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Biographies des papes - Catholic Encyclopedia 1913

Innocent III

(LOTHAIRE DE CONTI)

L'un des plus grands papes du Moyen-Age, fils du Comte Trasimond de Segni et neveu de Clément III, né en 1160 ou 1161 à Anagni et décédé le 16 juin 1216 à Pérouse.

Il reçut la première instruction à Rome, étudia la théologie à Paris, la jurisprudence à Bologne, et devint un théologien érudit et l'un des plus grands juristes de son temps. Peu après la mort d'Alexandre III (le 30 août 1181), Lothaire rentra à Rome et exerça diverses charges ecclésiastiques durant les courts règnes de Lucien III, Urbain III, Grégoire VIII et Clément III. Le pape Grégoire XIII l'ordonna sous-diacre et Clément III le fit cardinal-diracre de Saint-George à Velabro et des Saints-Serge-et-Bacchus en 1190. Il devint ensuite cardinal-prêtre de Ste-Prudence. Durant le pontificat de Célestin III (1191-1198), qui était un Orsini (les Orsini étant les ennemis des comtes de Segni), il se retira, probablement à Anagni, consacrant son temps principalement à la méditation et aux recherches littéraires. Célestin III mourut le 8 janvier 1198. Avant sa mort, il avait ordonné au Sacré-Collège d'élire Giovanni di Colonna pour lui succéder; mais Lothaire de Conti fut élu pape à Rome, le jour même de la mort de Célestin III. Il accepta difficilement la tiare et prit le nom d'Innocent III. Lors de son accession au trône papal, il n'avait que trente-sept ans. Le trône impérial était devenu vacant depuis la mort d'Henry VI en 1197, et son successeur n'avait pas encore été désigné. Le pape, habile et énergique, sut mettre à profit l'opportunité que lui offrait cette vacance pour restaurer le pouvoir pontifical à Rome et dans les Etats de l'Eglise. Le Préfet de Rome, qui régnait sur la cité comme représentant de l'empereur, et le sénateur représentant les droits communaux et les privilèges de Rome, firent serment d'allégeance à Innocent. Quand il eut ainsi rétabli l'autorité papale sur Rome, il profita de toutes les opportunités pour mettre en pratique la haute idée qu'il se faisait de la papauté. L'Italie était fatiguée d'être dirigée par des bandes d'aventuriers germaniques, et le pape eut ainsi peu de difficulté à étendre son pouvoir politique sur toute la péninsule. Tout d'abord, il envoya à Markwuld deux cardinaux-légats pour exiger la restitution de la Romanie et des marches d'Ancône à l'Eglise. Sur sa réponse évasive, Markwuld fut excommunié par les deux légats et chassé par les troupes pontificales. De la même façon, le Duché de Spolète et les districts d'Assise et de Sora furent arrachés au chevalier allemand, Conrad von Uerslingen. La ligue qui avait été formée entre les cités de Toscane fut ratifiée par le pape dès qu'elle l'eut reconnu comme suzerain.

Le mort de l'empereur Henry VI laissa son jeune fils de quatre ans, Frédéric II, Roi de Sicile. La veuve de l'empereur, Constance, qui dirigeait la Sicile pour le compte de son jeune fils, fut incapable de maîtriser les barons normands de Sicile qui, pleins de ressentiment envers la direction germanique de leur royaume, refusèrent de reconnaître comme roi le jeune enfant. Constance en appela à Innocent III pour sauver le trône sicilien de son fils. Le pape profita de cette opportunité pour restaurer la suzeraineté papale sur la Sicile et ne reconnut Frédéric comme roi qu'après que Constance eut rendu certains privilèges contenus dans le livre dit des Quatre Chapitres, que Guillaume Ier avait autrefois obtenus d'Adrien IV (1154-1159). Alors, le pape investit solennellement Frédéric II comme roi de Sicile dans une bulle publiée vers la mi-novembre 1198. Avant que la bulle ne parvînt en Sicile, Constance mourut, mais avant sa mort elle avait nommé Innocent comme tuteur de l'enfant-roi. C'est avec la plus grande fidélité que le pape veilla sur l'héritage de son protégé durant les neuf années de sa minorité. Même les ennemis de la papauté admettent qu'Innocent fut un tuteur généreux et attentif envers le jeune roi, et que nul n'eût pu mieux s'acquitter de cette mission qu'il ne le fit. Pour protéger le roi inexpérimenté contre ses ennemis, il le poussa en 1209 à épouser Constance, la veuve du roi Emric de Hongrie.

