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666, le nombre de l'humanisme

Auteur(s) : Recatho
Thème(s) : Philosophie, Révolution / Modernité / Démocratie / Antéchrist / Eschatologie
Nature : Article
Origine : Réaction du 13 août 2023 de Recatho après les déclarations de François au périodique espagnol Vida Nueva lors des JMJ 2023.
 

Sommaire

Introduction

666 est le nombre de la Bête dans le dernier livre de la Bible, le livre de l’Apocalypse. Depuis la Révélation, de nombreux exégètes se sont intéressés à ce nombre 666. Comme il est dit qu’il s’agit d’un nombre d’homme, beaucoup ont cherché des noms de personnes pouvant correspondre en utilisant la gématrie. Or, de nombreux noms peuvent correspondre. On ne peut donc pas identifier la bête avec ces techniques de gématrie.

De plus, la bête est un collectif, elle désigne l’ensemble des hommes mauvais, le corps mystique du diable, sachant que le dragon est le diable. Il ne semble donc pas pertinent de rechercher un individu dont le nom donne 666 en gématrie.

En revanche, ce nombre 666 est particulier car il est constitué de trois six, il est symbolique, et nous allons nous intéresser à son sens mystique afin de le rapprocher avec l’humanisme, terme que nous aurons préalablement défini.

Le nombre 666 dans le livre de l’Apocalypse

Livre de l’Apocalypse, chapitre 13 :

Source : https://www.recatho.com/sainte-bible/glaire-et-vigouroux/livre-de-l-apocalypse#13-11

11 Je vis une autre bête montant de la terre ; elle avait deux cornes semblables à celle de l’Agneau, et elle parlait comme le dragon.12 Elle exerçait toute la puissance de la première bête en sa présence, et elle fit que la terre et ceux qui l’habitent adorèrent la première bête dont la plaie avait été guérie.13 Elle fit de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre en présence des hommes.14 Et elle séduisit ceux qui habitaient sur la terre par les prodiges qu’elle eut le pouvoir de faire en présence de la bête, disant aux habitants de la terre de faire une image à la bête qui a reçu une blessure du glaive, et qui a conservé la vie.15 Il lui fut même donné d’animer l’image de la bête, de faire parler l’image de la bête, et de faire que tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête seraient tués.16 Elle fera encore que les petits et les grands, les riches et les pauvres, les hommes libres et les esclaves, aient tous le caractère de la bête en leur main droite et sur leur front ;17 Et que personne ne puisse acheter ni vendre, que celui qui aura le caractère, ou le nom de la bête, ou le nombre de son nom.

18 C’est ici la sagesse. Que celui qui a de l’intelligence compte le nombre de la bête ; car c’est le nombre d’un homme, et son nombre est six cent soixante-six.

Définition de l’humanisme

Avant de rapprocher le sens mystique du nombre 666 avec l’humanisme, il est important de bien définir le sens du mot humanisme utilisé ici.

1.     Selon le dictionnaire Le Robert

Selon le dictionnaire Le Robert, l’humanisme est une « théorie, doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs ».

Source : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/humanisme

2.    Selon le dictionnaire Le Trésor de la langue française

Selon le dictionnaire Le Trésor de la langue française, l'humanisme est « l’attitude philosophique qui tient l'homme pour la valeur suprême et revendique pour chaque homme la possibilité d'épanouir librement son humanité, ses facultés proprement humaines ».

Source : http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2038852245;

3.    Selon André Malraux

Dans le Carnet d’URSS 1934, page 56, André Malraux écrit :

Je ne connais pas, pour ma part, de meilleure définition de l'humanisme laïque que la phrase de Mallarmé : « L'homme est la source qu'il cherche ».

Autrement dit, il n'y a pas en amont ni en aval de l'homme quelque instance ni quelque loi qui détienne la clé de son destin, ni le sens de son cheminement. L'homme n'est pas fait, il est à faire, et c'est à lui seul qu'il incombe d'en entreprendre la tâche.

4.    Selon Bernard Chédozeau

Bernard Chédozeau (1937-2021) était professeur d'université, agrégé de lettres, docteur ès lettres. Sa biographie est disponible à cette adresse :

https://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr/academie/membres/biographie/403_CHEDOZEAU-Bernard

Il était membre de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier et a réalisé une excellente synthèse des conférences des 29 mars et 14 juin 2010 organisées par l’Académie sur le thème « Humanisme et religion » consultable ici :

https://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr/academie_edition/fichiers_conf/CHEDOZEAU-2010.pdf

Nous en reprenons ici quelques passages essentiels :

HUMANISME ET RELIGION

« ... L’éternel salut du moi... » (Yves Labbé)

a)    Histoire de l’humanisme

L'humanisme est un mouvement de pensée qui s'est développé en Italie pendant la Renaissance et qui s'est développé en France à partir du XVIe siècle.

L'humanisme a eu deux sens successifs, qui se sont ensuite confondus :

- Au départ, la « République des lettres » découvre la philosophie, la littérature, l'art et les valeurs de l'Antiquité classique qu'elle considère comme le fondement de la connaissance ; les premiers humanistes enseignent une religion et une piété intérieures, ainsi que le refus de toute contrainte extérieure. Ces premières tendances sont généralement appelées « l'humanisme d'érudition ».

- Au fil des décennies, l'humanisme s'élargit jusqu'à devenir « une foi rationnelle dans la valeur et la dignité de l'homme, un respect civilisé de sa liberté, un culte militant de sa raison » (Jacques Decour). Plus philosophique et morale, puis politique, que la précédente, la culture humaniste place désormais l'homme au centre de ses préoccupations : en 1765, les Éphémérides du Citoyen la définissent comme « amour de l'humanité et du citoyen », et en 1846, Proudhon y voit une « doctrine qui prend pour fin la personne humaine ». Les formes en sont alors très diverses.

Il convient cependant de ne pas séparer les deux acceptions, le souci de la connaissance et le refus des contraintes religieuses se retrouvant dans l'un et l'autre.

Enfin l'histoire de l'humanisme ne se comprend que si on la rattache au conflit permanent qui a opposé jusqu'à une époque récente les tenants de l'humanisme et l'Église catholique, à propos de la substitution du primat de l’homme à l'antique primat de Dieu.

b)    L’humanisme des Lumières

Au XVIIIe siècle, la philosophie des Lumières renoue avec la confiance que la Renaissance humaniste avait dans l'homme, dans le monde et dans le Progrès, et avec l'affirmation de la légitime recherche d'un bonheur terrestre. Ce bouleversement extraordinaire est à la source de la civilisation moderne. C'est alors que les Lumières, parfois déistes mais le plus souvent antireligieuses et toujours laïques, proposent une anthropologie purement et simplement contraire aux enseignements du catholicisme.

On peut résumer ainsi l'apport de l'humanisme des Lumières : le sujet libre, l’objet vrai. Le sujet est libre de toute contrainte extérieure et se construit lui-même, et son objet est non plus un objet de croyance mais de vérité scientifique. Ces deux points – point de vue politique et religieux et point de vue scientifique - sont au fondement de cette pensée. Ainsi repris et très enrichi, l'humanisme contribue largement à la définition des Lumières : l'autonomie de la raison, l'ouverture à la science, la recherche du bonheur, la croyance au Progrès, l'individualisme. Il rend compte de la Révolution, qui en est le remarquable aboutissement. Il a fondé l'anthropologie et la culture du monde moderne.

C'est l'époque où se définissent « les idées régulatrices » de ce qui sera la modernité (B. Bernardi), dont l'aboutissement est la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (1789). Sans être aussi violent qu'il le sera au siècle suivant, le conflit avec l'Eglise catholique est engagé, et tous les éléments en sont réunis.

