Le premier Commandement, que nous venons d’expliquer, et qui nous ordonne de rendre à Dieu un culte saint et plein de respect, renferme nécessairement le Commandement dont nous avons à parler maintenant, et qui est le second. Qui veut être honoré, en effet, veut par là -même qu’on parle de lui avec une déférence parfaite, et il défend même le contraire. C’est ce que nous indiquent clairement ces paroles du Seigneur dans Malachie: (Ml., 1, 6.) « Le fils doit honorer son père, et le serviteur son maître ; si donc Je suis votre Père, où sont les honneurs qui me sont dus ? » Mais Dieu, pour nous faire comprendre la grandeur du devoir qu’Il nous impose ici, a voulu nous prescrire, sur l’honneur qui doit environner la sainteté de son, nom divin, un précepte spécial, et qu’Il a exprimé en termes très clairs et très formels. Et cette raison doit suffire pour montrer au Pasteur que ce n’est pas assez de parler de ce Commandement d’une manière générale, mais qu’il faut au contraire s’y arrêter assez longtemps, afin de pouvoir donner aux Fidèles les explications particulières claires et précises dont ils ont besoin. Et il ne peut apporter à ce travail trop de diligence et de zèle, puisque, malheureusement, il est des hommes tellement aveuglés par l’erreur, qu’ils ne craignent pas de maudire Celui que les Anges glorifient. Loin d’être retenus par la Loi donnée par Dieu Lui-même, ils ont l’audace et la témérité d’avilir la Majesté divine par leurs blasphèmes de tous les jours, et presque de tous les instants. Qui ne voit en effet qu’on affirme tout avec serment ? qu’on met des imprécations et des exécrations partout ? Presque tous ceux qui vendent, qui achètent, ou qui traitent quelque affaire, ont recours au serment, et prennent mille fois en vain le nom du Seigneur, même dans les choses les plus légères et les plus frivoles. C’est donc un véritable devoir pour le Pasteur de redoubler de soin et de zèle, afin de rappeler souvent aux Fidèles combien ce crime est énorme et détestable.
La première chose à faire remarquer dans l’explication de ce précepte c’est que s’il est certaines choses qu’il défend, il en est d’autres qu’il commande, et que les hommes sont obligés d’accomplir. Ces deux points veulent être traités séparément. Et pour que cet enseignement soit plus facile et plus clair, il faut commencer par les choses que la Loi commande, pour parler ensuite de celles qu’elle défend. Or ce qu’elle commande, c’est d’honorer le saint nom de Dieu et de ne jurer par ce nom qu’avec un religieux respect. Ce qu’elle défend, c’est que personne n’ose mépriser ce nom sacré, ne le prenne en vain, et ne jure à faux par Lui, témérairement ou sans motif.
Dans la partie de ce précepte qui nous ordonne d’honorer le saint nom de Dieu, le Pasteur ne manquera pas de faire observer aux Fidèles que ce ne sont pas les lettres, ni les syllabes qu’il faut considérer, ni le nom en lui-même, mais la chose exprimée par ce nom, c’est-à-dire la toute Puissance, et l’éternelle Majesté d’un seul Dieu en trois Personnes. Cette déclaration nous montre immédiatement combien était vaine la superstition d’un certain nombre de Juifs qui voulaient bien écrire le nom de Dieu, mais qui n’osaient pas Le prononcer, comme si la vertu de ce nom eût été dans les lettres qui Le composent, et non pas dans la chose qu’Il signifie. Et quoiqu’il soit écrit au singulier, dans la Loi, « Vous ne prendrez point le nom de Dieu en vain, » cela ne doit pas s’entendre d’un nom unique, mais de tous ceux que l’on donne habituellement à la Divinité. Car la vérité est que nous Lui donnons beaucoup de noms, comme ceux de Seigneur, de tout Puissant, de Seigneur des armées, de Roi des Rois, de Fort et plusieurs autres de ce genre que nous lisons dans la Sainte Ecriture et qui sont tous également respectables.