Les circonstances se révélaient extrêmement favorables pour l'application de l'idée d'Innocent concernant les relations entre la papauté et l'empire. Après la mort d'Henry VI une double élection s'ensuivit. Les Gibelins avaient élu Philippe de Souabe le 6 mars 1198, tandis que les Guelfes avaient élu Otton IV, fils d'Henry le Lion et neveu du Roi Richard d'Angleterre, en avril de la même année. Le premier fut couronné à Mayence le 8 septembre 1198, le dernier à Aix-La-Chapelle le 12 juillet 1198. Dès son accession au trône papal, Innocent avait envoyé l'évêque de Sutri et l'abbé de Saint Anastase comme légats en Allemagne, avec pour instructions de libérer Philippe de Souabe du bannissement qu'il avait encouru sous Célestin III, à condition qu'il libérât la reine emprisonnée Sibylle de Sicile, et restituât les territoires qu'il avait enlevés à l'Eglise lorsqu'il était duc de Toscane. Quand les légats arrivèrent en Allemagne, Philippe avait déjà été élu roi. Répondant aux souhaits de Philippe, l'évêque de Sutri le libéra secrètement du ban contre la simple promesse d'accorder les conditions demandées. Après son couronnement, Philippe renvoya les légats à Rome, munis de lettres demandant la ratification de son élection; mais Innocent se trouva mécontent de l'action de l'évêque de Sutri et refusa de ratifier l'élection. Otton IV envoya lui aussi des légats au pape après son couronnement à Aix-La-Chapelle, mais avant que le pape ait pu entreprendre quoi que ce soit, les deux prétendants au trône d'Allemagne commencèrent à affirmer leur droit par la force des armes. Bien que le pape ne prît officiellement position ni pour l'un, ni pour l'autre, il était évident que sa sympathie allait à Otton IV. Le 3 juillet 1201, le légat papal, le Cardinal-Evêque Guy de Palestine, annonçait au peuple, dans la cathédrale de Cologne, qu'Otton IV avait été approuvé par le pape comme roi de Rome et menaçait d'excommunication quiconque refuserait de le reconnaître. Innocent III établit clairement, pour les princes allemands, par le décret Venerabilem qu'il adressa au duc de Zähringen en mai 1202, dans quelle relation il entendait que l'empire soutienne la papauté. Ce décret, devenu célèbre, fut ensuite intégré au Corpus Juri Canonici. On le trouve dans Baluze, Registrum Innocentii III super negotio Romani Imperii, N°LXII, et il est réédité dans P. L., CCXVI, 1065-7. Les principaux points de ce décret sont les suivants:

  • Les princes allemands ont le droit d'élire le roi, qui doit ensuite devenir empereur.
  • Ce droit leur a été donné par le Siège Apostolique lorsqu'il transféra la dignité impériale des Grecs aux Allemands en la personne de Charlemagne.
  • Le droit d'investiguer et de décider si un roi ainsi élu est digne de la charge impériale appartient au pape, dont le rôle est de l'oindre, de le consacrer et de le couronner; sans quoi il pourrait arriver que le pape fût obligé d'oindre, de consacrer et de couronner un roi qui serait excommunié, hérétique ou païen.
  • Si le pape estime indigne de la charge impériale le roi élu par les princes allemands, les princes doivent élire un nouveau roi ou, s'ils refusent, le pape confèrera la dignité impériale à un autre roi; car l'Eglise a besoin d'un souverain et d'un défenseur.
  • En cas de double élection, le pape doit exhorter les princes à s'entendre. Si après une durée raisonnable ils n'ont pu parvenir à un accord, ils doivent demander l'arbitrage du pape, lequel doit, de son libre arbitre et en vertu de sa charge, se déclarer en faveur de l'un des prétendants. La décision du pape ne doit pas se fonder sur la plus ou moins grande légalité de leur élection, mais sur les qualités des requérants.

