Voici une raison capable de nous faire comprendre qu’il est non seulement utile, mais nécessaire d’expliquer très souvent ce précepte, et de rappeler à tous les devoirs qu’il impose. nous voulons parler de la déclaration si autorisée de l’Apôtre Saint Jacques, lequel ne craint pas d’affirmer que « celui qui ne pèche point en paroles est un homme parfait » (Jacq., 3, 2.) et un peu plus loin ajoute: « La langue n’est qu’une petite partie du corps, et cependant quels effets ne produit-elle pas ! Il ne faut qu’une étincelle pour embraser une grande forêt », et le reste qui est dans le même sens. — Ces paroles nous apprennent deux choses: la première, que le péché de la langue est extrêmement répandu. C’est ce que nous confirme de son côté le Prophète David. « Tout homme est menteur », dit-il (Ps., 115, 11.), comme si ce péché était le seul qui pût s’étendre à tous les hommes. La seconde, c’est qu’il est la source de maux innombrables. Car souvent le coup de langue du médisant cause la perte de la fortune, de la réputation, de la vie, du salut même, soit pour celui qui est atteint par la médisance, parce qu’il supporte mal l’injure qu’on lui fait, et qu’il manque de courage pour ne s’en point venger, soit pour celui qui est l’auteur de l’offense, parce que, victime d’une mauvaise honte et de la crainte exagérée du qu’en dira-t-on, il ne peut se déterminer à donner satisfaction à celui qu’il a blessé. C’est pourquoi il ne faut pas manquer d’exhorter les Fidèles à rendre à Dieu les plus vives actions de grâces de ce qu’il a défendu expressément le faux témoignage, en nous donnant un précepte très salutaire, qui ne nous interdit pas seulement d’injurier les autres, mais qui nous protège encore, si on l’observe, contre les injures que les autres seraient tentés de nous faire.
Afin de garder, en expliquant ce précepte, le même ordre et la même marche que dans ceux qui précèdent, nous avons à remarquer qu’il renferme deux prescriptions distinctes: l’une négative, qui nous défend de porter faux témoignage, l’autre positive, qui nous ordonne d’écarter résolument de notre conduite toute dissimulation et tout mensonge, et de mesurer nos paroles et nos actes sur la simple vérité. Double devoir que l’Apôtre Saint Paul rappelait aux Ephésiens, quand il leur disait: (Éph., 4, 15.) « Ne séparons pas la vérité de la charité, afin de croître en Jésus-Christ dans toutes choses. »
On entend ordinairement par faux témoignage tout ce qui est affirmé et soutenu de quelqu’un, contre la vérité, en bonne ou en mauvaise part, devant la justice ou non. Cependant le faux témoignage qui nous est spécialement défendu par ce précepte, c’est celui qui se fait en justice, avec serment, contre la vérité. Car si le témoin jure par le nom même de Dieu, c’est parce qu’un témoignage qui s’appuie sur ce nom sacré n’en acquiert que plus de poids et d’autorité. Mais d’autre part comme ce témoignage est très dangereux dans ses conséquences, Dieu le défend d’autant plus fortement. C’est qu’en effet le juge lui-même n’a pas le droit de récuser des témoins qui affirment avec serment, s’ils ne tombent pas sous les exceptions prévues par la Loi, ou bien s’ils ne sont pas reconnus pour gens de mauvaise foi et sans aucune probité. Et la raison en est que la Loi divine nous ordonne expressément de tenir « pour constant et véritable le témoignage de deux ou trois perssonnes » (Dr., 19, 15. ; Matth., 18, 16.). — Mais afin que les Fidèles comprennent parfaitement la nature et l’étendue de ce précepte, il importe avant toutes choses de bien leur apprendre ce qu’il faut entendre par le prochain, contre qui il est défendu de porter faux témoignage.
Or, le prochain, selon l’enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est tout homme quia besoin de nous, qu’il nous soit proche ou éloigné, concitoyen ou étranger, ami ou ennemi.
C’est un crime en effet de penser qu’on puisse faire un faux témoignage contre des ennemis, lorsque Dieu et notre Seigneur nous font un précepte de les aimer.
