Il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour apercevoir la Puissance infinie, la Sagesse et la Bonté de Dieu. Elles éclatent de toutes parts, dans une multitude de choses. Partout où nous pouvons porter nos regards et notre pensée, nous sommes en face des preuves les plus admirables et les plus certaines de ce pouvoir et de cette bienveillance sans bornes. néanmoins, rien ne manifeste mieux l’amour immense que Dieu a pour nous, et son incompréhensible Charité, que l’ineffable mystère de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voilà la Source intarissable qui purifie les souillures de nos péchés, et où nous demandons à Dieu la grâce d’être plongés et purifiés quand nous disons: pardonnez-nous nos offenses.
Cette Prière renferme donc, comme en une sorte d’abrégé, tous les biens dont le genre humain a été comblé par Jésus-Christ. C’est l’affirmation formelle d’Isaïe: (Is., 27, 9.) « L’iniquité de la maison de Jacob, dit-il, lui sera pardonnée et le comble des avantages pour elle, c’est que son péché sera effacé. » David dit aussi la même chose, en chantant le bonheur de ceux qui ont pu participer à cette faveur si précieuse: (Ps., 31, 1.) « Heureux, ceux dont les iniquités ont été remises. »
Les Pasteurs auront donc à étudier et à expliquer avec beaucoup de soin cette cinquième demande dont nous connaissons l’extrême importance au point de vue du Salut.
Ici, nous entrons dans un nouvel ordre de Prière. Jusqu’ici en effet, nous avons demandé à Dieu non seulement les biens éternels et spirituels, mais encore les avantages périssables qui se rapportent à cette vie. Maintenant nous Le prions d’éloigner de nous les maux de l’âme et ceux du corps, les maux du temps et ceux de l’éternité. Mais comme il est nécessaire, pour être exaucé, de demander convenablement, il nous parait utile de bien marquer les dispositions dans lesquelles il faut être pour adresser à Dieu cette Prière.
Les Pasteurs ont donc à prévenir les Fidèles que celui qui veut s’approcher de Dieu pour Lui faire cette demande, est obligé d’abord de reconnaître ses propres fautes, puis de ressentir une véritable douleur de les avoir commises, et en même temps d’être bien persuadé que Dieu a la volonté de pardonner à tous les pécheurs qui sont dans les dispositions que nous venons de rappeler. Autrement, le souvenir plein d’amertume et la vue effrayante de tous nos péchés pourraient nous jeter dans le désespoir de Caïn et de Judas, qui ne voulurent voir en Dieu qu’un Vengeur et un Justicier, et non point la Bonté même de la Miséricorde infinie.
La principale disposition que nous devons apporter à cette Prière est donc de reconnaître nos fautes avec une vraie Contrition, et de nous adresser à Dieu comme à un Père et non point comme à un Juge. En un mot nous devons Lui demander de nous traiter non d’après sa Justice, mais selon sa Miséricorde.
Or, nous n’aurons aucune peine à confesser que nous sommes de pauvres pécheurs, si nous voulons écouter ce que Dieu Lui-même nous dit dans nos Saints Livres par la bouche de David: (Ps., 13, 3 ; 52, 4.) « Ils se sont tous égarés ; tous se sont corrompus. Il n’en est pas qui fasse le bien, non, pas un seul, » Salomon dit dans le même sens: (Eccl., 7, 21.) « Il n’y a point de juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche jamais ; » puis encore: (Prov., 20, 9.) « Qui peut dire: mon cœur est pur ; je suis exempt de péché ? » et pour détourner les hommes de l’orgueil, Saint Jean a écrit: (Jean, 1, 8.) « Si nous nous disons sans péché nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous ; » enfin Jérémie: (Jr., 2, 35.) « Tu as dit: Je suis sans péché, je suis innocent, éloignez donc de moi votre colère. Eh bien ! voilà que Je vais entrer en jugement avec toi, parce que tu as dit: Je n’ai pas péché. »
Tous ces témoignages que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait donnés au monde par la bouche des Prophètes, II a voulu les confirmer Lui-même en nous prescrivant une Prière qui nous oblige à confesser nos fautes. Il est défendu d’entendre cette demande dans un autre sens, le décret du Concile de Milève est formel: (Cap., 7, 8, 9.) « Si quelqu’un interprète ces paroles de l’Oraison Dominicale: pardonnez-nous nos offenses, comme si les Saints ne les prononçaient que par humilité et non point avec sincérité et vérité, nous voulons qu’il soit anathème. » Et en effet, qui pourrait souffrir un homme capable de mentir non aux hommes mais à Dieu même, et affirmant de bouche qu’il veut être pardonné, pendant que dans son cœur il prétendrait n’avoir pas besoin de pardon !