L'exposition par Innocent de sa théorie concernant la relation entre la papauté et l'empire fut acceptée par beaucoup de princes, comme le laisse penser le soudain regain d'adhésions à la cause d'Otton après la publication du décret. Si après 1203 la majorité des princes se remit du côté de Philippe, c'est à cause d'Otton lui-même, qui était très susceptible et offensait souvent ses meilleurs amis. Innocent, inversant sa décision, se déclara en faveur de Philippe en 1207, et envoya les cardinaux Hugolin d'Ostie et Léon de Sainte-Croix en Allemagne avec pour instructions de tenter de pousser Otton à renoncer à ses prétentions au trône, et avec le pouvoir de libérer Philippe de son bannissement. Le meurtre du roi Philppe par Otton de Wittelsbach le 21 juin 1208 changea entièrement la situation politique en Allemagne. A la diète de Francfort, le 11 novembre 1208, Otton fut reconnu comme roi par tous les princes, et le pape l'invita à Rome pour y recevoir la couronne impériale. Il fut couronné empereur dans la Basilique Saint-Pierre de Rome le 4 octobre 1209. Avant son couronnement il avait solennellement promis de laisser pacifiquement à l'Eglise la possession de Spolète, d'Ancône et du don de la comtesse Matilde; d'assister le pape dans l'exercice de sa suzeraineté sur la Sicile, de garantir la liberté des élections ecclésiastiques, le droit sans restriction de faire appel au pape et la compétence exclusive de la hiérarchie ecclésiastique en matière spirituelle; il avait, de plus, renoncé au regalia et au jus spolii, c'est à dire au droit de disposer des revenus des sièges vacants et de saisir les biens des ecclésiastiques intestats. Il promit aussi d'aider le clergé à extirper l'hérésie. Mais à peine fut-il couronné empereur qu'il prit Ancône, Spolète, le don de Matilde et d'autres propriétés de l'Eglise, les donnant comme vassalités à quelques-uns de ses amis. Il s'unit aussi aux ennemis de Frédéric II et envahit le royaume de Sicile en vue d'en déposséder et le jeune roi et la suzeraineté pontificale. Comme Otton refusait d'entendre les remontrances d'Innocent, ce dernier l'exommunia le 18 novembre 1210 et proclama solennellement cette excommunication lors d'un synode romain tenu le 31 mars 1211. Le pape s'affaira alors à traiter avec Philippe Auguste et les princes allemands, avec pour résultats que la plupart des princes renoncèrent à soutenir l'empereur excommunié et élurent à sa place le jeune Frédéric II de Sicile, à la Diète de Nuremberg en septembre 1211. L'élection fut renouvelée en présence d'un représentant du pape et de Philippe Auguste, roi de France, à la Diète de Francfort, le 2 décembre 1212. Après avoir fait au pape quasiment les mêmes promesses qu'avait faites Otton IV, avec en plus, le serment solennel de ne jamais unir la Sicile à l'empire, son élection fut ratifiée par Innocent et il fut couronné à Aix-La-Chapelle le 12 juillet 1215. L'empereur déposé Otton IV se précipita en Allemagne dès l'élection de Frédéric II, mais reçut peu de soutien parmi les princes. Il s'allia à Jean d'Angleterre pour faire la guerre au roi Philippe de France, mais il fut défait à la bataille de Bouvines le 27 juillet 1214. Il perdit alors toute influence en Allemagne et mourut le 19 mai 1218, laissant le protégé du pape, Frédéric II, empereur incontesté. Quand Innocent monta sur le trône papal, une guerre cruelle était engagée entre Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion. Le pape considéra de son devoir, comme autorité suprême de la chrétienté, de mettre un terme aux hostilités entre princes chrétiens. Peu après son accession il envoya en France le cardinal Pierre de Capoue avec pour instructions de menacer les deux rois d'interdit s'ils ne parvenaient pas, dans les deux mois, à conclure la paix ou au moins à conclure une trève de cinq ans. En janvier 1198, les deux rois se rencontrèrent entre Vernon et Andely, et une trève de cinq ans fut conclue. Le même légat eut également pour instruction de menacer Philippe Auguste d'interdit sur toute la France si dans un délai d'un mois il ne se réconciliait pas avec son épouse légitime, Isambour de Danemark, qu'il avait rejetée et remplacée par Agnès, fille du duc de Meran. Comme Philippe ne fit aucun cas de la menace papale, Innocent, mettant sa menace à exécution le 12 décembre 1199, frappa d'interdit la France entière. Pendant neuf mois le roi refusa de se soumettre, mais quand les barons et le peuple commencèrent à entrer en rébellion contre lui, il renvoya finalement sa concubine et l'interdit fut levé le 7 septembre 1200. Ce n'est cependant qu'en 1213 que le pape réussit à obtenir la réconciliation finale entre le roi et son épouse légitime, Isambour.