Mais il y a plus ; comme chacun de nous, dans un certain sens, est à soi-même son prochain, personne n’a le droit de porter contre soi-même un faux témoignage. Ceux qui ont le malheur de commettre un pareil crime, en se diffamant et en se couvrant de honte, se nuisent à eux-mêmes d’abord, et en même temps ils font tort à l’Eglise, comme ceux qui se suicident nuisent à la société. C’est l’enseignement formel de Saint Augustin: (Epist., 52 ad Maced.) « Les personnes peu éclairées, dit-il, pourraient penser qu’il n’est pas défendu de se porter comme faux témoin contre soi-même, parce que dans la formule du Commandement il est dit seulement: contre le prochain ; mais que celui qui a fait contre lui-même une déposition fausse n’aille pas se croire innocent, puisque la règle de l’amour du prochain, c’est de l’aimer comme soi-même. »
Et parce qu’il nous est défendu de faire tort au prochain par le faux témoignage, il faut bien nous garder d’en conclure que le parjure nous est permis pour rendre quelque service ou procurer quelque avantage à ceux qui nous sont unis par les liens du sang ou de la Religion. Il ne faut être utile à personne par le mensonge, encore moins par le parjure. C’est pourquoi Saint Augustin, dans une lettre à Crescence sur le mensonge (Cap., 12, 13, 14.), ne craint pas de dire, en s’appuyant sur l’autorité de l’Apôtre Saint Paul, que le mensonge doit être mis au nombre des faux témoignages, quand même il décernerait à quelqu’un de fausses louanges. Il rapporte d’abord les paroles de l’Apôtre: nous serons nous-mêmes convaincus d’avoir été de faux témoins, parce que nous avons porté témoignage contre Dieu même, en disant qu’Il a ressuscité Jésus-Christ, qu’Il n’a cependant pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas, puis il ajoute : l’Apôtre regarde comme faux témoignage de dire une chose fausse de Jésus-Christ, quoiqu’elle soit à sa Gloire (I Cor., 15, 16.).
N’arrive-t-il pas très souvent d’ailleurs que celui qui favorise quelqu’un par son faux témoignage, porte par là même préjudice à un autre ? ne met-il pas le juge dans une sorte d’erreur invincible ? Aussi qu’arrive-t-il ? le juge trompé par de faux serments est forcé de prononcer contre le droit en faveur de l’injustice.
Quelquefois même celui qui a gagné sa cause en justice, grâce au faux témoignage d’un complice, et cela impunément, celui-là, disons-nous, est tout fier de sa victoire, dès lors il rend l’habitude de corrompre des témoins, dans l’espoir qu’avec leur aide, il réussira dans toutes ses entreprises.
Le faux témoignage est également très funeste au témoin lui-même. Aux yeux de celui qu’il a criminellement servi par son serment, il n’est plus qu’un parjure et un vil imposteur ; mais par contre, en voyant que son mensonge a réussi, il se trouve encouragé au mal et prend de jour en jour des habitudes plus grandes de hardiesse et d’impiété.
Mais si la fausseté, le mensonge et le parjure sont nettement défendus aux témoins, ils le sont tout autant aux accusateurs, aux accusés, aux protecteurs, aux parents, aux procureurs, aux avocats, en un mot à tous ceux qui ont part aux jugements.
Enfin Dieu défend, non seulement devant les juges, mais même partout ailleurs, un témoignage quelconque capable de porter préjudice ou de causer quelque dommage au prochain. Il est écrit en effet dans le Lévitique, à l’endroit même où ces défenses sont faites à plusieurs reprises: (Lv., 19, 11.) « Vous ne déroberez point, vous ne mentirez point ; et personne ne trompera son prochain. » Des paroles si claires ne permettent pas de douter que Dieu, par ce précepte, ne réprouve et ne condamne absolument tout mensonge, quel qu’il soit. David dans ses Psaumes nous l’atteste aussi, et très clairement (Ps., 5, 7.): « Vous perdrez, dit-il, tous ceux qui profèrent le mensonge. »
Le huitième Commandement de Dieu ne nous défend pas seulement le faux témoignage, il nous interdit de plus le vice et l’habitude détestables de la médisance, cette véritable peste, qui donne naissance à une multitude incroyable d’inconvénients très fâcheux et de maux de toute espèce. Cette habitude criminelle de déchirer et d’outrager secrètement son prochain est vigoureusement condamnée en beaucoup d’endroits de nos Saints Livres. David nous dit: (Ps., 100, 5.) « Je ne recevais pas le médisant à ma table. » Et l’Apôtre Saint Jacques ajoute de son côté: (Jacq., 4, 11.) « Mes Frères, ne parlez point mal les uns des autres. »
Mais l’Ecriture Sainte ne se borne pas à condamner la médisance, elle nous fournit des exemples qui mettent en pleine lumière toute l’énormité de ce crime. Ainsi Aman, par ses infâmes calomnies, enflamme tellement la colère d’Assuérus contre les Juifs, que ce prince ordonne de les faire tous périr. L’Histoire sainte est remplie de traits semblables. Les Pasteurs ne manqueront pas de les rappeler aux Fidèles, afin de les détourner de cet horrible péché.