Mais dans cette reconnaissance nécessaire de nos péchés, il ne suffit pas de nous les rappeler légèrement, il faut que ce souvenir nous soit amer, qu’il pénètre au fond de notre cœur, y éveille le remords et nous inspire une vive douleur. Aussi bien les Pasteurs auront grand soin d’insister sur cette vérité, pour convaincre les Fidèles qui sont obligés non seulement de se rappeler leurs iniquités et leurs désordres, mais de se les rappeler avec une douleur profonde et un repentir sincère. Ainsi, le cœur vraiment contrit, ils se jetteront dans les bras de Dieu leur Père, et ils Le supplieront en toute humilité d’arracher de leurs âmes les terribles aiguillons du péché.
Et ils ne se contenteront pas de mettre sous les yeux des Fidèles toute la laideur du péché, ils leur représenteront encore l’indignité et la bassesse de l’homme, qui n’étant rien par lui-même que corruption et péché ne laisse pas d’offenser lâchement l’incompréhensible Majesté, l’Excellence infinie de ce Dieu qui l’a créé, qui l’a racheté et l’a enrichi d’une multitude innombrable de grâces et de bienfaits.
Et pourquoi ? pour se séparer de Dieu son Père qui est le souverain Bien, et pour aller, séduit par la honteuse récompense du péché, se vouer au démon et à la plus misérable des servitudes. Car on ne saurait dire avec quelle cruauté Satan règne sur l’esprit de ceux qui ont abandonné le joug si léger de la Loi de Dieu, et rompu le lien si doux qui nous attache à Lui, pour passer à cet ennemi acharné que nos Saints Livres appellent: (Jean, 14, 30.) « Le prince et le maître de ce monde, (Éph., 6, 12.) le prince des ténèbres, (Job, 41, 25.) le roi de tous les fils de l’orgueil. » Car c’est bien aux malheureux opprimés sous la tyrannie du démon, que peuvent s’appliquer les paroles d’Isaïe: (Is., 26, 13.) « Seigneur notre Dieu, d’autres maîtres que vous nous ont possédés. »
Si nous sommes peu touchés d’avoir perdu la Charité de Dieu et d’en avoir brisé les liens, soyons-le du moins par les calamités et les misères dans lesquelles nous précipite le péché. Il viole la sainteté de notre âme que nous savons être l’épouse de Jésus-Christ, il profane en elle le temple du Seigneur, et l’Apôtre prononce contre ceux qui souillent ce temple, ce terrible anathème: (I Cor., 3, 17.) « Si quelqu’un viole le temple du Seigneur, le Seigneur le perdra. » Enfin les maux que le péché attire sur l’homme sont innombrables ; c’est comme une peste générale que David a exprimée en ces termes: (Ps., 37, 4.) « A la vue de votre colère, il ne reste rien de sain dans mon corps ; et il n’y a plus de paix dans mes os à la vue de mes péchés. » Pouvait-il mieux caractériser la gravité du mal que le péché lui avait fait, que d’avouer qu’il n’y avait aucune partie de son corps qui n’en eût été blessée, que cette peste avait pénétré jusque dans ses os, c’est-à-dire, avait infecté sa raison et sa volonté qui sont les deux parties les plus fortes de l’âme ? La sainte Ecriture nous peint bien l’étendue des ravages du péché, quand elle donne au pécheur le nom de boiteux, de sourd, de muet, d’aveugle, et de paralytique de tous les membres.