On trouve comme une récapitulation des grands thèmes humanistes dans l'Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain de Condorcet (paru en 1795), qui est un « manifeste de la pensée progressiste », de la pensée du Progrès :

- Les hommes peuvent « également se gouverner par leurs propres lumières », n'étant soumis « à l'ascendant de personne »,

- « le perfectionnement de l'espèce humaine doit être regardé comme susceptible d'un progrès indéfini »,

- « les progrès de la vertu sont toujours accompagnés de ceux des lumières ».

c)     A propos du sujet libre

Conformément à leur confiance en l'avenir, les Lumières poussent à bout la volonté de substituer à l'antique idée de l'homme créé à l'image de Dieu, et lui devant tout, l'idée d'un homme dont on ignore l'origine et qui doit se créer lui-même. L'homme n'a plus à « faire son salut » ; il n'attend pas d'aide divine, il ignore la grâce. « Le sujet humain a pris la place du Dieu créateur. » L'homme se suffit à lui-même ; il s'agit pour lui de « se constituer en ens causa sui » (J.-Y. Jolif). Son univers est sans Dieu, sans Providence, sans destin, sans déterminismes, sans les contraintes du christianisme. « Un des gestes du théologique médiéval les plus suspects à l'humanisme [est] le renvoi de l'homme à un destin inaccomplissable, à une tâche située au-delà des moyens purement humains » et exigeant l'aide de Dieu (Thierry Gontier). L'homme peut, et par conséquent doit par lui-même ; il est libre (« Il faut ? Tu peux ! Tu dois ! »). C'est le lent, laborieux et conflictuel passage du droit exclusif de Dieu, bien résumé dans l'expression « Dieu ne nous doit rien », à la Déclaration des Droits de l’Homme - et non de ses devoirs -, ce qui rappelle les perspectives éthiques mais aussi antireligieuses de cette Déclaration.

L’homme est la mesure de toutes choses, et ce qu’il doit, il le peut par lui-même.

« L’homme est le point de départ de toute chose et de toute connaissance, il est sa propre référence. Seul aujourd’hui, il peut dire ce qui est bon pour l’homme » (Pierre Simon, grand maître de la Grande Loge de France dans les années 70).

d)    A propos du refus de l’argument d’autorité et du préjugé

Déjà le Tractatus theologico-politicus de Spinoza refuse tout ce qui contraint les consciences, tant les superstitions et les dogmes en matière religieuse que le pouvoir arbitraire dans le domaine politique. Les philosophes des Lumières y opposent la réflexion politique, les idées de tolérance, de liberté et d'égalité. Dans le droit fil de l'humanisme, les Lumières enseignent que la légitimité du pouvoir naît du consentement du peuple, d'une démocratie dans laquelle chacun apporte sa réflexion.

e)     L’humanisme à l’heure actuelle

Les thèmes fondamentaux de l'humanisme se sont répandus dans tous les milieux :

  • L’homme est la mesure de toute chose ;
  • L’homme (appelé aussi sujet humain) est libre de toute contrainte extérieure, il n’est soumis « à l’ascendant de personne » et se construit lui-même ;
  • L’objet vrai est objet non de croyance mais de vérité scientifique, et cet objet est utile en ce monde.

Aujourd'hui, qui ne se reconnaît pas humaniste ?

Définition de la Révolution

Nous avons dit précédemment que la Révolution était l’aboutissement de l’humanisme, la mise en application de la théorie humaniste.

1.     Selon le dictionnaire Le Robert

Selon le dictionnaire Le Robert, la Révolution est « l’ensemble des évènements historiques qui ont lieu lorsqu'un groupe renverse le régime en place et que des changements profonds se produisent dans la société. Exemple : la révolution russe de 1917.

Spécialement La Révolution française ; sans complément la Révolution, celle de 1789. »

Source : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/revolution

2.    Selon Mgr Gaume

Source : https://www.recatho.com/bibliotheque/o/mgr-gaume--la-revolution-tome-1/mgr-gaume--la-revolution-tome-1.pdf

Mgr Gaume a défini la Révolution en un mot comme étant « la substitution, en toutes choses, de la souveraineté de l’homme à la souveraineté de Dieu » et plus longuement ainsi :

Si, arrachant le masque à la Révolution, vous lui demandez : Qui es-tu ? elle vous dira :

« Je suis la haine de tout ordre religieux et social que l’homme n’a pas établi et dans lequel il n’est pas roi et Dieu tout ensemble; je suis la proclamation des droits de l’homme contre les droits de Dieu ; je suis la philosophie de la révolte, la politique de la révolte, la religion de la révolte ; je suis la négation armée (Nihilum armatum) ; je suis la fondation de l’état religieux et social sur la volonté de l’homme au lieu de la volonté de Dieu ! en un mot, je suis l’anarchie ; car je suis Dieu détrôné et l’homme à sa place. Voilà pourquoi je m’appelle Révolution ; c’est-à-dire renversement, parce que je mets eu haut ce qui, selon les lois éternelles, doit être en bas, et en bas ce qui doit être en haut. »

Mgr Gaume insiste aussi sur le fait que la Révolution est un état permanent :

« Dans les âmes ou dans les rues, la Révolution est en permanence. »

3.    Notre commentaire

Dans sa définition, Mgr Gaume ne distingue pas la pensée et l’action : « Dans les âmes ou dans les rues, la Révolution est en permanence ». Nous comprenons qu’il souhaite insister sur le fait que la Révolution ne se limite pas aux actions, « aux rues », mais qu’elle est aussi dans les têtes, « les âmes », en permanence. Dans son ouvrage sur la Révolution, à aucun moment il n’utilise le mot « humanisme ». Nous le rejoignons sur le fond, mais en ce qui concerne le vocabulaire, il nous semble plus précis et plus usuel d’utiliser le mot « humanisme » pour la pensée et le mot « Révolution » pour l’action.

L’humanisme correspond à la philosophie, à la vision du monde, aux idées. L’homme qui souscrit à l’humanisme est humaniste.

La Révolution correspond à l’application concrète de l’humanisme, à l’action. L’homme qui fait la Révolution est un révolutionnaire.

Sens mystique du nombre 666

Le sens mystique du nombre 666 est donné dans le commentaire de l’Apocalypse de Dom. Jean de Monléon, Le Sens Mystique de l'Apocalypse, ouvrage publié en 1947 reposant sur les commentaires des Pères et des docteurs de l’Eglise, et en particulier sur la Glossa Ordinaria du XIIe siècle.

Source : http://www.liberius.net/livres/Le_sens_mystique_de_l_Apocalypse_000001403.pdf

(Pages 211-212)

Enfin, dans l’obligation imposée à tous les hommes de "recevoir le caractère de la Bête, ou son nom, ou le nombre de son nom", il faut voir une parodie du baptême : les partisans de l’Antéchrist devront se soumettre à quelque rite, qui sera censé imprimer sur eux, en traits indélébiles, l’appartenance à leur maître ; comme nous nous recevons au baptême "le nom" d’enfants de Dieu, "et aussi le nombre de ce nom", lorsque nous sommes signés du chiffre sacré de la Sainte Trinité, des Trois qui n’en font qu’Un, lorsque nous sommes marqués au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Alors la situation des chrétiens deviendra extrêmement critique. Ils seront traqués, dénoncés, mis hors la loi, et cela sur toute la surface de la terre. Dans cette épreuve, néanmoins, qu’ils n’aillent point se croire abandonnés de Dieu et sombrer dans le désespoir. Plus que jamais il sera nécessaire de régler sa conduite, non sur les impressions du moment, mais sur les conseils de la sagesse. Or, en l’occurrence, "voici en quoi consistera la" vraie "sagesse" : "Que celui qui a l’intelligence", — et ce dernier mot doit se prendre ici dans son sens étymologique, intus legere, lire en dedans, — que celui donc qui sait considérer le fond des choses sans s’arrêter aux apparences, "suppute le nombre de la Bête". Et il verra clairement que ce nombre n’est pas un nombre de dieu, ni un nombre d’ange, mais que c’est "un nombre d'homme", et que ce nombre est 666. [...]

(Pages 216-217)

Mais pourquoi maintenant ce nombre est-il 666 ? Il faut bien ici que nous entrions un instant dans le domaine, particulièrement obscur et difficile, de la mystique des nombres. Dieu, selon la Genèse, a créé le monde en six jours. Au soir du sixième jour, tout l’univers était sorti de ses mains ; tous les êtres qui devaient servir de principes aux espèces vivantes étaient venus à la lumière, il ne restait plus rien à tirer du néant ; et cependant l’oeuvre n’était point achevée. Pour qu’elle fût parfaite, il fallait que Dieu y ajoutât le septième jour, ce sabbat qui porte sa bénédiction, qui est son jour à Lui, et comme le couronnement des six autres. C’était là une façon voilée de nous faire entendre que la créature n’est pas venue au monde pour demeurer bornée à l’oeuvre des six jours, ou, en langage mystique, pour rester enfermée dans le nombre six; mais quelle doit tendre, au contraire, à en sortir, et chercher son repos, son harmonie, son équilibre, son épanouissement, sa perfection dans le septième jour, dans ce jour du Seigneur, qui est comme le terme de la création et la fin vers laquelle elle tend; dans ce sabbat qui symbolise la paix éternelle et souverainement bienheureuse de Dieu, paix à laquelle Il fera participer ceux qui auront fidèlement accompli le labeur de la vie présente. En ce sens, six devient le nombre de la créature, en tant qu’elle est imparfaite ; sept, au contraire, celui du Créateur et de la perfection : c’est pourquoi, comme on l’a vu déjà, ce nombre est aussi celui de l’Agneau.