Innocent eut aussi l'opportunité d'affirmer les droits papaux en Angleterre. Après la mort de l'archevêque Hubert de Canterbury, en 1205, nombre de jeunes moines de l'Eglise du Christ se rassemblèrent secrètement de nuit et élurent leur sous-prieur, Reginald, comme archevêque. Cette élection eut lieu sans la présence de l'évêque et sans l'autorité du roi. Reginald se vit demander de ne pas divulguer son élection avant la ratification pontificale. Mais, sur la route de Rome, le moine vaniteux se para du titre d'archevêque-élu, et ainsi le corps épiscopal de la province Canterbury eut vent de l'élection secrète. Les évêques envoyèrent aussitôt Pierre d'Angelsham pour les représenter auprès du pape Innocent pour protester contre les manières hétérodoxes des moines de l'Eglise du Christ. Les moines furent aussi très déçus par Reginald parce que, contrairement à sa promesse, il avait divulgué son élection. Ils procédèrent à une seconde élection et, le 11 décembre 1205, portèrent leurs voix sur le favori royal, Jean de Grey, que le roi avait recommandé à leurs suffrages. Dans la controverse entre les moines de l'Eglise du Christ et les évêques d'Angleterre, concernant le droit d'élire l'archevêque de Canterbury, le pape trancha en faveur des moines, mais dans le cas présent il déclara invalides les deux élections: Celle de Réginald parce qu'elle n'avait pas été faite dans les règles et de plus clandestinement, celle de Jean de Grey parce qu'elle était intervenue avant que le pape n'eût déclarée invalide la première. Pas même le roi Jean, qui offrit à Innocent la somme de 300 marcs s'il décidait en faveur de Jean de Grey, ne put faire revenir le pape sur sa décision. Innocent ordonna aux moines de Canterbury qui se trouvaient à Rome de procéder à une nouvelle élection, et recommanda à leurs suffrages Stephen Langton, un Anglais, que le pape avait appelé à Rome depuis le rectorat d'université de Paris afin de le faire cardinal. Il fut dûment élu par les moines et le pape lui-même le consacra archevêque à Viterbe le 17 juin 1207. Innocent informa le roi Jean de l'élection de Langton et lui demanda d'accepter le nouvel archevêque. Le roi, toutefois, avait fixé son choix sur son favori, Jean de Grey, et refusa tout net de laisser Langton rentrer en Angleterre en tant qu'archevêque de Canterbury. De plus, il assouvit sa vengeance sur les moines de l'Eglise du Christ en les chassant de leur monastère et en prenant possession de leurs biens. Innocent plaça alors tout le royaume sous interdit, par proclamation solennelle le 24 mars 1208. Comme cette mesure se montra sans effet et que le roi se mit à pourchasser cruellement les membres du clergé, le pape l'exommunia en 1209, et le déposa formellement en 1212. Il confia au roi Philippe de France l'exécution de la sentence. Quand Philippe menaça d'envahir l'Angleterre et que les seigneurs féodaux et le clergé commencèrent à abandonner le roi Jean, ce dernier fit sa soumission à Pandulph, que le pape avait envoyé comme légat en Angleterre. Il promit de reconnaître Langton comme archevêque de Canterbury, d'autoriser les évêques et prêtres exilés à rentrer en Angleterre, et à fournir une compensation pour les spoliations dont l'Eglise avait été victime. Il alla même plus loin, et le 13 mai 1213, probablement sur sa propre initiative, il remit le royaume d'Angleterre entre les mains du pape par l'intermédiaire de Pandulph, pour qu'Innocent le lui remette à titre de fief. Le document de sa reddition stipule que depuis lors les rois d'Angleterre gouvernaient comme vassaux du pape et devaient lui payer un tribut annuel de mille marcs. Le 20 juilet 1213, le roi fut solennellement libéré du ban à Winchester et, après que le clergé se fit rembourser de ses pertes, l'interdit sur l'Angleterre fut levé le 29 juin 1214. Il semble que bien des barons se sentirent frustrés de l'abandon de l'Angleterre aux mains du pape. Ils étaient aussi amers contre les réductions successives que le roi imposait à leurs libertés, et contre les nombreuses injustices qu'il commettait envers le peuple. Ils eurent finalement recours à la violence et le forcèrent à satisfaire leurs exigences en apposant son sceau sur la Magna Charta. Innocent ne pouvait, en tant que suzerain de l'Angleterre, autoriser un contrat qui imposait d'aussi sérieuses olbigations à son vassal sans que son consentement ne fût requis. Son légat Pandulph avait constamment loué devant le pape la sagesse et la loyauté de Jean comme vassal du Saint Siège. C'est pourquoi le pape déclara la Grande Charte nulle et non avenue, non parce qu'elle donnait trop de libertés aux barons et au peuple, mais parce qu'elle avait été obtenue par la violence.