Mais il faut le dire, outre la douleur que David ressentait de la grandeur de son crime, il était surtout plongé dans la plus cruelle affliction à la vue de la colère de Dieu qu’il savait avoir allumée par son péché. Car Dieu, qui se sent offensé par nos crimes, au delà de ce que nous pouvons concevoir, déclare au pécheur une guerre implacable, Saint Paul le dit: (Rm., 2, 8, 9.) « La colère et l’indignation, la tribulation et l’angoisse, voilà le partage de tout homme qui fait le mal ! »
Sans doute l’acte du péché passe, mais la tache et la culpabilité restent ; et la colère de Dieu, toujours menaçante, suit le pécheur comme l’ombre suit le corps. David se sentant pressé par les aiguillons de cette redoutable colère, demandait avec ardeur le pardon de ses fautes. Il nous a laissé dans le Psaume cinquantième un modèle de douleur, avec les raisons et les motifs de cette douleur. Les Pasteurs feront bien de le mettre sous les yeux des Fidèles afin qu’à l’exemple du Prophète ils puissent s’exciter à un véritable repentir, à une douleur sincère de leurs péchés, et concevoir l’espérance du pardon.
II est en effet très utile d’enseigner aux Fidèles les moyens d’exciter en eux le repentir de leurs fautes ; et Dieu Lui-même, par la bouche du Prophète Jérémie, exhortant les enfants d’Israël à faire pénitence, leur recommandait de bien méditer sur les effets toujours désastreux du péché. « Voyez, leur dit-Il, (Jr., 2, 19.) les maux et les afflictions qui vous arrivent pour avoir abandonné le Seigneur votre Dieu, et pour n’avoir pas conservé ma crainte en votre cœur, dit le Seigneur Dieu des armées. »
Ceux qui ne reconnaissent point leurs péchés et n’en éprouvent point un sincère repentir, n’ont qu’un cœur dur (Isa.., 46, 12.), un cœur de pierre (Éz., 36, 26.), un cœur de diamant (Zach., 7, 12.), selon les expressions d’Isaïe, d’Ezéchiel et de Zacharie. Semblables en effet à la pierre, aucune douleur ne les amollit ; ils n’ont aucun sentiment de vie véritable, précisément parce qu’ils manquent de ce double sentiment dont nous venons de parler, l’aveu et le repentir de leurs péchés.
Mais dans la crainte que les Fidèles, épouvantés à la vue de leurs péchés, ne désespèrent d’en obtenir le pardon, les Pasteurs ne manqueront pas de les rappeler à l’Espérance par les considérations que voici: d’abord, notre Seigneur Jésus-Christ a donné à l’Eglise le pouvoir de remettre les péchés, comme le déclare le dixième article du Symbole des Apôtres ; ensuite, dans cette demande même, II nous montre clairement combien Dieu est bon et généreux envers le genre humain. Car s’il n’était pas toujours prêt et empressé à pardonner à ceux qui se repentent, jamais Il ne nous eût imposé cette formule de Prière : pardonnez-nous nos offenses.
Croyons donc fermement et sans aucun doute, que Celui-là ne manquera jamais d’étendre sur nous sa paternelle Miséricorde, qui nous ordonne de L’implorer en ces termes. Car le vrai sens attaché à cette demande, c’est que Dieu a pour nous des sentiments tels qu’Il nous pardonne volontiers dès que notre repentir est sincère.
Sans aucun doute, c’est un Dieu que nous offensons par notre désobéissance, un Dieu dont nous troublons, autant qu’il est en nous, l’ordre si sage qu’il a établi, un Dieu que nous outrageons par nos paroles et par nos actes, mais ce Dieu est en même temps le plus tendre des Pères. Il peut tout nous pardonner ; et non seulement il nous a déclaré qu’Il en avait la Volonté, mais encore Il nous oblige à Lui demander pardon et nous apprend même en quels termes nous devons le faire, pour être exaucés. Il n’est donc pas douteux qu’avec l’aide de Dieu il est toujours en notre pouvoir de nous réconcilier avec Lui.