Or, devant les oeuvres de l’Antéchrist, devant le spectacle de cet homme enivré de sa puissance, avide de domination universelle, toujours prêt à se glorifier soi-même et plein d’une fureur sauvage contre ses ennemis, la vraie sagesse, celle qui permettra aux justes de se sauver, consistera à comprendre que rien de ce qu’il fait ne tend à la paix du Seigneur ; que toute sa puissance, toute sa science, toute sa splendeur, toute sa gloire ne sortent point de l’ordre créé et du domaine de la pure créature. Il aura beau multiplier ses oeuvres, les décupler, les centupler, il aura beau déployer une activité forcenée, gonfler et dilater son nombre six, son nombre de créature, jusqu’à en faire 666, il n’arrivera pas à sortir de ce nombre imparfait, et ni lui ni ceux qui marchent sur ses pas n’entreront jamais dans le repos du Seigneur.

Notre commentaire :

666

En résumé, 666 est le nombre de l’Antéchrist, le nombre de "l'homme enivré de sa puissance, avide de domination universelle, toujours prêt à se glorifier soi-même et plein d’une fureur sauvage contre ses ennemis", au point de vouloir prendre la place de Dieu. Cette ambition est symbolisée par le triplement du nombre 6 de la créature pour égaler le triplement du nombre 7 dans la Sainte Trinité.

Mais cette ambition est vouée à l’échec, la créature ne sera jamais comme Dieu, elle restera limitée à son nombre 6 de créature, et elle n’atteindra jamais le nombre 7 de Dieu. Par cette rébellion vis-à-vis de son Père Créateur, la créature se condamne également à ne jamais entrer « dans le repos du Seigneur », elle ne sera jamais associée à la divinité.

Humanisme et Révolution

Nous venons de voir le sens mystique du nombre 666, mais il n’aura pas échappé au lecteur la correspondance flagrante entre la description de l’Antéchrist que nous donne Dom. Jean de Monléon et l’homme humaniste voire révolutionnaire.

Cet « homme enivré de sa puissance, avide de domination universelle, toujours prêt à se glorifier soi-même et plein d’une fureur sauvage contre ses ennemis », c’est l’homme humaniste, l’homme qui souscrit à l’humanisme des Lumières et qui devient révolutionnaire quand il passe à l’action.

Le caractère de la bête en leur main droite et sur leur front (Ap. 13,16)

Dans le verset 13, 16 de l’Apocalypse, il est dit que le caractère, ou la marque, de la Bête sera à la main droite ou sur le front.

Dom. Jean de Monléon commente ainsi ce passage, page 211 :

« Enfin ces mêmes prophètes de mensonge feront porter à tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, le caractère de la Bête, — quelque chose comme une croix gammée, — soit à la main droite, soit au front, pour marquer que tous devront agir comme la Bête, et la confesser sans rougir. Personne ne pourra acheter ou vendre, nul n’aura le droit d’exercer un métier ni d’accomplir un acte civil quelconque s'il ne porte ostensiblement le caractère de la Bête, ou son nom, ou le nombre de son nom. »

La main droite désigne l’action, et le front la pensée, ou les idées. Nous pouvons avancer que ceux qui ont la marque de la Bête à la main droite sont ceux qui passent à l’action, les révolutionnaires, et ceux qui ont la marque sur le front sont ceux qui souscrivent à l’humanisme, les humanistes.

Sachant que les révolutionnaires sont aussi humanistes, nous résumons les choses en disant que la marque de la Bête est celle des humanistes, celles des hommes qui souscrivent à l’humanisme, et que son nombre 666 est donc le nombre des humanistes ou de l’humanisme.

Remarque

Étonnamment, Dom. Jean de Monléon, qui publie son commentaire de l'Apocalypse en 1947, ne parle pas de la philosophie des Lumières et n'utilise pas le mot "humanisme". Il se contente apparemment de reprendre les écrits des Pères et docteurs de l'Eglise, et la Glossa Ordinaria du XIIe siècle en particulier.

Que dit le catéchisme ?

Selon l'article 675 du Catéchisme de l'Eglise Catholique, l’Épreuve ultime de l’Église sera
la suivante :

675 Avant l’avènement du Christ, l’Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants (cf. Lc 18, 8 ; Mt 24, 12). La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre (cf. Lc 21, 12 ; Jn 15, 19-20) dévoilera le « mystère d’iniquité » sous la forme d’une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse suprême est celle de l’Anti-Christ, c’est-à-dire celle d’un pseudo-messianisme où l’homme se glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair (cf. 2 Th 2, 4-12 ; 1 Th 5, 2-3 ; 2 Jn 7 ; 1 Jn 2, 18. 22).

Source : https://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P1R.HTM

Notre commentaire :

Le catéchisme dit la même chose que Dom. Jean de Monléon, la correspondance entre l’imposture religieuse suprême de l’Antéchrist et l’humanisme est flagrante.

Conclusion

666 est un nombre d’homme, celui de la créature rebelle qui veut prendre la place de Dieu. Cette exaltation est symbolisée par le triplement de son chiffre 6 de créature à l’instar du triplement du chiffre 7 de la divinité, la Sainte Trinité.

Or, l’homme qui prend la place de Dieu est l’idée centrale de l’humanisme.

666 est donc le nombre de l’homme humaniste, le nombre de l’humanisme.

L’humanisme des Lumières a conduit à la Révolution qui a renversé le pouvoir politique en 1789 avant de prendre le pouvoir religieux en 1958, avec l’élection du pape Jean XXIII. Ce dernier lança le Concile Vatican II et déclencha ainsi un changement profond de l'Église catholique. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter le discours de clôture du Concile du pape Paul VI, le 7 décembre 1965. Il déclarait alors :

« L'humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le Concile.

La religion du Dieu qui s'est fait homme s'est rencontrée avec la religion (car c'en est une) de l'homme qui se fait Dieu.

Qu'est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n'a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l'a envahi tout entier. La découverte et l'étude des besoins humains (et ils sont d'autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l'attention de notre Synode.

Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l'homme. Et dans l'humanité, qu'a donc considéré cet auguste sénat, qui s'est mis à l'étudier sous la lumière de la divinité ? Il a considéré une fois encore l'éternel double visage de l'homme : sa misère et sa grandeur, son mal profond, indéniable, de soi inguérissable, et ce qu'il garde de bien, toujours marqué de beauté cachée et de souveraineté invincible. Mais il faut reconnaître que ce Concile, dans le jugement qu'il a porté sur l'homme, s'est arrêté bien plus à cet aspect heureux de l'homme qu'à son aspect malheureux. Son attitude a été nettement et volontairement optimiste.

Un courant d'affection et d'admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne. » [1]

Soixante ans après, nous ne pouvons que constater l’effondrement de l’Eglise tombée dans l’apostasie pour une large part. Cette apostasie et la domination de la Révolution humaniste « dans les âmes et dans les rues », comme disait Mgr Gaume, sont des signes majeurs de la fin de temps annoncés dans la Sainte Ecriture.

« 28 Apprenez la parabole prise du figuier. Lorsque ses rameaux sont encore tendres et que ses feuilles viennent de naître, vous connaissez que l'été est proche : 29 De même vous, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le Fils de l'homme est proche, à la porte » (Marc 13)

 

Notes :

[1] Discours de clôture du Concile Vatican II du pape Paul VI, le 7 décembre 1965 : https://www.vatican.va/content/paul-vi/fr/speeches/1965/documents/hf_p-vi_spe_19651207_epilogo-concilio-nazioni.html

 

Annexe 1 : Bernard Chédozeau - Humanisme et religion

Nous reprenons ci-dessous quelques extraits significatifs de la synthèse par Bernard Chédozeau des conférences des 29 mars et 14 juin 2010 organisées par l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier sur le thème « Humanisme et religion », synthèse déjà citée plus haut.