Il n'y eut pratiquement aucun pays d'Europe où Innocent III ne parvînt en quelque manière à affirmer la suprématie qu'il revendiquait pour la papauté. Il excommunia Alphonse IX de Léon, pour avoir épousé une proche parente, Bérengère, fille d'Alphonse VIII, contrairement aux lois de l'Eglise, et obtint leur séparation en 1204. Pour des raisons similaires il annula en 1208 le mariage du prince couronné Alphonse de Portugal avec Urraca, fille d'Alphonse de Castille. De Pedro II d'Aragon, il reçut son royaume comme vassalité et le couronna roi à Rome en 1204. Il prépara une croisade contre les Maures et vécut assez pour voir leur puissance défaite en Espagne à la bataille de Navas de Tolosa, en 1212. Il protégea le peuple de Norvège contre son roi tyrannique Sverri, et après la mort du roi, se posa en arbitre entre les deux prétendants au trône norvégien. Il exerça une médiation entre le roi Emeric de Hongrie et son frère rebelle, André, envoya la couronne et le sceptre au roi Johannitius de Bulgarie, et le fit couronner par son légat Tirnovo en 1204; il restaura la discipline ecclésiastique en Pologne; arbitra entre les deux prétendants à la couronne de Suède; obtint des succès partiels dans sa tentative pour réunir l'église grecque à l'Eglise de Rome et étendit son influence bénéfique sur pratiquement toutes les contrées du monde chrétien. Comme beaucoup de papes précédents, Innocent eut à cœur la reconquête de la terre sainte, et dans ce but il organisa la quatrième croisade. Les Vénitiens s'étaient proposés de transporter toute l'armée chrétienne et de fournir à la flotte des provisions pour neuf mois, contre 85.000 marcs. Comme les croisés furent incapables de payer la somme, les Vénitiens leur proposèrent de prendre eux-mêmes à charge cette somme, à condition que les croisés les aident à conquérir la ville de Zara. Les croisés acédèrent à cette demande et la flotte partit de l'Adriatique le 8 octobre 1202. Zara avait à peine été vaincue qu'Alexis Comnène arriva au camp des croisés et leur demanda de l'aider à prendre la place de son père, Isaac Angèle, sur le trône de Constantinople dont celui-ci avait été dépossédé par son cruel frère Alexis. En retour il promit de réunir l'Eglise Grecque à l'Eglise Latine, d'ajouter 10.000 soldats aux rangs des croisés, et de contribuer par des vivres et de l'argent aux besoins de la croisade. Les Vénitiens, qui voyaient un grand avantage commercial dans la prise de Constantinople, poussèrent les croisés à accéder aux prières d'Alexis, et les croisés prirent Constantinople en 1204. Isaac Angèle fut rétabli sur son trône, mais bientôt remplacé par un usurpateur. Les croisés prirent Constantinople une seconde fois le 12 avril 1204 et, après un horrible pillage, Baudoin, comte de Flandres, fut proclamé empereur et l'Eglise Grecque fut unie à l'Eglise Latine. La réunion, ainsi que l'empire latin d'Orient, ne dura pas plus de deux générations. Quand le pape Innocent apprit que les Vénitiens avaient détourné les croisés de leur but de conquérir la Terre Sainte, il exprima sa grande réprobation, d'abord contre la conquête de Zara, puis, lorsqu'ils s'avisèrent de prendre Constantinople, il protesta solennellement et excommunia finalement les Vénitiens qui avaient causé ce détournement des croisés de leur mission originale. Toutefois, ne pouvant défaire ce qui avait été fait, il fit tout son possible pour éradiquer le shcisme grec et latiniser l'Empire d'Orient.

