effectifs de police, et ça c'est inévitable, et Tocqueville l'avait vu. Tocqueville nous dit : "la démocratie va devenir chaque jour plus totalitaire", il nous met en garde. Et donc, aujourd'hui, on peut se poser la question : est-ce qu'on ne va pas vers une espèce de guerre civile ? Est-ce que la démocratie va continuer à fonctionner ?
Pour ma part, je vais être un peu dur, mais je pense que la démocratie va continuer parce que l'alternative à la démocratie, c'est la philosophie d'Aristote, la philosophie de saint Thomas, c'est quelque part Jésus-Christ, c'est l'ordre de la nature, c'est Dieu. Mais, aujourd'hui, personne ne veut ça, personne, même pas les chrétiens ! Les chrétiens n'en veulent pas. Personne ne prône un retour à la nature. J'ai eu l'occasion de parler à Mme Lepen, je lui ai demandé pourquoi elle ne mettait pas en avant le concept d'ordre naturel. C'était extrêmement populaire, peu de temps après la Manif pour tous. Je lui ai donc dit qu'il suffisait de parler d'ordre naturel. Elle m'a répondu : "vous ne verrez jamais ça dans mon programme" !
Alors, comme il n'y a pas d'alternative, ou qu'en tout cas, l'alternative, personne n'en veut, je pense que la démocratie va continuer. Et, elle va continuer dans un monde qui va devenir encore plus dur. Je pense que la démocratie va devenir encore plus idéologique. Je ne sais pas si dans 10 ans, je pourrai faire la conférence que je vous fais aujourd'hui.
Alors, est-ce que l'on doit participer à cette démocratie ?
C'est la question de la démocratie chrétienne. Depuis 200 ans, les chrétiens disent qu'il faut y participer, qu'il faut présenter des candidats aux élections, voter et essayer de faire passer les idées, ils y ont été encouragés par Léon XIII. En fait, Léon XIII proposait un changement de tactique, il disait qu'il fallait christianiser la République, qu'il fallait transformer ce régime démocratique républicain en régime chrétien, et il condamnait de façon très solennelle la souveraineté populaire. Mais cela n'a pas eu lieu, le christianisme n'a fait que reculer. Aujourd'hui, il y a beaucoup moins de chrétiens qu'il n'y en avait à la fin du XIXe siècle.
Alors, pour ceux qui sont attachés à l'ordre de la nature, mon modeste avis est de dire qu'il faut aider les gens à bien penser, à être lucide sur ce qui se passe, et moi je ne vote pas car je considère que ce régime est vraiment intrinsèquement pervers. Je pense que ce qui a peut-être manqué à l'analyse de Léon XIII, avec le recul d'aujourd'hui, c'est cette synthèse des Lumières qui mènent au panthéisme. Les papes l'ont vu. Quand vous relisez les constitutions de Vatican I, c'est très remarquable, tous les travaux dogmatiques de Vatican I portent sur le panthéisme. C'est très intéressant. On y dénonce le panthéisme de la philosophie moderne, et on oppose au panthéisme l'infaillibilité pontificale. Et la lettre sur le Sillon, de saint Pie X, parle du panthéisme. Donc, les papes ont bien fait cette synthèse d'une philosophie moderne qui considérait que Dieu n'existait plus mais ils ont pensé qu'on pourrait quand même imaginer une démocratie avec Dieu. Je pense pour ma part que l'on ne parviendra pas à transformer cette démocratie. On parviendra, je l'espère, à convertir les hommes, à les convaincre que le système auquel ils adhèrent est faux, que sa philosophie est fausse, et qu'il faut concevoir un autre ordre politique.
Après, chacun fait ce qu'il veut, cela ne change pas grand'chose parce que de toute manière le vrai pouvoir de la démocratie n'est pas dans les élections.
Une personne assistant à la conférence déclare à la fin de la conférence que l'on est dans l'hérésie universelle, que le combat est essentiellement eschatologique, et non pas politique, et que l'on est sur plan surnaturel et non pas naturel.
Voici le commentaire de Maxence Hecquard :
Le livre fondateur de Hobbes est intitulé "Le Léviathan". C'est le livre qui a inspiré le contrat social de Rousseau, un livre majeur de l'histoire de la philosophie moderne. Le Léviathan est le dragon de la Bible, et je pense que la démocratie est la bête qui sort de la mer dans l'Apocalypse, la mer symbolisant les peuples.
Dans un commentaire de l'Apocalypse et du livre de Daniel, et de la statue de la vision de Nabuchodonosor en particulier, saint Hippolyte écrit en l'an 202 que les orteils [de glaise et de fer mélangés à de la semence humaine] de la statue symbolisent les démocraties de la fin des temps.
Il y a donc pour moi une dimension religieuse dans la démocratie.
De fait, aujourd'hui, le Christ est toujours le point cardinal autour duquel se font tous les débats. Quand le parti Sens Commun ne veut pas se rallier à Macron, c'est parce que Sens Commun veut garder une loi naturelle, et la loi naturelle peut être incarnée par le Christ. Et dernier point, je dis dans mon livre que la démocratie est une hérésie sur le plan catholique et je ne suis pas le premier à l'avoir dit. L'encyclique "Pascendi" du pape saint Pie X considère que la démocratie populaire est une hérésie, comme d'autres papes. Et l'abbé Maignen, en 1892, a fait une petite brochure pour dire que la démocratie est une hérésie.