Cette certitude que nous avons des dispositions constantes de Dieu à nous pardonner ne peut qu’augmenter notre Foi, nourrir notre espérance et enflammer notre Charité. C’est pourquoi il est bien à propos que les Pasteurs, en traitant cette matière, rapportent quelques-uns des témoignages divins et des exemples les plus frappants pour prouver que Dieu a accordé le pardon des plus grands crimes. Mais cette considération ayant été développée par nous, autant qu’elle pouvait l’être, dans la préface de l’Oraison Dominicale, et dans l’article du Symbole sur la rémission des péchés, les Pasteurs pourront prendre en ces deux endroits ce dont ils auront besoin pour leurs explications. Le reste, ils le puiseront aux sources mêmes de la Sainte Ecriture.
Et ils voudront bien suivre le même ordre que celui que nous leur avons indiqué dans les demandes précédentes. De cette manière les Fidèles comprendront ce qu’il faut entendre par le mot dettes, ils ne seront pas trompés par une équivoque et ils ne demanderont pas autre chose que ce qu’ils doivent demander.
Et d’abord il faut leur apprendre que nous ne demandons pas du tout à Dieu de nous dispenser de L’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Cette dette est irrémissible. nous sommes obligés de la payer, si nous voulons être sauvés.
Ce mot de dette exprime aussi, comme il les renferme, l’obéissance, le culte, l’adoration, et tous les autres devoirs de ce genre envers Dieu. Par conséquent nous ne demandons pas non plus ici d’en être dispensés. Mais nous prions Dieu de nous délivrer de nos péchés. Ainsi l’a compris Saint Luc, qui s’est servi du mot de péché au lieu de celui de dette. C’est qu’en effet par le péché nous devenons coupables devant Dieu, nous contractons une véritable dette de peines que nous acquittons soit par la satisfaction, soit par la souffrance. C’est de cette dette que parlait Notre-Seigneur quand Il disait par la bouche du Prophète: (Ps., 68, 6.) «J’ai payé ce que Je ne devais pas. »
Il suit de ces paroles, entendues en ce sens, que non seulement nous sommes débiteurs envers Dieu, mais même des débiteurs insolvables, puisque le pécheur ne saurait en aucune façon satisfaire par lui-même. Voilà pourquoi nous avons besoin de nous réfugier dans le sein de la Miséricorde de Dieu. Et comme cette Miséricorde ne va pas en Dieu sans une Justice non moins grande, et dont Dieu est aussi très jaloux, nous devons employer en même temps la Prière et l’appui de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sans laquelle nul n’obtient jamais le pardon de ses péchés, et qui est le principe et la source de toutes nos satisfactions.
Le prix que le Sauveur a payé sur la Croix, et que nous nous approprions par les Sacrements, lorsque nous les recevons en réalité, ou même lorsque nous désirons seulement les recevoir, ce prix est d’une valeur si haute qu’il obtient et qu’il opère ce que nous demandons ici: la Rémission de nos péchés. Et non seulement la Rémission de nos péchés légers, et dont le pardon est très facile à obtenir, mais encore des fautes graves et mortelles. toutefois, quand il s’agit de péché mortel, notre Prière n’a de vertu que celle qui lui vient du sacrement de Pénitence reçu au moins en désir, sinon dans la réalité.
Mais nous disons: nos dettes, bien autrement que plus haut nous disions: notre pain. Ce pain est notre pain, parce que Dieu dans sa Bonté veut bien nous le donner, mais les péchés sont nos péchés, parce que la culpabilité en réside en nous: C’est notre volonté qui les fait ce qu’ils sont. Ce ne seraient point des péchés, s’ils n’étaient point volontaires.