Innocent fut aussi un protecteur zélé de la vraie foi et un adversaire implacable de l'hérésie. Sa principale activité fut tournée contre les albigeois qui étaient devenus si nombreux et agressifs qu'ils ne se contentaient plus d'être des adhérents de l'hérésie, mais qu'ils essayaient à présent de propager leur hérésie par la force. Ils étaient particulièrement nombreux dans quelques cités du Nord et du Sud de la France. Pendant la première année de son pontificat, Innocent envoya deux moines ciscterciens, Rainer et Guido, pour prêcher aux albigeois la vraie foi et discuter avec eux sur les points de religion qu'ils plaçaient en controverse. Les deux cisterciens furent bientôt suivis par Diego, évêque d'Osma, puis par saint Dominique et les deux légats pontificaux, Pierre de Castelnau et Raoul. Quand, toutefois, ces misionnaires pacifiques furent ridiculisés et méprisés par les albigeois, et que le légat papal de Castelnau fut assassiné en 1208, Innocent se résolut à employer la force. Il ordonna aux évêques du Sud de la France de frapper d'interdit les participants au meurtre et toutes les villes qui leur porteraient assistance. Il était particulièrement révolté contre le comte Raymond de Toulouse qui avait été auparavant excommunié par le légat assassiné et que, pour de bonnes raisons, Innocent soupçonnait d'être l'instigateur du meurtre. Le comte protesta de son innocence et se soumit au pape, probablement par lâcheté, mais le pape n'avait plus aucune confiance en lui. Il appela la France à lever une armée pour la suppression des albigeois. Sous la direction de Simon de Montfort, une campagne cruelle s'ensuivit contre les albigeois qui, en dépit des protestations d'Innocent, tourna bientôt à la guerre de conquête. Le point culminant dans le glorieux règne d'Innocent fut la convocation du quatrième concile du Latran, qu'il ouvrit solennellement le 15 novembre 1215. Ce fut de loin le plus important concile du Moyen-Age. Outre la décision d'une croisade générale en Terre Sainte, il publia soixante-dix décrets de réforme, dont le premier était un credo contre les albigeois et les gaudensois, dans lequel le terme de « transsubstantiation » recevait sa première mention ecclésiastique.