Source : https://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr/academie_edition/fichiers_conf/CHEDOZEAU-2010.pdf

HUMANISME ET RELIGION
« ... L’éternel salut du moi... »
(Yves Labbé)

1.     Introduction

L'humanisme est un mouvement de pensée qui s'est développé en Italie pendant la Renaissance et qui s'est développé en France à partir du XVIe siècle.

L'humanisme a eu deux sens successifs, qui se sont ensuite confondus :

- Au départ, la « République des lettres » découvre la philosophie, la littérature, l'art et les valeurs de l'Antiquité classique qu'elle considère comme le fondement de la connaissance ; les premiers humanistes enseignent une religion et une piété intérieures, ainsi que le refus de toute contrainte extérieure. Ces premières tendances sont généralement appelées « l'humanisme d'érudition ».

- Au fil des décennies, l'humanisme s'élargit jusqu'à devenir « une foi rationnelle dans la valeur et la dignité de l'homme, un respect civilisé de sa liberté, un culte militant de sa raison » (Jacques Decour). Plus philosophique et morale, puis politique, que la précédente, la culture humaniste place désormais l'homme au centre de ses préoccupations : en 1765, les Éphémérides du Citoyen la définissent comme « amour de l'humanité et du citoyen », et en 1846, Proudhon y voit une « doctrine qui prend pour fin la personne humaine ». Les formes en sont alors très diverses.

Il convient cependant de ne pas séparer les deux acceptions, le souci de la connaissance et le refus des contraintes religieuses se retrouvant dans l'un et l'autre.

Enfin l'histoire de l'humanisme ne se comprend que si on la rattache au conflit permanent qui a opposé jusqu'à une époque récente les tenants de l'humanisme et l'Église catholique, à propos de la substitution du primat de l’homme à l'antique primat de Dieu.

2.    Au XVIIIe siècle, l’humanisme et les Lumières, la « pensée éclairée », le sujet libre, l’objet vrai

Les Lumières du XVIIIe siècle reprennent les tendances humanistes des siècles précédents mais elles les enrichissent puissamment, et c'est à cette époque qu'est née et que s'est développée la lutte des Lumières contre le catholicisme : « Écrasons l'infâme » (Voltaire).

Au fondement de l'apport de ceux qu'on appelle « les philosophes », il y a la substitution aux valeurs traditionnelles de la continuité, de la stabilité et de la perpétuité [par] celles du changement et même de la métamorphose, la volonté expresse de se détourner du culte du passé pour exalter l'évolution vers le futur, vers l'avenir, le Progrès, le bonheur. De ce renversement de perspectives naît une nouvelle anthropologie optimiste.

a)    Les Lumières : de la perpétuité au changement, et le Progrès substitué aux fins dernières

Après les années incertaines du XVIIe siècle, au XVIIIe les valeurs humanistes réapparaissent et s'imposent dans ce qu'on appelle les Lumières. La philosophie des Lumières renoue avec la confiance que la Renaissance humaniste avait dans l'homme, dans le monde et dans le Progrès, et avec l'affirmation de la légitime recherche d'un bonheur terrestre. Ce bouleversement extraordinaire est à la source de la civilisation moderne. C'est alors que les Lumières, parfois déistes mais le plus souvent antireligieuses et toujours laïques, proposent une anthropologie purement et simplement contraire aux enseignements du catholicisme.

b)    Qu’entendre par « progrès » ? Les progrès de la science et de la morale vont de pair

Par progrès, les philosophes humanistes des Lumières, qui sont foncièrement optimistes, entendent l'amélioration automatique et indéfinie dans le domaine de la connaissance par les sciences, les arts et les lettres ; mais le progrès se fait en même temps dans le champ de la vertu. Pour eux, science et morale vont de pair, et le progrès est progrès de la civilisation.

L'ensemble de l'histoire est alors reconstruit non plus en fonction du passé biblique et de la dégradation due au péché originel, mais en direction d'un Progrès à venir. La croyance dans la valeur de l'évolution et du changement, de l'histoire, est au fondement de cette notion de Progrès:

Aujourd’hui tout est bien, voilà notre illusion,
Demain tout sera mieux, voilà notre espérance.

La creatio mundi, au début des temps, et à l'autre bout les fins dernières, perspectives tirées de la Bible et entre lesquelles se situait l'action de l'homme, ne retiennent plus les esprits ; l'homme ne se préoccupe plus d'un passé théologique qui pesait sur lui ; il se tourne vers l'avenir. Pour les humanistes et les philosophes, le monde va vers un avenir obscur mais obligatoirement meilleur – ce que seront plus tard « les lendemains qui chantent ».

Ce Progrès n'a de fondement qu'en l'homme même. « La saine philosophie » enseigne la confiance en l'homme (« Aux grands hommes la Patrie reconnaissante »). Ce bouleversement vers la reconnaissance humaniste des valeurs de l'évolution, vers le Progrès et le bonheur se retrouvera dans toutes les options des Lumières.

c)     Nature et culture

Ce basculement est sensible sur le sujet difficile des rapports entre nature et culture.

En héritage du christianisme, les premiers humanistes croyaient en une nature humaine stable et éternelle, universelle en chaque homme, quelles que soient les différences d'origine ou de milieu ou les particularismes. Mais la « pensée éclairée » distingue nature et histoire ; la nature n'existe pas spéculativement : l'homme et sa nature, s'il en a une, n'existent que dans les réalités historiques, dans une culture changeante. Il n'existe pas d'« homme », il est inachevé, en construction, parfois en métamorphose. L'homme se construit sans aucune des contraintes de la nature, mais selon la culture ans laquelle il baigne, une culture évolutive et toujours à sa disposition. Le Progrès que conçoit l'humanisme des Lumières est ainsi fondé à croire à la fois en l'accroissement indéfini de la science, mais aussi en la perfectibilité morale indéfinie de l'homme.

d)    Quelques points humanistes des Lumières

La quasi-totalité des enseignements humanistes des Lumières s'opposent au catholicisme.

e)     Un sujet libre : contre le thème de l’homme créé à l’image de Dieu, l’homme est invité à se créer lui-même

Conformément à leur confiance en l'avenir, les Lumières poussent à bout la volonté de substituer à l'antique idée de l'homme créé à l'image de Dieu, et lui devant tout, l'idée d'un homme dont on ignore l'origine et qui doit se créer lui-même. L'homme n'a plus à « faire son salut » ; il n'attend pas d'aide divine, il ignore la grâce. « Le sujet humain a pris la place du Dieu créateur. » L'homme se suffit à lui-même ; il s'agit pour lui de « se constituer en ens causa sui » (J.-Y. Jolif). Son univers est sans Dieu, sans Providence, sans destin, sans déterminismes, sans les contraintes du christianisme. « Un des gestes du théologique médiéval les plus suspects à l'humanisme [est] le renvoi de l'homme à un destin inaccomplissable, à une tâche située au-delà des moyens purement humains » et exigeant l'aide de Dieu (Thierry Gontier). L'homme peut, et par conséquent doit par lui-même ; il est libre (« Il faut ? Tu peux ! Tu dois ! »). C'est le lent, laborieux et conflictuel passage du droit exclusif de Dieu, bien résumé dans l'expression « Dieu ne nous doit rien », à la Déclaration des Droits de l’Homme - et non de ses devoirs, ce qui rappelle les perspectives éthiques mais aussi antireligieuses de cette Déclaration.

Sur ce point essentiel les textes sont innombrables. Il s'agit d'une « réappropriation par l'homme de son domaine de savoir et d'action » (Thierry Gontier). L'homme a le droit et le devoir de se définir et de se construire lui-même. Ainsi dans ce texte de Malraux : « Je ne peux plus supporter Dostoïevski. C'était essentiellement, profondément, un renégat. Parce qu'il y a ceux qui ne savent pas, mais lui savait. Il savait qu'il était un faux esprit religieux. Car le fond de sa pensée est un humanisme : Muichkine n’a pas besoin du Christ. Ses personnages importants ne se remettent pas entre les mains d'un autre, ils tentent de se sauver eux-mêmes » (A. Malraux, Carnet d’URSS 1934, p. 56). « Je ne connais pas, pour ma part, de meilleure définition de l'humanisme laïque que la phrase de Mallarmé : “L'homme est la source qu'il cherche”. Autrement dit, il n'y a pas en amont ni en aval de l'homme quelque instance ni quelque loi qui détienne la clé de son destin, ni le sens de son cheminement. L'homme n'est pas fait, il est à faire, et c'est à lui seul qu'il incombe d'en entreprendre la tâche » (Pascal Durand).