C’est donc en nous avouant coupables, et en assumant la responsabilité de nos fautes, que nous implorons la Clémence divine seule capable de nous purifier. nous n’apportons aucune excuse, nous ne rejetons notre faute sur personne, comme firent Adam et Eve, nos premiers parents ; mais nous nous accusons nous-mêmes, si nous avons la vraie sagesse, et nous empruntons au Prophète sa Prière: (Ps., 140, 4.) « Seigneur, ne permettez pas que mon cœur s’égare dans des paroles de malice, pour chercher des excuses à mes iniquités. »
Nous ne disons pas non plus: pardonnez-moi, mais pardonnez-nous, parce que l’union et la Charité fraternelle qui doivent exister entre tous les hommes exigent de chacun de nous que nous nous intéressions au salut de tous, et que, en priant pour nous, nous n’oublions pas de prier pour les autres. C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même qui nous a appris cette manière de prier ; puis, l’Eglise de Dieu l’a reçue et conservée fidèlement, et le Apôtres l’ont pratiquée et enseignée aux Fidèles. L’Ancien et le Nouveau testament nous fournissent deux beaux modèles de ces Prières vraiment brûlantes de charité pour le salut du prochain. L’une est de Moise: (Ex., 32, 31.) « ou pardonnez-leur cette faute, ou, si Vous ne la leur pardonne pas, effacez-moi de votre livre », l’autre est de Saint Paul: (Rm., 9, 3.) « Je souhaitais que Jésus-Christ me rendit moi-même anathème pour mes Frères. »
Ce mot comme peut s’entendre ici de deux manières d’abord, dans le sens de comparaison. nous demandons à Dieu que, de même que nous pardonnons les injures et les outrages de ceux qui nous ont offensés, de même aussi Il nous pardonne nos offenses envers Lui. En second lieu ce mot marque une condition, et c’est précisément le sens que Notre-Seigneur lui donne dans ces paroles: (Matth., 6, 14, 15.) « Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes envers vous, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres contre Lui ; mais si vous ne pardonnez rien aux hommes, votre Père ne pardonnera point non plus vos péchés. »
Or ces deux choses sont également nécessaires pour obtenir de Dieu le pardon de nos infidélités. Si nous voulons que Dieu nous pardonne, il est de toute nécessité que nous pardonnions à ceux de qui nous avons reçu quelque offense. Dieu exige de nous d’une part l’oubli des injures, et de l’autre des sentiments de Charité mutuelle, et ces deux choses Il les exige à tel point qu’Il repousse et méprise. les sacrifices et les offrandes de ceux qui ne veulent pas se réconcilier ensemble. C’est aussi une loi de la nature que nous soyons envers les autres tels que nous désirons qu’ils soient pour nous. Et celui-là serait un parfait impudent, qui demanderait à Dieu de lui remettre la peine de son péché, pendant qu’il conserverait, dans son cœur des sentiments d’inimitié pour son prochain.
Ainsi donc nous devons être toujours disposés et prêts à pardonner les injures que nous avons reçues. La Prière que nous récitons nous en fait un devoir, et Dieu Lui-même nous l’ordonne dans Saint Luc: (Luc, 17, 3, 4.) « Si votre frère a péché contre vous, reprenez-le, et s’il se repent, pardonnnez-lui ; et s’il pèche contre vous sept fois le jour, et que sept fois le jour il se retourne vers vous en disant: Je me repens, pardonnez-lui. » Saint Matthieu nous dit de même: (Matth., 5, 44.) « Aimez vos ennemis ; » et Saint Paul, après Salomon, veut que (Rm., 12, 20. ; Prov., 25, 20.) « nous donnions à manger à notre ennemi s’il a faim, et à boire s’il a soif. » Enfin Notre-Seigneur, dans Saint Marc, nous dit: (Marc, 11, 25.) « Quand vous serez au moment de prier, si quelqu’un vous a offensé, pardonnez-lui, afin que votre Père qui est dans les cieux, vous pardonne aussi vos péchés. »