Pour comprendre et pénétrer toute la malice de la médisance, il faut savoir qu’on blesse la réputation du prochain, non seulement en employant contre lui la calomnie, mais encore en augmentant et en exagérant ses fautes réelles. Et même si quelqu’un a commis un péché très secret dont la révélation doit nécessairement être préjudiciable à son honneur et le couvrir de honte, celui qui fait connaître ce péché, dans un lieu, dans un temps et à des personnes qui ne sont pas obligées de le savoir, doit passer à juste titre pour un calomniateur et un médisant.
Mais de toutes les calomnies, la plus coupable, à coup sûr, est celle qui s’en prend à la Doctrine catholique, et à ceux qui la prêchent. Et quiconque accorde des éloges aux propagateurs de l’erreur et des mauvais principes commet la même faute. Il faut en dire autant de ceux qui, en entendant la détraction et la médisance, non seulement ne blâment point les calomniateurs, mais les écoutent avec plaisir. C’est ce qui a fait dire à Saint Bernard et à Saint Jérôme, qu’il n’est pas facile de distinguer lequel est le plus coupable de celui qui médit, ou de celui qui écoute la médisance ; « car, disent-ils, (S. Hier. Epist. ad Nepot. ; Div. Bern. lib., 2 de Consid. Ad Eug.) il n’y aurait point de médisant s’il n’y avait personne pour écouter la médisance ».
On désobéit également à ce précepte, si par ses artifices on met la désunion et le désaccord entre les hommes ; si l’on se plaît à semer des dissensions, à miner et à détruire, par des rapports mensongers, les liaisons et les sociétés les mieux établies, à pousser les meilleurs amis à des inimitiés irréconciliables, et même à les armer les uns contre les autres. Détestable peste que Dieu condamne et défend quand il dit: (Lv., 19, 16.) « Vous ne serez ni délateur, ni détracteur au Milieu de mon peuple. » C’était le crime d’un bon nombre de conseillers de Saül qui s’efforçaient de le détacher de David, et l’animaient contre lui.
Nous trouvons encore, parmi ceux qui pèchent contre ce huitième Commandement, les flatteurs, les adulateurs qui, par des complaisances et des louanges hypocrites, cherchent à s’insinuer dans l’esprit et le cœur de ceux dont ils attendent la faveur, de l’argent et des honneurs. Vils complaisants qui appellent, comme le dit le Prophète (Is., 5, 20.), « mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal ». Tristes gens que David nous avertit d’éloigner et de chasser de notre société, lorsqu’il nous dit: (Ps., 140, 5.) « que le juste me reprenne par charité et qu’il me corrige, mais que le pécheur ne répande point ses parfums sur ma tête ! » encore que les flatteurs dont nous parlons ne disent point de mal de leur prochain, ils ne laissent pas de lui être très nuisibles, puisque, en le louant jusque dans ses fautes, ils sont cause qu’il persévère dans le mal, jusqu’à la fin de sa vie.
La flatterie, ou l’adulation la plus coupable en ce genre, est celle qui n’a en vue que le malheur et la ruine des autres. Ainsi Saül, pour exposer David à la fureur et au glaive des Philistins, c’est-à-dire selon lui, pour l’envoyer a une mort certaine, le flattait par ces belles paroles: (Is., Reg., 18, 77.) « Voici Mérob ma fille aînée ; je vous la donnerai comme épouse. Soyez seulement homme de cœur, et combattez les combats du Seigneur ! » Ainsi les Juifs pour surprendre Notre-Seigneur dans ses paroles Lui disaient insidieusement: (Matth., 22, 16.) « Maître, nous savons que vous êtes sincère, et que Vous enseignez la Voie de Dieu selon la Vérité. »
Et cependant il y a quelque chose de bien plus pernicieux encore, ce sont ces discours que des amis, des alliés, des parents n’ont pas honte de tenir à un malade mortellement atteint, et déjà prêt à rendre le dernier soupir, discours dans lesquels ils affirment à ce moribond qu’il n’est pas en danger, lui ordonnent d’être gai et souriant, le détournent de la Confession de ses péchés, comme d’une pensée trop triste, et enfin écartent de son esprit tout souci et toute idée des terribles dangers dans lesquels il se trouve.