Ensuite il faut apprendre aux Fidèles comment on rend au nom adorable de Dieu l’honneur qu’Il réclame ; car il n’est pas permis à des Chrétiens qui doivent avoir sans cesse à la bouche les louanges de Dieu d’ignorer une chose si utile et si nécessaire au salut.
Or il y a plusieurs manières de louer ce divin nom, cependant on peut dire qu’elles sont toutes renfermées, en ce qu’elles ont d’essentiel, dans celles que nous allons expliquer.
Premièrement, nous louons Dieu. quand nous confessons hardiment devant tout le monde, qu’Il est notre Seigneur et notre Dieu, et quand, reconnaissant Jésus-Christ pour l’Auteur de notre salut, nous Le proclamons notre Sauveur.
Nous Le louons encore, lorsque nous étudions avec autant de respect et d’attention sa Parole sainte, expression de sa sainte Volonté ; lorsque nous méditons cette Parole avec assiduité ; lorsque nous cherchons avec tout le zèle possible à nous en instruire, soit en la lisant, soit en l’écoutant, selon que nos emplois et notre état nous le permettent.
Enfin nous honorons, nous vénérons ce nom sacré, lorsque par devoir ou par dévotion nous célébrons ses louanges, et Lui rendons des Actions de grâces particulières pour tout ce qui nous arrive, l’adversité comme la prospérité. Ainsi le roi Prophète disait: (Ps., 102, 1.) « Mon âme, bénis le Seigneur, et m’oublie jamais les grâces que tu as reçues de Lui. » Et dans plusieurs autres Psaumes ce même Prophète célèbre les louanges de Dieu dans les chants les plus suaves, et avec l’accent de l’amour et de la reconnaissance. Ainsi Job, cet admirable modèle de patience, étant tombé dans les plus grandes et les plus horribles calamités, ne cessa jamais de louer Dieu avec une grandeur d’âme étonnante et un invincible courage. Ainsi nous-même, si nous souffrons cruellement dans notre corps et dans notre âme, si les misères et les afflictions de la vie nous accablent, hâtons-nous d’employer ce qui nous reste de volonté et de courage, pour louer Dieu quand même et répéter avec Job: (Job, 1, 21.) « que le nom du Seigneur soit béni ! »
Mais nous ne L’honorons pas moins, ce nom adorable, lorsque nous implorons son secours avec confiance, soit afin d’être délivrés de nos maux, soit afin d’obtenir de Lui la constance et la force dont nous avons besoin pour les supporter sans faiblir. Dieu Lui-même veut que nous agissions ainsi (Ps., 49, 15.): « Invoquez-Moi, dit-Il, au jour de la tribulation ; Je vous délivrerai, et vous Me glorifierez. » Il y a dans l’Ecriture, et spécialement dans les Psaumes 26, 43 et 118, de nombreux et magnifiques exemples de cette invocation.
C’est encore traiter ce nom divin avec honneur que de Le prendre à témoin pour faire croire à notre parole. Mais cette manière diffère beaucoup des précédentes. Car celles dont nous venons de parler sont de leur nature si excellentes et si désirables, que rien ne peut être plus avantageux pour l’homme, et que ce qu’il doit rechercher avec le plus d’empressement, c’est de s’y exercer et le jour et la nuit. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, disait David (Ps., 33, 2.), sa louange sera toujours dans ma bouche. » Au contraire, quoique le serment soit bon en lui-même, l’usage fréquent ne peut en être louable.
Et voici la raison de cette différence. Le serment n’a été institué que pour servir de remède à la faiblesse humaine, et comme un moyen nécessaire pour prouver ce que nous avançons. De même qu’il ne faut donner aux corps que les remèdes nécessaires, et que l’application trop fréquente de ces mêmes remèdes serait dangereuse ; de même aussi il n’est pas utile de jurer sans raison grave et légitime. Et si l’on a trop souvent recours au serment, loin d’être avantageux, il entraîne avec lui les plus graves inconvénients.