Mais comme il n’y a rien de plus difficile à notre nature dégradée que de pardonner les injures, les Pasteurs se feront un devoir d’employer toutes les ressources de leur zèle et de leur intelligence pour changer le cœur des Fidèles et pour les plier à cet esprit de douceur et de miséricorde si nécessaire au Chrétien. Ils insisteront le plus possible sur ces oracles divins dans lesquels Dieu Lui-même commande expressément de pardonner aux ennemis. Ils proclameront cette Vérité incontestable que l’une des meilleures preuves que nous sommes vraiment les enfants de Dieu, c’est que nous pardonnons facilement les injures, et que nous aimons nos ennemis du fond du cœur. C’est qu’en effet, l’amour pour nos ennemis fait briller en nous une ressemblance particulière avec Dieu notre Père qui s’est réconcilié avec les hommes, ses ennemis acharnés, en les rachetant de la damnation éternelle par la mort de son propre Fils. Enfin ils termineront leurs instructions et leurs exhortations par ce précepte de Notre-Seigneur, que nous ne pourrions repousser sans nous couvrir de honte, et sans nous condamner aux plus grands malheurs: (Matth., 5, 44.) « Priez pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux. »
C’est ici qu’il faut aux Pasteurs une prudence consommée pour ne porter personne au découragement et au désespoir, en faisant connaître d’une part la difficulté. Et de l’autre la nécessité de ce devoir. Car il en est qui, comprenant fort bien qu’ils doivent ensevelir les injures dans un oubli volontaire, et aimer ceux qui les ont offensés, désirent de le faire, et le font en effet autant qu’ils le peuvent. Mais cependant ils se sentent dans l’impossibilité d’épuiser jusqu’au dernier souvenir des injures reçues, et parce qu’ils trouvent encore dans leur cœur certains restes d’inimitié, ils s’agitent et se tourmentent d’une manière terrible, craignant de n’avoir point pardonné avec assez de franchise et de sincérité, et d’avoir ainsi résisté au commandement de Dieu.
C’est alors que les Pasteurs devront expliquer clairement l’opposition constante de la chair et de l’esprit. La chair est portée à la vengeance, mais l’esprit est enclin au pardon. De là entre eux ces luttes incessantes, ces combats sans trêve. Ils diront et enseigneront aux Fidèles qu’ils n’ont rien à craindre pour leur Salut, malgré l’opposition et les combats de la nature corrompue contre la raison, pourvu que l’esprit persiste dans le devoir, et dans la volonté sincère de pardonner les injures et d’aimer le prochain.
Que si, par hasard, il s’en rencontrait quelques-uns, qui n’auraient pu se résoudre encore à oublier les injures reçues, et à aimer leurs ennemis, et qui par suite négligeraient de réciter l’Oraison Dominicale, précisément parce qu’ils ne peuvent remplir la double condition exigée, — il faudrait, pour détruire en eux cette erreur funeste, employer les deux raisons suivantes :
Premièrement, chaque Fidèle fait cette Prière au nom de toute l’Eglise: Or il est certain qu’il y a nécessairement dans l’Eglise un grand nombre de Fidèles qui remettent à leurs débiteurs ces sortes de dettes que nous rappelons ici.
Secondement, en faisant cette demande, nous prions Dieu en même temps de nous accorder tout ce qui nous est nécessaire pour mériter d’être exaucés. nous demandons en effet et le pardon de nos péchés et le don d’une vraie pénitence ; nous demandons la douleur intérieure, l’horreur et la détestation de nos fautes, et la grâce d’en faire au Prêtre une pieuse et sincère confession. Et comme il est nécessaire que nous pardonnions à ceux qui nous ont fait quelque tort, ou causé quelque dommage, lorsque nous prions Dieu de nous pardonner, nous Lui demandons en même temps qu’Il nous accorde la grâce de nous réconcilier avec ceux que nous haïssons. Il y a donc lieu d’arracher à leur opinion ceux qui sont frappés de cette crainte mal fondée et même criminelle, qu’en priant ainsi ils ne feraient qu’irriter Dieu davantage. Il faut même les exhorter à réciter souvent l’Oraison Dominicale, pour demander à Dieu leur Père cet esprit qui nous fait pardonner à ceux qui nous offensent, et aimer même nos ennemis.