Il faut donc éviter toute espèce de mensonge, et avant tout, celui qui peut causer au prochain un dommage considérable. Mais ne pas craindre de mentir contre la Religion ou dans des choses qui s’y rapportent, c’est joindre l’impiété à la fourberie.
Il ne faut pas oublier que Dieu est encore grièvement offensé par les injures et les outrages qu’on répand dans les libelles diffamatoires et autres productions du même genre.
Il est même indigne d’un chrétien de chercher à tromper son prochain par un mensonge joyeux ou officieux, encore que ce mensonge n’entraîne pour personne ni profit, ni perte. L’avertissement de Saint Paul sur ce point est formel. « Evitez le mensonge, dit-il (Éph., 4, 25.), que chacun de vous parle selon la vérité ! » C’est qu’en effet, du mensonge pour rire au mensonge grave, la pente est très rapide. Le mensonge joyeux fait contracter l’habitude de mentir. Dès lors on passe pour n’être point sincère et l’on est obligé d’affirmer sans cesse avec serment pour faire croire à sa parole.
Enfin ce Commandement nous défend toute espèce d’hypocrisie ou de dissimulation. La dissimulation dans les paroles aussi bien que dans les actions est également condamnable, puisque les unes et les autres sont comme le signe et la marque de ce que nous avons dans le cœur. Voilà pourquoi Notre-Seigneur, dans ses fréquents reproches aux Pharisiens, les traite d’hypocrites.
Nous avons expliqué ce que le huitième Commandement défend. Voyons maintenant ce qu’il ordonne.
L’objet propre de cette deuxième partie du précepte est que les tribunaux jugent avec équité et conformément aux Lois: elle a également pour but d’empêcher qu’on n’attire les causes à soi en empiétant sur les juridictions. « Car il n’est pas permis, comme le dit l’Apôtre (Rm., 14, 4.), de juger le serviteur d’autrui, » de peur de prononcer sans une connaissance suffisante de la cause. Ce fut le crime précisément de cette assemblée des prêtres et des scribes qui condamnèrent Saint Etienne, comme ce fut aussi le péché de ces magistrats de Philippes, dont l’Apôtre a dit: (Act., 16, 37.) « Après nous avoir publiquement battus de verges, et sans jugement préalable, nous qui sommes citoyens romains, ils nous ont jetés en prison, et maintenant ils nous en font sortir en secret. »
Il ne faut ni condamner les innocents, ni renvoyer les coupables, ni se laisser séduire par des présents ou par la faveur, par la haine ou par l’amitié. Aussi Moise ne manque pas d’adresser aux vieillards qu’il avait établis juges d’Israël, cet avertissement célèbre: (Dr., 1, 16.) « Jugez toujours selon la justice le citoyen comme l’étranger ; ne mettez point de différence entre les individus ; écoutez le petit comme le grand ; ne faites acception de personne, parce que vous jugez pour Dieu. »
Quant aux accusés et aux criminels, Dieu leur fait un devoir de confesser la vérité, lorsqu’ils sont interrogés selon les formes de la justice. Cette confession est un hommage éclatant à la Gloire de Dieu. C’est la pensée de Josué : Lorsqu’il exhorte Achan à dire la vérité, il lui parle de la sorte: (Josué, 7, 19.) « Mon fils, rendez gloire au Seigneur, Dieu d’Israël. »
Et parce que ce précepte s’adresse spécialement aux témoins, le Pasteur aura grand soin d’en parler comme il convient. C’est qu’en effet ce huitième Commandement n’a pas seulement pour but de défendre le faux témoignage, mais encore de nous commander de dire la vérité. Dans les affaires humaines, le témoignage conforme à la vérité est extrêmement important. Il y a une multitude de choses que nous ne pouvons connaître que sur la bonne foi des témoins. Rien donc n’est plus nécessaire qu’un témoignage véridique dans ces choses que nous ne savons pas, et que cependant nous n’avons pas le droit d’ignorer. De là ce mot de Saint Augustin: (Attribué à Saint Augustin par Gratien, mais à tort ; on le trouve pareillement dans Saint Isidore L., 3, cap., 19.) « Celui qui tait la vérité, et celui qui profère le mensonge sont également coupables, le premier parce qu’il ne veut pas être utile, le second parce qu’il cherche à nuire. »
Il peut être permis quelquefois de taire la vérité, mais il faut que ce soit hors des tribunaux. En justice, un témoin interrogé par un juge compétent, doit faire connaître la vérité tout entière, mais à condition de ne pas trop se fier à sa mémoire, et de prendre garde d’affirmer comme certain ce dont il n’est pas absolument sûr.