C’est pourquoi Saint Jean Chrysostome dit très bien que l’usage du serment ne remonte point au commencement du monde, mais à des temps bien postérieurs, lorsque la malice des hommes, propagée en tout sens, couvrait l’univers entier ; que plus rien n’était ni dans son ordre ni à sa place, que la perturbation et la confusion étaient partout ; qu’en haut, en bas tout était emporté pèle-mêle dans un désordre universel, et que pour comble de tous les maux, presque tous les hommes s’étaient livrés au culte honteux des idoles. Ce ne fut qu’après cet intervalle, bien long sans doute, que le serment se glissa dans les rapports des hommes entre eux. La perfidie et la corruption devinrent telles que les hommes se décidaient difficilement à croire à la parole les uns des autres, et ils furent obligés de prendre Dieu à témoin de ce qu’ils disaient.
Le point capital dans cette partie du second Commandement que nous expliquons, est d’apprendre aux fidèles la manière de jurer religieusement et saintement. Le Pasteur devra donc enseigner que jurer, c’est simplement prendre Dieu à témoin, quels que soient d’ailleurs la formule et les mots qu’on emploie. Ainsi, dire: Dieu m’est témoin, et dire, par Dieu, c’est tout un. C’est encore jurer que de prendre à témoins, pour se faire croire, des créatures comme les saints Evangiles, la Croix, les Reliques des Saints, leurs noms et autres choses de ce genre. Car ce ne sont pas ces objets pris en eux-mêmes qui donnent au serment force et autorité, c’est Dieu seul dont la souveraine Majesté brille dans ses créatures. Ainsi jurer par l’Evangile, c’est jurer par Dieu même dont la Vérité est contenue et exprimée dans l’Evangile. Il en est de même quand on jure par les Saints qui sont les temples de Dieu, qui ont en Foi dans la Vérité Evangélique, qui L’ont environnée de tous leurs respects, qui L’ont répandue par toute la terre, et au sein des nations les plus éloignées.
Il en faut dire autant du serment que l’on fait avec imprécation, comme Saint Paul par ces paroles (II Cor., 1, 33.): « Je prends Dieu à témoin, sur ma vie. » Un serment de cette nature nous livre au jugement de Dieu, comme au vengeur du mensonge. toutefois nous reconnaissons que plusieurs de ces formules ne sauraient passer pour de véritables serments ; mais il est bon d’observer vis-à -vis d’elles ce qui a été dit du serment, et de leur appliquer exactement les mêmes principes et les mimes règles.
II y a deux sortes de serments. Le premier est le serinent d’affirmation. II consiste à affirmer par jurement une chose présente ou passée. L’Apôtre nous en donne un exemple dans son Epître aux Galates, quand il dit (Gal., 1, 20.) : « Je prends Dieu à témoin que je ne mens pas. » — Le second est le serment de promesse, ou de menace. II se rapporte entièrement à l’avenir. On l’emploie pour promettre, — et confirmer sa promesse, — qu’une chose se fera de telle ou telle manière. Ce fut le serment de David. Jurant par le Seigneur son Dieu (III Rois, 1, 17.), il promit à Bethsabée, son épouse, que Salomon, son fils, serait son héritier, et son successeur sur le trône.
Quoiqu’il suffise, pour qu’il y ait serment, de prendre Dieu à témoin, cependant pour que ce serment soit légitime et saint, plusieurs conditions sont requises, qui veulent être expliquées avec soin.
Le Prophète Jérémie les énumère, comme le remarque Saint Jérôme, en peu de mots, quand il dit (Jr., 4, 2.): « Vous jurerez par cette parole: Vive le Seigneur ! mais avec hérité, avec jugement et avec justice. » Et il faut reconnaître que ce texte est un véritable résumé de tout ce qui rend un serment parfait, c’est-à-dire précisément la vérité, le jugement et la justice.