Les humanistes des Lumières se séparent alors d'un Dieu qui sera progressivement relégué au seul for intérieur. Parmi les philosophes des Lumières, seul Rousseau qui fait leur place aux sentiments et aux passions conserve l'idéal du sentiment religieux et d'une foi naturelle. « Il est et il n'est pas un philosophe des Lumières. » En conséquence, disparait pour longtemps, au moins en France, « l’humanisme religieux » des premiers humanistes. Un humanisme chrétien ne réapparaîtra difficilement qu'à la fin du XIXe siècle.

f)      Au service de ces aspirations, le culte de la Raison

Un des principaux apports des Lumières est l'affirmation de la primauté de la raison, une Raison humaine universellement valable – et cet aspect sera plus tard reproché à l'humanisme comme une survivance laïcisée de la place de Dieu dans le christianisme. Déjà à la fin du XVIIe siècle Saint-Évremond peut écrire : « Nous aimons les vérités déclarées : le bon sens prévaut aux illusions de la fantaisie, rien ne nous contente aujourd'hui que la solidité et la raison » (Sur les Poèmes des Anciens), revendication ainsi formulée aujourd'hui : « ... Une théorie de base, que l'homme est en possession de capacités intellectuelles illimitées. Il faut seulement lui apprendre à développer et à faire bon usage de ses facultés ».

g)    Le refus de l’argument d’autorité et du préjugé

Cette autonomie de la raison revêt divers aspects, le premier étant le refus de l'argument d'autorité, c'est-à-dire le refus de l'argument jugé a priori recevable parce qu'il est avancé par une « autorité », que cette autorité soit religieuse ou politique, et sans qu'il ait été vérifié par la raison ; c'est le préjugé, contre lequel tout le siècle se dresse pour affirmer les droits de la conscience, « la volonté libre d'examen libre et sans entraves ». « Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres », écrit Diderot. « L'homme, de par la dignité acquise, ne doit être soumis à la domination de personne. Il se distingue entre autres des autres êtres par la liberté et l'indépendance de sa pensée et de sa conscience. Il est libéré de tout préjugé. Il a le courage d'agir selon les principes qui lui sont apparus vrais, justes et beaux. » On a pu parler de la « liberté native de l'individu » (F. Brahami). Cela dit, au XXe siècle il sera reproché aux Lumières qui dénoncent le préjugé de ruiner la conscience d'appartenir à une histoire, de supprimer l'inscription dans une tradition.

Autre point de première importance, avec les Lumières la dénonciation humaniste de l'argument d'autorité jusque-là réservée au domaine religieux s'élargit à la critique de la tyrannie et des contraintes politiques, et bien sûr de l'absolutisme. Déjà le Tractatus theologico-politicus de Spinoza refuse tout ce qui contraint les consciences, tant les superstitions et les dogmes en matière religieuse que le pouvoir arbitraire dans le domaine politique. Les philosophes des Lumières y opposent la réflexion politique, les idées de tolérance, de liberté et d'égalité. Dans le droit fil de l'humanisme, les Lumières enseignent que la légitimité du pouvoir naît du consentement du peuple, d'une démocratie dans laquelle chacun apporte sa réflexion. C'est ainsi que pour Montesquieu c'est la vertu qui fonde la démocratie.

h)    L’ouverture à la science

On ne peut pas tout rapporter à l'humanisme, mais enfin c'est encore par la pensée « éclairée » que s'explique au XVIIIe siècle l'ouverture à la science, une frénésie optimiste de connaissances scientifiques en tous domaines. C'est là l'héritage de la découverte par les premiers humanistes du XVIe siècle de l'érudition et de la connaissance libératrices, qui prennent avec les Lumières la forme de la science et des techniques. L'ouverture à la connaissance profane – tout autre que la connaissance théologique - est une caractéristique constante de tout humanisme.

L’Encyclopédie, profondément humaniste, récapitule l'ensemble des connaissances du temps et elle y ajoute la philosophie de cette pensée « éclairée » : il s'agit de maîtriser la nature par la technique et par la science. Les inventions de l'homme (gravées sur les planches de l'Encyclopédie) témoignent de son aptitude à exercer sa raison et à l'appliquer à la recherche du bonheur en ce monde.

i)      Le vrai et l’utile, la science et la technique

Dans les perspectives de l'humanisme, on peut relever qu'avec ces découvertes scientifiques des notions capitales sont promues : le vrai scientifique et l’utile, et la prise en compte du corps.

La recherche du vrai scientifique qu'exigent la science et la connaissance est substitué à l'antique souci religieux du sens théologique (l'orientation vers les fins dernières), dont la pertinence n'apparaît plus - c'est ainsi que l'étude philologique des textes bibliques évince le souci du sens théologique au profit de la vraie signification fondée sur le texte seul, pour lesquels les gloses et commentaires médiévaux sont désormais inutiles. Le monde de l'humaniste des Lumières est hic et nunc. Par ailleurs, à la différence des époques théologiques les humanistes promeuvent ce qui est utile en ce monde, au service de l'homme, le souci de l'au-delà n'existant plus (Le souci de lutile a déjà été celui des Messieurs de Port-Royal dans la préface de la Logique ou l’Art de penser.).

Ce bouleversement apparemment tout spéculatif a eu en réalité les plus graves suites. Avec le vrai et l'utile, efficacité et réalisme se sont imposés, mais le triomphe du vrai, avec le savoir scientifique, et de l'utile, avec la technique, dont les humanistes attendaient l'accès au bonheur sur terre, a eu en fait deux conséquences : d'une part il a induit l'évolution vers la technocratie, le culte de la production, et la civilisation de la consommation ; et il a largement contribué à évincer les aspirations morales ou transcendantes, l'au-delà de l'utile – pour ne rien dire du spirituel. C'est en un sens à un appauvrissement de la riche notion de Progrès que ces définitions ont conduit.

Enfin en raison de la place reconnue à la recherche en médecine, on ajoutera aussi la confiance dans le corps : l'humaniste valorise corps et médecine. C'est peut-être là que l'humanisme et sa volonté de servir l'homme a un plein champ d'action, pour la conciliation de l'apport technique et la prise en compte du malade ; il en survivra le médecin humaniste.

j)       La légitimité de la recherche du bonheur sur cette terre : de la déploration « in hac lacrymarum valle » au « plaisir de vivre », et l’Utopie

C'est encore un point humaniste que la recherche d'un bonheur terrestre et immédiat. Cette recherche prend le contrepied des perspectives religieuses selon lesquelles, à la suite de la faute originelle, les hommes sont « ici-bas », « in hoc exsilium », « gementes et flentes in hac lacrymarum valle » ; et les humanistes des Lumières ignorent « l'espoir religieux d'un monde meilleur », d'une béatitude dans l'au-delà (F. Alquié). Le bonheur, c'est ici-bas qu'il faut le chercher, le construire :

Le bonheur tant cherché sur la terre et sur l’onde
Est ici comme aux lieux où fleurit le coco.

Au contemptus sæculi, au mépris du monde, succèdent l'affirmation et l'admiration de la nature et de l'homme, et ce bonheur ne se trouve ni dans un hypothétique au-delà, ni dans les plaisirs de l'hédonisme, ni dans l'épicurisme, mais dans le luxe et la vie en société. Cet aspect déploie au XVIIIe siècle le goût déjà marqué au siècle précédent pour une « vie sociale qui s'oriente vers l'agrément, la politesse et la civilité. C'est un humanisme politique » (J.-F. Mattei), d'une façon éblouissante qui fera la réputation de Paris et de la France. Cette sociabilité de l'honnête homme le rattache au subjectivisme (reconnaissance d'un sujet autonome) et à l'individualisme ; l'expression politique en sera la démocratie.

k)    L’Utopie

La confiance humaniste et optimiste dans la vie en ce monde fonde beaucoup d'utopies toujours areligieuses. De Platon dans La République à l'Utopia de Thomas More (1516), à l'abbaye de Thélème, à Télémaque de Fénelon, à l'Eldorado de Candide, à bien d'autres développements encore, les humanistes ont volontiers construit des utopies.