Les travaux d'Innocent dans le gouvernement interne de l'Eglise apparaissent comme tout à fait secondaires quand on les compare à ses grandes réalisations politico-ecclésiastiques qui hissèrent la papauté au zénith de sa puissance. Pourtant ils sont dignes de mémoire et ont apporté leur contribution à la gloire de son pontificat. Durant son règne les deux grands fondateurs des ordres mendiants, St Dominique et St François, exposèrent devant lui leur plan de réforme du monde. Innocent n'était pas aveugle face aux vices de luxure et d'indolence qui avaient infecté de nombreux clercs et une partie des laïcs. En Dominique et François il sut reconnaître deux puissants adversaires de ces vices et il accueillit leurs projets par des paroles d'encouragement. Les ordres religieux de moindre importance qu'il approuva sont ceux des Hospitaliers du Saint Esprit le 23 avril 1198, les Trinitaires le 17 décembre 1198, et les Humiliati en juin 1201. En 1209 il chargea le moine cistercien, Christian, qui devint ensuite évêque, de la conversion des barbares prussiens. A Rome il construisit le célèbre hôpital Santo Spirito in Sassia, qui devint le modèle de toutes les futures cités hospitalières et existe encore à l'heure actuelle (cf. Walsh, The Popes and Science, New York, 1908, p. 249-258;). Les saints qui suivent furent canonisés par Innocent : Homobonus, marchand de Crémone, le 12 janvier 1199; l'impératrice Cunégonde, le 3 mars 1200; Guillaume, duc d'Aquitaine en 1202; Wulstan, évêque d'York, le 14 mai 1203; Procope, abbé de Prague, le 2 juin 1204; et Guibert, le fondateur du monastère de Gembloux, en 1211.

Innocent mourut à Pérouse, alors qu'il parcourait l'Italie en vue de préparer la croisade qui avait été décidée par le concile du Latran. Il fut enterré à la cathédrale de Pérouse, où son corps demeura jusqu'à Léon XIII, grand admirateur d'Innocent, qui le fit transférer au Latran en décembre 1891. Innocent est aussi l'auteur de nombreux ouvrages littéraires réédités en P. L., CCXIV-CCXVIII, où l'on peut aussi trouver de nombreuses lettres et décrets de sa main ainsi que l'ouvrage d'importance historique Registrum Innocentii III super negotio imperii. Son premier ouvrage, De contemptu mundi, sive de miseria conditionis humanæ libri III (P. L., CCXVII, 701-746) fut écrit pendant qu'il vécut retiré du monde, sous le pontificat de Célestin III. C'est un traité ascétique, qui prouve la profonde piété d'Innocent et sa grande connaissance des hommes. A ce sujet, voir Reinlein Papst Innocenz der dritte und seine Schrift 'De contemptu mundi' (Erlangen, 1871). Son traité, De sacro altaris mysterio libri VI (P. L., CCXVII, 773-916) est d'une haute portée liturgique, parce qu'il représente la messe romaine telle qu'elle était au temps d'Innocent. Cf. Franz, Die Messe im deutschen Mittelalter (Freiburg, 1902), 453-457. Il a été constamment réimprimé, et traduit en allemand par Hurter (Schaffhausen, 1845). il a aussi écrit De quadripartita specie nuptiarum (P. L., CCXVII, 923-968), un exposé sur le quadruple lien du mariage, nommément:

  • Entre l'homme et la femme,
  • Entre le Christ et l'Eglise,
  • Entre Dieu et l'âme du juste.
  • Entre le monde et la nature humaine.