La première condition du serment est donc la vérité. Il faut que ce qui est avancé soit vrai, et que celui qui jure, le regarde comme tel, non pas témérairement, et sur de vaines conjectures, mais en s’appuyant sur les raisons les plus solides. — La même condition est requise pour le serment qui accompagne une promesse. Celui qui promet doit être disposé à tenir sa parole et à s’exécuter quand le temps sera venu. Et comme on ne peut supposer qu’un homme de bien s’engage jamais à faire une chose qu’il regarderait comme contraire sua Commandements et à la tris sainte Volonté de Dieu, tout ce qu’il aura pu promettre et jurer par serment, il ne manquera pas de l’accomplir ; à moins que les circonstances n’aient tellement changé les choses qu’il ne puisse garder sa parole et rester fidèle à ses promesses, sans encourir le mécontentement et l’indignation de Dieu. David montre parfaitement combien la vérité est nécessaire au serment, quand il dit (Ps., 14, 4.): « Celui qui jure à son prochain, et qui tient sa parole. »
En second lieu il faut jurer avec jugement ; c’est-à-dire qu’il ne faut point recourir au serment d’une manière téméraire et inconsidérée, mais après examen, et mûre réflexion. Ainsi, avant de jurer, il faut voir s’il y a nécessité ou non ; peser attentivement l’affaire pour s’assurer qu’elle a besoin d’être prouvée par serment ; considérer le lieu, le temps et toutes les autres circonstances qui s’y rattachent ; ne se laisser entraîner ni par la haine, ni par l’amitié, ni par aucun mouvement déréglé de l’âme, mais uniquement par la nécessité et l’importance de ce qui est en question. Si on néglige de faire ces réflexions et de prendre ces précautions scrupuleuses, on fera nécessairement un serment précipité et téméraire. tels sont les serments sacrilèges de ces hommes qui pour les choses les plus légères et les plus futiles, jurent sans raison, sans examen, mais uniquement par une coupable habitude. C’est ce que nous voyons chaque jour et partout, entre vendeurs et acheteurs. Ceux-là pour vendre plus cher, ceux-ci pour acheter à meilleur marché, ne craignent pas d’employer le serment pour vanter ou déprécier la marchandise. — C’est parce que le jugement et la prudence sont nécessaires pour jurer, et que les enfants n’ont pas encore assez de perspicacité et de discernement en pareil cas, que le Pape Saint Corneille défendit par décret d’exiger d’eux le serment avant l’âge de puberté, c’est-à-dire avant l’âge de quatorze ans.
La troisième et dernière condition est la justice. Et c’est surtout quand il s’agit de promesses que cette justice est requise. Si quelqu’un promet avec serment une chose injuste et déshonnête, il pèche d’abord en jurant, et il commet un second crime en accomplissant sa promesse. L’Evangile nous fournit un exemple de ce double crime dans la personne du roi Hérode. Ce malheureux s’était lié d’abord par un serment téméraire, puis, pour tenir son serment il osa donner à une danseuse, comme pria de sa danse, la tête de Saint Jean Baptiste. tel fut encore le serment de ces Juifs, dont nous parlent les Actes des Apôtres, qui « avaient juré de ne prendre aucune nourriture, avant d’avoir fait périr Saint Paul. (Act., 23, 12.) »
Après ces explications, il est hors de doute que l’on peut jurer en sûreté de conscience quand on observe religieusement toutes les conditions dont nous venons de parler, et qui en effet entourent le serment comme d’une espèce de sauvegarde. — Au surplus, nous ne manquons pas d’arguments pour prouver ce que nous avançons. Ainsi la Loi du Seigneur « qui est sainte et sans tache » (Ps., 18, 8) renferme ce Commandement: (Dr., 6, 13.) « Vous craindrez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que Lui, et vous jurerez par son Nom. » Le Prophète David nous dit : « Ceux qui jurent par le Seigneur seront loués. » (Ps., 62, 12.)
On voit aussi, dans le nouveau testament, que les Saints Apôtres, ces éclatantes lumières de l’Eglise, ont eux-mêmes usé du serment dans l’occasion.. Les Epîtres de Saint Paul ne nous laissent aucun doute sur ce point.