Les autres personnes que ce précepte oblige également à dire la vérité sont les avoués et les avocats, les procureurs et les accusateurs.
Les avoués et les avocats ne refuseront ni leurs services ni leur appui à ceux qui en ont besoin ;ils se chargeront généreusement de la défense du pauvre ; ils ne prendront point de mauvaises causes pour les soutenir, ils ne feront point durer les procès par calomnie, ou par avarice, et ils auront soin de régler leurs honoraires selon le droit et la justice.
De leur côté, les procureurs et accusateurs devront prendre bien garde de ne point se laisser entraîner par affection, par haine, ou par quelque autre passion, à poursuivre qui que ce soit sur d’iniques imputations,
Enfin la Loi de Dieu ordonne à toutes les personnes pieuses d’être toujours sincères et véridiques dans leurs entretiens et leurs discours, et de ne jamais rien dire qui puisse blesser la réputation d’autrui, pas même de ceux qui les auront offensées ou maltraitées. Elles ne doivent pas oublier en effet qu’il y a entre elles et ces malheureux l’union et les rapports qui existent entre les membres d’un même corps.
Afin que les Fidèles se détournent plus facilement du vice abject du mensonge, le Pasteur leur en fera voir toute la honte et l’énormité. Dans nos Saints Livres, le démon est appelé le père du mensonge. « Parce qu’il n’est point demeuré dans la vérité, nous dit l’Apôtre Saint Jean (Jean, 8, 42.), il est menteur et père du mensonge. »
Pour essayer de détruire un désordre si funeste, le Pasteur ajoutera à cette parole de Saint Jean, tous les maux que le mensonge apporte avec lui ; et comme ces maux sont innombrables, il lui suffira de faire connaître ceux d’entre eux qui sont autant de sources d’où dérivent tous les autres.
Et d’abord, pour montrer combien l’homme faux et menteur offense Dieu grièvement, et à quel degré il encourt sa haine, il citera cette parole de Salomon dans les Proverbes: (Prov., 6, 16 etc.)« Il y a six choses que le Seigneur hait, et une septième qui est en abomination devant Lui: des yeux altiers, une langue calomniatrice, des mains qui versent le sang innocent, un cœur qui médite des pensées mauvaises, des pieds prompts II courir au mal, un homme menteur, un témoin faux. » Dés lors qui pourrait préserver des derniers châtiments celui que Dieu poursuit d’une haine si terrible ?
Et puis, comme le dit l’Apôtre Saint Jacques (Jacq., 3, 9.), « Quoi de plus odieux et de plus infâme que d’employer la même langue à bénir Dieu votre Père et à maudire les hommes qui sont créés à son image et à sa ressemblance, comme si une fontaine pouvait, par la même ouverture, donner une eau douce et une eau amère ! » Et en effet, cette langue qui tout à l’heure louait Dieu et Le glorifiait, ne Le couvre-t-elle pas maintenant de honte et d’opprobre, autant qu’elle le peut, par les mensonges qu’elle profère ? Aussi les menteurs sont-ils exclus de la béatitude céleste. Car à cette demande que David fait à Dieu: (Ps., 14, 1, 2.) « Seigneur, qui demeurera dans vos tabernacles ? » le Saint-Esprit répond « Celui qui dit la vérité dans la sincérité de son cœur, et dont la langue ne connaît pas l’artifice. »
Ce qui fait encore que le mensonge est un très grand mal, c’est qu’ils constitue une maladie de l’âme presque incurable. Car le péché que l’on commet en accusant quelqu’un d’un faux crime, ou bien en blessant son honneur et sa réputation, ce péché ne peut être remis qu’autant que le calomniateur a réparé son tort envers sa victime. Mais précisément, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, cette réparation est très difficile à faire, parce qu’on se trouve retenu par une fausse honte ou par un faux point d’honneur. D’où il suit que celui qui est coupable de ce péché est pour ainsi dire voué aux supplices éternels de l’enfer. Personne en effet n’a le droit d’espérer qu’il obtiendra le pardon de ses calomnies et de ses diffamations, tant qu’il n’aura pas satisfait à celui dont il a souillé l’honneur et la réputation, soit publiquement et en justice, soit dans des entretiens privés et familiers.