Mais pour faire cette Prière avec tout le fruit possible, il faut d’abord y entrer avec cette pensée et cette préoccupation très vives que nous nous présentons devant Dieu comme des suppliants, et que nous Lui demandons un pardon qui ne s’accorde qu’au vrai pénitent. Dès lors notre cœur doit être rempli de cette Charité et de cette piété qui vont si bien avec le repentir. Et rien ne convient mieux au pénitent sincère que d’expier dans les larmes les iniquités et les crimes dont le triste tableau afflige ses regards.
A cette pensée il faut joindre certaines précautions pour éviter à l’avenir ce qui a été pour nous une occasion de péché, et qui pourrait l’être encore, vis-à -vis de Dieu, notre Père. Ces sentiments étaient ceux de David, quand il disait: (Ps., 50, 5.) « Mon péché est toujours devant moi ; » et dans un autre endroit: (Ps., 6, 7.) « chaque nuit ma couche est baignée de mes pleurs, et mon lit est arrosé de mes larmes. »
Chacun de nous pourra se rappeler très utilement que ceux qui ont obtenu de Dieu le pardon de leurs péchés le Lui avaient demandé avec les désirs les plus ardents. Par exemple, ce Publicain qui restait loin de l’Autel, tout pénétré de confusion et de douleur, les yeux humblement baissés, et se frappait la poitrine en disant: (Luc, 18, 13.) « Mon Dieu, ayez pitié de moi qui ne suis qu’un pécheur ! » Par exemple encore, cette pécheresse qui se tenait derrière le Sauveur, arrosait ses pieds de ses larmes, les essuyait avec ses cheveux et les baisait. Et enfin Pierre, le Prince des Apôtres qui, (Matth., 26, 75.) « étant sorti, pleura amèrement ».
Il faut bien voir aussi que plus les hommes sont faibles et prédisposés aux maladies de l’âme, qui sont le péché, plus ils ont besoin de remèdes nombreux et fréquents. Or, les remèdes de l’âme malade sont la Pénitence et l’Eucharistie. Les Fidèles ne sauraient donc y recourir trop souvent.
L’Aumône ensuite, comme nous le disent nos Saints Livres, est également un remède très salutaire pour guérir les plaies de l’âme. C’est pourquoi ceux qui désirent réciter cette Prière avec une parfaite piété, n’oublieront pas de faire aux pauvres tout le bien possible. L’Aumône possède une vertu merveilleuse pour effacer les taches du péché. C’est la parole de l’ange Raphaël au jeune Tobie (Tobie, 12, 9.) « L’Aumône délivre de la mort, c’est elle qui lave les péchés et fait trouver la miséricorde et la Vie Eternelle. »C’est aussi celle de Daniel au Roi nabuchodonosor: (Dn., 4, 24.) « Rachetez vos péchés par des aumônes, et vos iniquités par la miséricorde envers les pauvres. »
Mais la meilleure Aumône, la meilleure manière d’exercer la miséricorde, c’est d’oublier les injures et de vouloir du bien à ceux qui nous ont fait tort à nous, ou aux nôtres, dans nos biens, dans notre réputation et dans notre personne. Quiconque veut trouver Dieu miséricordieux pour soi-même, doit Lui sacrifier généreusement toutes ses inimitiés, pardonner toute espèce d’offense, prier très volontiers pour ses ennemis, et profiter de toutes les occasions pour leur rendre service.
Mais comme nous avons déjà traité ce sujet, en parlant de l’homicide, nous y renvoyons les Pasteurs.
En terminant l’explication de cette demande, ils ne manqueront pas de faire voir qu’il n’y a rien, qu’on ne peut même imaginer rien de plus injuste que de demander à Dieu d’être pour nous plein de douceur et de miséricorde, si nous-mêmes nous sommes durs pour notre prochain, et ne pratiquons la douceur envers personne.