Il convient d’ajouter que les Anges eux-mêmes font quelquefois des serments. Il est écrit dans l’Apocalypse de Saint Jean que (Ap., 10, 6.) « l’Ange jura par Celui qui vit dans les sicles des siècles. »
Enfin Dieu Lui-même, le Roi des Anges, a recours au serment. Dans plusieurs endroits de l’Ancien testament II s’en sert pour confirmer ses promesses à Abraham et à David. Celui-ci nous dit dans le Psaume 109: (Ps., 109, 4.) « Le Seigneur l’a juré, et Il ne s’en repentira point: vous êtes le Prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech. » — Si l’on considère en effet ce qu’est le serment en lui-même dans sa cause et dans sa fin, il est facile de montrer que c’est un acte très louable. II a sa cause et son principe dans la Foi qui porte les hommes à croire que Dieu est la Source de toute vérité, qu’Il ne peut par conséquent ni être trompé, ni tromper personne, que tout est à nu et à découvert devant ses yeux, que son admirable Providence veille sur toutes choses et gouverne le monde entier. C’est sous l’empire de ces sentiments que nous invoquons Dieu comme témoin de la vérité. Il serait donc impie et criminel de n’avoir pas confiance en Lui. — La fin du serment, le but spécial qu’il se propose c’est de prouver la justice et l’innocence, de terminer les procès et les différends. Ainsi l’enseigne l’Apôtre lui-même dans son Epître aux Hébreux. (Hébr., 4, 13.)
Et cette doctrine n’est nullement contraire à ces paroles de notre Sauveur en Saint Matthieu: (Matth., 5, 33 et seq.) « Vous avez appris qu’il a été dit aux Anciens: Vous rte vous parjurerez point, vous vous acquitterez des serments que vous aurez faits au Seigneur. Et mot je vous dis que vous ne devrez jurez aucunement: ni par le ciel qui est le trône de Dieu ; ni par la terre qui est son marchepied ; ni par Jérusalem, parce que c’est la ville du grand roi: ni même par votre tête, parce qu’il ne dépend pas de vous d’en rendre un seul cheveu blanc ou noir. Bornez-vous à dire: cela est, cela n’est pas. S’il y a quelque chose de plus, il vient du mal. » En effet on ne saurait soutenir que ces paroles condamnent le jurement en général et d’une manière absolue, puisque, comme nous l’avons vu plus haut, notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même et les Apôtres ont juré, et même fréquemment. Notre-Seigneur n’avait donc pour but en parlant de la sorte que de réfuter la coupable erreur des Juifs qui se figuraient que dans le serment il n’y avait qu’une seule chose à éviter, le mensonge, et qui dés lors juraient et faisaient jurer les autres à tout propos pour les choses les plus vaines et les moins importantes. C’est cette coutume que le Sauveur blâme et réprouve ; et voilà pourquoi Il enseigne qu’il faut s’abstenir entièrement de jurer, à moins que la nécessité ne le demande.
D’ailleurs le serment est un effet de la faiblesse humaine, et, à ce point de vue, il procède réellement du mal. C’est une marque de l’inconstance de celui qui jure, ou de l’obstination de celui qui fait jurer, puisqu’il na, veut pas se laisser persuader autrement. toutefois, nous le répétons, le serment trouve son excuse dans la nécessité. Et lorsque notre Sauveur nous dit: « bornez-vous à ces mots, cela est, cela n’est pas, » Il nous montre assez, par cette manière de parler, que ce qu’Il veut défendre c’est l’habitude de jurer dans les entretiens familiers, et pour des choses de peu d’importance. En somme Il nous avertit de ne pas être trop faciles et trop enclins à faire serment. Et c’est aussi ce qu’il faut enseigner avec le plus grand soin, et répéter souvent aux Fidèles, car selon l’Ecriture et le témoignage des Pères, la trop grande facilité à jurer engendre une infinité de maux. Il est écrit dans l’Ecclésiaste: (Sir., 23, 9, et 12.) « N’habituez point votre bouche au serment, car il en résulterait de grands maux. » Et encore « l’homme qui jure souvent sera rempli d’iniquités, l’affliction ne s’éloignera point de sa maison. » On peut lire dans Saint Basile et dans Saint Augustin tout ce qu’ils ont écrit à ce sujet dans leurs livres contre le mensonge.