L'utopie, toujours proche de l'idéal humaniste, est à la fois critique de la réalité et construction d'un monde meilleur, d'une cité idéale toujours à la mesure et au service de l'homme. Dans l'utopie, le pouvoir est bon, la justice est équitable, la tolérance est respectée. Il y a une communauté des ressources et la richesse est accessible à tous. Loin de la rechercher comme dans le christianisme, l'humaniste lutte contre la souffrance, qui est la marque de l'individu. L'utopie offre sur le plan personnel politesse et savoir-vivre, sur le plan social la liberté dans la paix, et finalement un bonheur à la fois individuel et collectif. Ce projet de société place l'homme au centre du monde.

Rousseau a ainsi rêvé d'une cité idéale où serait sauvegardée la liberté naturelle et individuelle de chaque homme, où un pacte social écrit par l'homme fonderait le droit, où le civisme serait au cœur de la vie démocratique. Ces données sont à l'origine de la pensée politique en France.

l)       La franc-maçonnerie

C'est en vertu des principes humanistes que sont nées au XVIIIe siècle les franc-maçonneries : l'homme est la mesure de toutes choses, et ce qu'il doit, il le peut par lui-même. « L'homme est le point de départ de toute chose et de toute connaissance, il est sa propre référence. Seul aujourd'hui, il peut dire ce qui est bon pour l'homme » (Pierre Simon).

La franc-maçonnerie « a, en sa qualité d'autorité morale et spirituelle, des valeurs à défendre qui sont celles des droits, des devoirs et de la dignité de la personne humaine ». Son rôle est d'aider ses membres vers un perfectionnement intérieur dont chacun a la charge et la responsabilité, dans la recherche du vrai, du beau et du bien, dans un idéal de fraternité dont l'idéal républicain « Liberté, Égalité, Fraternité » est la meilleure expression (en particulier pour le terme de « fraternité »). L'idéal est la liberté de pensée, le culte de la raison et de la science.

Du théisme initial, les francs-maçons sont passés au déisme des Lumières, excluant toute Révélation s'imposant à l'homme.

m) Conclusion : le sujet libre, l’objet vrai. La Révolution comme aboutissement de l’humanisme des Lumières

On peut résumer ainsi l'apport de l'humanisme des Lumières : le sujet libre, l’objet vrai. Le sujet est libre de toute contrainte extérieure et se construit lui-même, et son objet est non plus un objet de croyance mais de vérité scientifique. Ces deux points – point de vue politique et religieux et point de vue scientifique - sont au fondement de cette pensée. Ainsi repris et très enrichi, l'humanisme contribue largement à la définition des Lumières : l'autonomie de la raison, l'ouverture à la science, la recherche du bonheur, la croyance au Progrès, l'individualisme. Il rend compte de la Révolution, qui en est le remarquable aboutissement. Il a fondé l'anthropologie et la culture du monde moderne.

C'est l'époque où se définissent « les idées régulatrices » de ce qui sera la modernité (B. Bernardi), dont l'aboutissement est la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (1789). Sans être aussi violent qu'il le sera au siècle suivant, le conflit avec l'Eglise catholique est engagé, et tous les éléments en sont réunis.

On trouve comme une récapitulation des grands thèmes humanistes dans l'Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain de Condorcet (paru en 1795), qui est un « manifeste de la pensée progressiste », de la pensée du Progrès :

- Les hommes peuvent « également se gouverner par leurs propres lumières », n'étant soumis « à l'ascendant de personne »,

- « le perfectionnement de l'espèce humaine doit être regardé comme susceptible d'un progrès indéfini »,

- « les progrès de la vertu sont toujours accompagnés de ceux des lumières ».

A l'honnête homme autant qu'au libertin du XVIIe siècle a succédé le philosophe. En tous domaines, de profonds changements se sont opérés par rapport aux siècles précédents : la Révolution peut venir.

3.    Au XIXe siècle, les deux France, la France de la Raison humaniste et la France catholique

Pour la période qui s'étend de la Révolution jusqu'en 1914, on a pu parler des « deux France », d'une France humaniste et laïque et d'une France catholique. Pourtant les choses sont plus complexes.

Ce qui caractérise en effet le XIXe siècle, c'est qu'en face du progrès des valeurs humanistes des Lumières - l'individualisme, l'autonomie de la raison, l'ouverture à la science, la recherche du bonheur, la croyance au Progrès, toutes valeurs bien résumées dans la célèbre phrase de Renan qui entend substituer à l'Église catholique une religion positiviste : « Oui, il viendra un jour où l'humanité ne croira plus, mais où elle saura » (L’Avenir de la Science) -, l'Église catholique a non seulement vigoureusement refusé toutes les tentatives d'accommodement avec cet idéal de l'humanisme et des Lumières, mais en même temps elle a opposé à cet idéal ses valeurs et son propre univers, une anthropologie et une théologie le plus souvent reprises de la Réforme catholique du début du XVIIe siècle. Tout au long du XIXe siècle se construisent alors conflictuellement « les deux France », la France laïque issue de l'humanisme des Lumières et la France catholique faisant revivre la religion et la dévotion de l'Église tridentine (elle-même élaborée en réponse aux protestantismes si souvent proches des premiers humanismes – au moins partiellement), l'exemple le plus significatif étant l'affirmation des deux Jeanne d'Arc, la Jeanne d'Arc laïque et la Jeanne d'Arc catholique.

Pour résumer brièvement ce qui oppose les deux anthropologies, on peut dire qu'à l'anthropologie humaniste héritée des Lumières et fondée sur le culte d'une Raison sûre d'elle-même, et largement répandue par l'enseignement d'Etat (Voir in fine le discours de distribution des prix de Louis Chédozeau), l'anthropologie catholique oppose une religion du sentiment et du cœur, soumise à l'autorité cléricale, et répandue par les dévotions destinées au peuple.

Certes cette distinction des deux anthropologies ne doit pas être prise stricto sensu, car elle tend à exclure les mouvements marginaux, le plus souvent protestants, qui en refusent la rigidité et qui tentent d'y échapper en les surmontant ; on en trouvera plus loin quelques exemples exprimant les refus qui sourdent au sein même du catholicisme. Cependant on peut y voir l'axe qui organise l'histoire de l'humanisme depuis la Restauration jusqu'aux lois anticléricales de 1906 qui sont le triomphe des Lumières. L'humanisme laïque optimiste s'impose jusqu'en 1914 ; mais avec les catastrophes qui s'ensuivent de la guerre, le bel idéal sera profondément remis en cause.

a)    La condamnation des philosophies et des systèmes appuyés sur la science et la raison

D'une façon générale, l'Église catholique s'est formellement opposée aux diverses formes que prenaient, en France, l'humanisme issu des Lumières et le culte de la Raison.

b)    Science et religion : la crise moderniste

Enfin, de 1902 à 1908 et plus tard encore la difficile crise moderniste pose à nouveau la question des droits de la science et des rapports de la foi et de la raison. Elle naît sur le sujet de la lecture de la Bible à la lumière des apports des sciences philologiques et historiques. La recherche du Jésus historique incite nombre d'historiens protestants à s'interroger sur la divinité de Jésus, et de nombreuses questions sont ainsi soulevées.

La publication, en 1902, du livre d'Alfred Loisy L’Évangile et l’Église déclenche la crise moderniste. Parmi bien d'autres griefs, on reproche à l'auteur d'avoir appliqué les principes scientifiques de l'histoire dans l’histoire sainte, qui est l'histoire construite à partir de la seule Bible, de ne pas exclure l'hypothèse d'une évolution du corps de doctrine dans les premiers siècles, et de présenter la théorie des deux sources à l'origine des évangiles synoptiques.

La condamnation par Pie X des « erreurs du modernisme » (Encyclique Pascendi Dominici Gregis, 8 septembre 1907) tient les tentatives de l'exégèse biblique scientifique pour des entreprises anticatholiques. L'Église catholique soutient fermement l'inerrance biblique et le principe des quatre sens de lecture de l'Écriture. Ce sont encore les perspectives scientifiques appliquées à l'exégèse qui sont refusées.

c)     La condamnation des diverses formes que prend l’humanisme des Lumières

En réalité, l'Eglise, et notamment au milieu du siècle le pape Pie IX, condamnent constamment et énergiquement les doctrines et philosophies issues de l'humanisme des Lumières. Pour comprendre la force de ce refus au fil du XIXe siècle et prendre conscience du parallélisme entre les deux anthropologies laïque et catholique, on peut considérer les condamnations du Syllabus, qui accompagne l'encyclique Quanta Cura (8 décembre 1864) dans laquelle Pie IX s'insurge contre la liberté des sciences et en particulier de la philosophie.