Ce traité est entièrement fondé sur des passages des Saintes Ecritures.

Commentarius in septem psalmos pœnitentiales (P. L., CCXVII, 967-1130) est un traité d'origine douteuse. Parmi ses soixante-dix sermons, (ibidem, 314-691) se trouve le célèbre sermon sur le texte Desiderio desideravi (Luc, xxii, 15), qu'il fit lors du quatrième concile du Latran.


Gesta Innocentii, écrit par un contemporain anonyme, edité avec d'intéressantes notes critiques par BALUZE (Paris, 1686). La Gesta fut aussi éditée par MURATORI in Rerum ltalicarum Scriptores ab anna 500 ad 1500, III (Milan, 1723-51), i, 480 sq., et réimprimée in P. L., CCXIV, cviii-ccxxxviii. En ce qui concerne leur valeur historique, cf. ELKAN, Die Gesta Innocentii III. im Verhältniss zu den Regesten desselben Papstes (Heidelberg, 1876). Les principales sources modernes sont : HURTER, Geschichte des Papstes Innocenz III. und seiner Zeitgenossen (4 vols., Hainburg, 1841-4); Les six études suivants par LUCHAIRE, toutes publiées à Paris: Innocent III, Rome et l'Italie (1904); Innocent III, la croisade des Albigeois (1905); Innocent III, la papauté et l'empire (1906); Innocent III, la question d'Orient (1907): Innocent III, les royautés vassales du Saint-Siège (1908); Innocent III, le concile de Latran et la réforme de l'église (1908); BARRY, The Papal Monarchy (New York, 1903), 282-332; JORRY, Histoire du Pape Innocent III (Paris, 1853); DELISLE, Mémoire sur les actes d'Innocent III, suivi de l'itinéraire de ce pontife (Paris, 1857); DEUTSCH, Papst Innocenz III. und sein Einfluss auf die Kirche (Breslau, 1876); GASPARLIN, Innocent III, le siège apostolique, Constantin (Paris, 1875); SCHWEMER, Innocenz III. und die deutsche Kirche während des Thronstreites von 1198-1208(Strasbourg, 1882); LINDEMANN, Kritische Darstellung der Verhandlungen Innocenz III. mit den deutschen Gegenkönigen (Magdebourg, 1885); ENGELMANN, Philipp von Schwaben und Innocenz III. während des deutschen Thronstreites (Berlin, 1896); WINKELMANN, Philipp von Schwaben und Otto IV. (2 vols., Leipzig, 1873-8); MOLITOR, Die Decretale « Per venerabilem » von Innocenz III. und ihre Stellung im öffentlichen Rechte der Kirche (Münster, 1876) ; GÜTSCHOW, Innocenz III. und England (Munich, 1904); NORGATE, John Lackland (New York, 1902); GASQUET, Henry the Third and the Church (Londres, 1905), 1-26; LINGARD, History of England, II (Edimbourg, 1902), 312-376; PIRIE-GORDON, Innocent the Great (Londres, 1907), quelque peu fantaisiste; NORDEN, Papsttum und Byzanz (Berlin, 1903), 133-238; HILL, A History of European Diplomacy, I (New York, 1905), 313-331; MULLANY, Innocent III in American Catholic Quarterly Review, XXXII (Philadelphie, 1907), 25-48; FEIERFEIL, Innocenz III. und seine Beziehungen zu Böhmen (Teplitz, 1905) ; BÖHMER, Regesta imperii, V.; Die Regesten des Kaiserreiches unter Philipp, Otto IV., Friedrich II., Heinrich (VII.), Konrad IV., Heinrich Raspe, Wilhelm und Richard, 1198-1272, récemment édité par FICKER et WINKELMANN (Innsbruck, 1881-1901).

MICHAEL OTT
Tiré de "Catholic Encyclopedia", copyright © 1913 by the Encyclopedia Press, Inc. Traduction française : Bertrand Blochet, Avril 2004.