Enfin les suites funestes du mensonge s’étendent très loin, et nous atteignent tous. La fausseté et le mensonge font disparaître la vérité et la confiance, qui sont les liens nécessaires de la société, et sans lesquels les rapports entre les hommes tombent dans une confusion telle que le monde ressemble à un véritable enfer.
Le Pasteur comprendra dés lors qu’il doit exhorter les Fidèles à éviter de trop parler. La modération dans les paroles fait fuir les autres péchés, et surtout elle est un préservatif assuré contre le mensonge, vice auquel échappent difficilement ceux qui parlent trop.
Le Pasteur s’appliquera également à détruire l’erreur de ceux qui s’excusent sur le peu d’importance des conversations, et qui prétendent autoriser leurs mensonges par l’exemple de ces sages du monde qui ont pour maxime, disent-ils, de savoir mentir à propos. Il leur fera observer, ce qui est très vrai « que la prudence de la chair est la mort de l’âme » (Rm., 8, 6.). Il les exhortera à mettre en Dieu leur confiance, au milieu des difficultés et des extrémités les plus fâcheuses, et à ne recourir jamais au grossier artifice du mensonge ; car ceux qui se servent de ce subterfuge, laissent voir clairement qu’ils comptent plus sur leur prudence personnelle que sur la Providence de Dieu.
Ceux qui rejettent la cause de leur mensonge sur les menteurs qui les ont trompés les premiers, ont besoin qu’on leur rappelle qu’il n’est pas permis à l’homme de se venger lui-même ; qu’il ne faut point rendre le mal pour le mal, mais au contraire chercher « à vaincre le mal par le bien » (Rm., 12, 17, 21.) ; et que, quand même la vengeance serait permise, il ne peut jamais être utile à personne de se venger à ses dépens, ce qui arriverait sûrement et avec un préjudice considérable si l’on avait recours au mensonge.
Si on en trouve qui apportent pour excuse l’infirmité et la fragilité naturelles, il faut leur remettre en mémoire l’obligation où ils sont d’implorer le secours divin, et de ne point se laisser vaincre par la nature. D’autres diront qu’ils ont contracté l’habitude de mentir. Il faut les exhorter à multiplier leurs efforts pour contracter l’habitude contraire, de dire toujours la vérité, d’autant que ceux qui pèchent par habitude, sont plus coupables que les autres. Quant à ceux — et ils ne sont pas rares — qui prétendent se justifier sur l’exemple des autres hommes qui, selon eux, mentent et se parjurent à tout propos, il faut les détromper par cette considération, que nous ne devons point imiter les méchants, mais bien plutôt les reprendre et faire en sorte de les corriger ; que si, par malheur, nous mentons nous-mêmes, notre parole aura bien moins d’autorité pour faire accepter nos reproches et nos bons conseils.
Ceux qui défendent leurs mensonges en alléguant qu’ils ont éprouvé souvent de graves ennuis parce qu’ils avaient dit la vérité, les Prêtres les réfuteront en leur montrant que par de telles paroles ils s’accusent, bien plus qu’ils ne s’excusent. Le devoir du vrai Chrétien en effet, n’est-il pas de tout souffrir plutôt que de mentir ?
Enfin nous avons encore deux sortes de personnes qui veulent excuser leurs mensonges: celles qui prétendent ne mentir que par plaisanterie, et celles qui le font pour leur utilité, parce que, disent-elles, elles ne pourraient ni bien vendre ni bien acheter, si elles n’avaient recours au mensonge. Les Pasteurs les tireront de leur erreur les unes et les autres. Ils écarteront les premières de ce vice en leur remontrant que rien n’augmente plus l’habitude du mensonge, que de mentir sans aucune retenue. Ils ajouteront (Matth., 12, 36.) « qu’il leur faudra rendre compte de toute parole oiseuse ». Et pour les secondes, ils ne craindront point de les reprendre fortement, et de leur montrer qu’une excuse d’un pareil genre ne fait qu’augmenter leur faute, puisqu’elles prouvent bien par là qu’elles n’accordent ni autorité ni confiance à ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Matth., 6, 33.): « Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît. »