On retient ici les condamnations d'opinions issues de l'humanisme et des Lumières.

- Le Syllabus condamne le rationalisme affirmant le rôle exclusif de la raison : « La raison est la règle souveraine d'après laquelle l'homme peut et doit acquérir la connaissance de toutes les vérités de toute espèce ». « Toutes les vérités de la religion découlent de la force de la raison humaine » (proposition condamnée). Ou encore : « La Révélation divine est imparfaite et par conséquent sujette au progrès continu et indéfini qui correspond à la marche en avant de la raison humaine » (proposition condamnée).

- Le Syllabus condamne le libéralisme et l'indifférentisme religieux et le choix libre d'une religion par la raison de chaque homme. « Il est libre à chaque homme d'embrasser et de professer la religion qu'il aura réputée vraie d'après la lumière de la raison » (proposition condamnée), car « les hommes peuvent trouver le chemin du salut éternel et obtenir ce salut éternel dans le culte de n'importe quelle religion » (proposition condamnée). Ou encore : « L'Église n'a pas le pouvoir de définir dogmatiquement que la religion de l'Eglise catholique est la seule vraie religion » (proposition condamnée).

- Le Syllabus condamne d'avance la séparation de l'Église et de l'État et l'abolition du Concordat (1905) : « Il appartient au pouvoir civil de définir quels sont les droits de l'Église et les limites dans lesquelles elle peut les exercer », ou encore « L'Église doit être séparée de l'État, et l'État séparé de l'Église ». Au demeurant « il n'est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'État, à l'exclusion de tous les autres cultes », et ce d'autant plus que « les lois de la morale n'ont pas besoin de la sanction divine ».

d)    La dénonciation des franc-maçonneries

De ce point de vue, il est intéressant de connaître les critiques adressées par l'Église aux franc-maçonneries ; on y retrouve le même refus des principes de l'humanisme. Déjà on sait qu'au XIXe siècle le Grand Orient a abandonné la référence au Grand Architecte. On peut retenir trois griefs :

- Il est reproché à la franc-maçonnerie de ne voir dans la doctrine religieuse qu'une contrainte illégitime imposée d'autorité à la liberté de l'homme, et de considérer qu'il n'y a pas de Vérité doctrinale.

- En conséquence, la franc-maçonnerie qui met toutes les religions sur le même plan enseigne la tolérance et le relativisme doctrinal ; il n'est pas de règle morale d'essence divine et intangible. « La morale doit évoluer au gré du consensus des sociétés. »

- Enfin la franc-maçonnerie refuse évidemment tout magistère clérical « instrument de la contrainte sur la raison de chacun » (Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon).

e)     Conclusion : la laïcité « à la française » et l’humanisme triomphant

On peut ainsi considérer qu'au XIXe siècle, et au moins en France, deux anthropologies principales se sont opposées, une anthropologie laïque héritière de l'humanisme des Lumières qui s'impose largement, et en réponse polémique une anthropologie catholique qui cherche, par-dessus la tourmente révolutionnaire, à se réaffirmer conformément aux principes du concile de Trente.

Récemment encore Paul Gourdeau (ancien grand maître du Grand Orient de France) a pu écrire : « Le combat qui se livre actuellement repose sur l'équilibre de deux cultures : l'une fondée sur l'Évangile et l'autre sur la tradition historique d'un humanisme républicain. Et ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la vérité est révélée et intangible d'un Dieu à l'origine de toute chose, ou elle trouve son fondement dans les constructions de l'Homme toujours remises en question parce que perfectibles à l'infini ».

A la fin du XIXe siècle l'anthropologie humaniste des Lumières est sortie victorieuse de ce combat, avec l'anticléricalisme militant et l'éviction du clergé et de la religion hors de toutes les institutions, la Séparation de l'Église et de l'Etat, et en général la promotion optimiste de la Raison, de la Science et du Progrès. Déjà pour Victor Cousin le professeur de philosophie devrait être « un fonctionnaire de l'ordre moral », et Renouvier en 1872 voudrait que fût transférée à l'État la « charge d'âmes » qui fut celle de l'Église. L'enseignement de la philosophie est intégré aux programmes des lycées. Les buts de l'humanisme français semblent alors atteints.

La loi de séparation consolide la laïcité « à la française », dont on comprend les perspectives polémiques. S'opposent « les deux France », la France cléricale et la France républicaine et laïque, bien symbolisées par Jeanne d'Arc laïque et par sainte Jeanne d'Arc. L'identité française est pour longtemps fondée sur ces deux anthropologies.

4.    Conclusion de l’annexe 1

Autour de l'idée fondamentale de l’homme mesure de toute chose, les significations de l'humanisme ont donc bien évolué au fil des siècles, et on a vu à quel point, au moins jusqu'à une époque récente, l'histoire de l'humanisme s'éclaire si on la rattache au conflit permanent mené avec l'Église et la religion catholique.

Ce qui définit les premiers humanistes des XVe et surtout XVIe siècles est un ensemble de principes qui se caractérisent par l'érudition, le refus de toute contrainte religieuse extérieure et une religion et une piété intérieures. Se dégage l'aspect fondamental de l'humanisme, selon lequel l'homme est son propre artisan.

Au XVIIe siècle, l'humanisme se développe en trois directions : avec ceux qu'on appelle les libertins la culture humaniste se définit par la naissante morale laïque qui s'affirme par elle-même, sans le socle de la religion ; mais au sein même du catholicisme, en face du courant antihumaniste port-royaliste il existe aussi au XVIIe siècle deux courants humanistes, l'humanisme dévot et surtout l'humanisme des jésuites.

L’humanisme des Lumières développe largement l’idéal humaniste : le sujet libre, l’objet vrai. Le sujet est libre de toute contrainte extérieure et se construit lui-même, et son objet est non un objet de croyance mais de vérité scientifique. Les valeurs humanistes des Lumières sont l'autonomie de la raison, le refus de l'argument d'autorité, la croyance en un Progrès indéfini et parallèle en science et sur le plan moral, l'ouverture à la science et à la technique, la promotion du vrai et de l'utile, l'affirmation de la légitimité de la recherche du bonheur sur cette terre, l'individualisme. Apparait la franc-maçonnerie.

Au terme d'un long conflit avec l'Église catholique qui dès la Restauration définit plutôt une religion du sentiment et du cœur soumise à l'autorité cléricale et destinée au peuple, le XIXe siècle voit le développement d'une anthropologie humaniste positiviste et laïque, fondée sur une Raison sûre d'elle-même. Naissent et s'affirment le positivisme, le scientisme, la laïcité, l'anticléricalisme, et la laïcité « à la française ».

Les catastrophes du XXe siècle montrent les limites sinon la vanité de l'idéal humaniste, et les sciences humaines rejettent parfois l'héritage des Lumières. Les critiques formulées contre l'humanisme sont de tous ordres : le refus des influences crypto-chrétiennes, le refus d'une nature humaine éternelle et universelle, les limites apportées à la croyance en un homme se construisant lui-même, le refus de l'individualisme humaniste, la remise en cause du culte de la Raison, le soupçon jeté sur la science et peut-être sur la connaissance, le refus de la confiance en un progrès automatique en vertu parallèle à un progrès en science. A ces évolutions il aurait fallu associer la philosophie et l'anthropologie symboliste, très réservée sur le rôle de la logique et de la raison, et largement ouverte aux théories anti-intellectualistes de l'Âme du Monde. S'y ajoutent encore des dénonciations plus politiques, comme le refus de l'ethnocentrisme bourgeois.

Aujourd’hui l'humanisme n'a plus les supports intellectuels qui l'ont constitué au fil des siècles classiques, mais les thèmes fondamentaux ne s'en sont pas moins répandus dans tous les milieux :

- L’homme est la mesure de toute chose ;

- l’homme est libre de toute contrainte extérieure, il n’est soumis « à l’ascendant de personne » et se construit lui-même ;

- l’objet vrai est objet non de croyance mais de vérité scientifique, et cet objet est utile en ce monde.

Même si son sens a pu se délayer, l'humanisme s'est considérablement élargi à des groupes avec lesquels il était en conflit, et ses apports fondamentaux, renouvelés et enrichis, sont toujours affirmés, mis en application et vécus.

On retrouve désormais partout cette philosophie de l'humanisme - qui ne se reconnaît pas humaniste ?

Annexe 2 : Conférence de Maxence Hecquard sur les fondements philosophiques de la démocratie moderne

Source : https://www.recatho.com/bibliotheque/o/hecquard-m--les-fondements-philosophiques-de-la-democratie-moderne-20170429

Maxence Hecquard explique que la philosophie moderne est issue de la philosophie épicurienne. Cette dernière avait été oubliée pendant mille ans, tout simplement parce que les moines n’avaient pas recopié les manuscrits considérés comme impies, tout comme on avait abandonné les cultes païens et remplacé les temples dédiés aux dieux grecs par des églises. Cette philosophie épicurienne a été redécouverte précisément en Janvier 1417 quand on a retrouvé dans un monastère à Murbach en Alsace le manuscrit d'un des grands disciples d'Epicure, Lucrèce. Il s’agit d’un poème en latin, le « De rerum natura », qui explique la naissance du monde et qui est un condensé de la philosophie épicurienne.

Tous les philosophes vont ensuite être influencés par Lucrèce. Par exemple, Montaigne, au XVIe siècle, cite 150 fois Lucrèce dans les Essais. Et, au XVIIIe siècle, tous les philosophes des Lumières lisaient Lucrèce, à tel point que le cardinal Melchior de Polignac a écrit un livre contre Lucrèce, l'Anti-Lucretius, pour essayer de défendre la vision aristotélicienne du monde.


 

Annexe 3 : Conférence de Maxence Hecquard sur la modernité et le modernisme

Source : https://www.recatho.com/bibliotheque/o/hecquard-m--modernite-et-modernisme-201907

Note liminaire : Maxence Hecquard n’utilise jamais le mot humanisme, mais il parle de modernité. Nous espérons ne pas trop déformer sa pensée en disant que la modernité, dans le contexte de ses conférences, désigne la philosophie moderne, celle des lumières, l’humanisme.

Dans une autre conférence, Maxence Hecquard décrit la philosophie moderne comme étant « un avatar de la philosophie d'Epicure que l'on peut aussi bien qualifier de panthéisme que de matérialisme, et dont l'essence est d'affirmer que le monde s'explique par lui-même sans qu'il faille poser, comme le faisaient Platon et Aristote, un premier moteur qui rendrait compte de son existence et lui donnerait des règles ». Il ajoute que « l'essence de sa philosophie [d’Epicure], c'est son impiété ». […] « Rien ne naît de rien par miracle divin », dit Lucrèce, « tout se fait sans nul concours des dieux ». […] De même que l'amour de Dieu est la marque de l'ère chrétienne, de même son rejet est le fil rouge de la modernité. Le monde s'explique désormais sans Dieu, Dieu n'existe plus ! […]

Or le monde, nous dit Lucrèce, et nous disent les épicuriens, est animé d'un mouvement perpétuel - "Panta rhei" disait Héraclite, "tout coule". Le mouvement existe, les hommes le constatent, et depuis trois siècles, ils nomment ce mouvement "progrès", peu importe l'origine du monde. Epicure expliquait son apparition par ce qu'il appelait le clinamen, c'est-à-dire l'inclinaison du mouvement des atomes qui les faisait s'entrechoquer. Kant nous dira qu'il y a une cause inconditionnée, une sorte de liberté de la nature. Nos contemporains parlent tout simplement de hasard, le mouvement de la nature n'a pas d'explication, son soi-disant progrès encore moins. En réalité, comme l'expliquait en 1878 un jeune philosophe prématurément disparu, Jean-Marie Guyau, le concept même de progrès est directement induit par l'athéisme d'Epicure. Je cite Guyau : "du moment où l'homme ne reçoit pas des mains d'un Dieu créateur sa civilisation toute faite, il faut qu'il la fasse lui-même avec le temps. Ainsi, toute théorie non religieuse du monde suppose comme corollaire et comme confirmation une histoire du progrès de l'homme. L'idée de progrès", nous dit Guyau, "vient s'opposer à celle de création". "A l'inverse", commente l'épicurien contemporain André Comte-Sponville, "si le monde est créé par un ou plusieurs dieux, il n'est guère vraisemblable qu'il puisse progresser. Comment ferions-nous mieux que celui ou ceux qui nous ont créés ? C'est pourquoi", dit-il, "les religions pensent la chute plutôt que le progrès" - la chute, le péché originel - "Ainsi, nous constatons le mouvement de la nature et nous le vivons, le reste est bavardage. C'est là toute notre philosophie, la modernité est une philosophie de l'évolution, une métaphysique du devenir, nous venons du rien, nous progressons vers nulle part, nous retournerons bientôt au néant, notre vie ne dure qu'un instant, la seule chose qui importe est la liberté de cet instant, car cet instant est court, donc précieux, il faut le goûter, en profiter, la modernité est précisément l'adhésion à ce culte de l'instant, à cette gourmandise de la terre". Et cet hédonisme auquel on réduit trop souvent la philosophie d'Epicure est moins l'essence que le symptôme de la modernité, il est en effet la seule manière de supporter la brièveté de l'instant, et je ne résiste pas à l’envie de vous lire le discours de l'impie que nous rapporte le livre de la Sagesse :

"Le temps de notre vie est court et plein d'ennui, l'homme n'a plus de bien à attendre après sa mort, et on ne connaît personne qui soit revenu des enfers. Nous sommes nés du néant et, après cette vie, nous serons comme si nous n'avions jamais été. Le souffle de nos narines est comme une fumée, et la raison n'est qu'une étincelle qui remue notre cœur. Lorsqu'elle sera éteinte, notre corps sera réduit en cendres, et l'esprit se dissipera comme un air subtil ; et notre vie disparaîtra comme une nuée qui passe. [...] Venez donc, jouissons des biens présents, et hâtons-nous d'user des créatures comme pendant la jeunesse. Gavons-nous de vins précieux et de parfums, et ne manquons pas la fleur du temps. Couronnons-nous de roses avant qu'elles se flétrissent ; qu'il n'y ait de prairie qui ne connaisse notre luxure. Qu'aucun des nôtres ne manque à notre orgie. C'est là que nous laisserons les signes de la joie car telle est notre part et tel est notre destin."

C'est le discours de l'impie rapporté dans la Bible, dans le livre de la Sagesse 2, 1-9.

Ce discours, c'est celui d'Epicure en fait, et c'est celui, évidemment, de l'homme moderne. [On retrouve ce discours] dans un des rares textes que nous avons encore d'Epicure lui-même. Dans sa lettre à Ménécée, il dit que "le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse". […]

Le frère Thierry, dans son introduction, nous a expliqué que le modernisme est un concept en quelque sorte religieux. Il s'agit d'un mouvement, d'une tendance intellectuelle, qui a marqué le 19e siècle et l'Eglise catholique notamment, et le 20e siècle. Comment est-on passé de cette modernité à ce modernisme ? [On y passé] parce que les chrétiens peu à peu se sont rangés à la philosophie des Lumières. […]

Toute l'histoire de l'Eglise au 19e siècle a été en réalité un combat contre cette philosophie des Lumières panthéiste. [...] Les canons les plus importants des constitutions de Vatican I sont des canons quasiment philosophiques où Pie IX, entouré de tous les évêques du monde entier, condamne solennellement le panthéisme des Lumières. Il dit qu'on ne peut pas concevoir que le monde soit arrivé par hasard, tout seul, qu'on ne peut pas concevoir comme l'ont dit beaucoup des philosophes des Lumières que Dieu et le monde, c'est la même chose. […]

Au début du 20e siècle, saint Pie X a affronté le modernisme qui grandissait dans l'Eglise et sur tous les fronts. […] Dans sa lettre sur le Sillon, saint Pie X condamne l'essence même du modernisme qui est de dire que le pouvoir vient des hommes. Saint Pie X explique que c'est faux, que cela va directement contre l'épître de saint Paul aux romains qui dit que tout pouvoir vient de Dieu. Et c'est cela, la souveraineté populaire, qui est condamnée dans la démocratie chrétienne. […]

Le modernisme [est] une adaptation de la modernité épicurienne au christianisme.

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