Mais c’est assez sur ce que ce précepte ordonne, voyons maintenant ce qu’il défend.
Il nous est défendu par ce Commandement de prendre en vain le nom du Seigneur. Celui qui se laisse aller à jurer sans réflexion et avec témérité, se rend évidemment coupable d’un péché grave, et la grièveté de ce péché est facile à établir d’après ces paroles: Vous ne prendrez point en vain le nom du Seigneur. Il semble en effet que Dieu Lui-même vient nous dire en d’autres termes que ce qui rend cette faute si odieuse et si impie, c’est qu’elle diminue en quelque sorte sa Majesté, la Majesté de Celui que nous reconnaissons pour notre Seigneur et pour notre Dieu.
Ce précepte nous défend encore de jurer à faux, c’est-à-dire contre la vérité. Celui qui ne recule pas épouvanté devant un pareil crime, et qui ose prendre Dieu à témoin d’un mensonge, Lui fait une injure infinie. Il l’accuse, ni plus ni moins, d’ignorance en pensant qu’il est des vérités qui peuvent Lui échapper, ou bien de malice et d’iniquité, comme si Dieu était capable de confirmer un mensonge par son propre témoignage. Or on jure à faux non pas seulement quand on jure qu’une chose est vraie, sachant bien qu’elle est fausse, mais aussi quand on affirme avec serment la vérité d’une chose que l’on croit fausse, encore qu’elle soit vraie au fond. Mentir c’est parler contre sa pensée et contre ses sentiments intimes ; par conséquent dans le cas présent il y a évidemment mensonge et parjure.
Par la même raison il y a aussi parjure quand on affirme par serment une chose que l’on croit vraie, et qui cependant est fausse, à moins que l’on ait mis tous ses soins et tout son zèle à s’en assurer et à la vérifier. Bien que les paroles soient ici d’accord avec la pensée, néanmoins il y a violation du précepte.
Il y a encore parjure dans celui qui a fait une promesse avec serment, sans avoir l’intention de l’accomplir, ou qui, s’il a eu cette intention, n’accomplit pas ce qu’il a promis. C’est le péché de ceux qui se sont liés envers Dieu par des vœux qu’ils n’exécutent point.
Une autre manière de pécher contre ce précepte, c’est d’émettre un serment qui ne serait point accompagné de la justice, laquelle est une des conditions nécessaires du serment légitime. Ainsi celui qui promet avec serment de commettre un péché mortel, un meurtre par exemple, viole incontestablement le précepte:, lors même qu’il parlerait sérieusement et du fond du cœur, et que son serment aurait pour lui la vérité, celle des trois conditions exigées, à laquelle nous avons donné le premier rang.
A ces serments défendus il faut encore ajouter ceux qui naissent d’une sorte de mépris, comme les serments de ne point obéir aux conseils de l’Evangile, par exemple ceux qui exhortent au célibat et à la pauvreté. Sans doute personne n’est rigoureusement tenu de suivre ces conseils, mais jurer de ne pas vouloir s’y soumettre, c’est mépriser et violer les conseils de Dieu par cet indigne serment.
C’est violer également le deuxième précepte, et pécher contre le jugement, que de jurer pour une chose qui est vraie et que l’on croit telle, mais en ne s’appuyant que sur de simples conjectures et sur des raisons prises de trop loin. Quoique la vérité accompagne un serment de cette nature, il s’y mêle néanmoins une sorte de fausseté, puisque celui qui fait serment avec témérité, s’expose grandement à faire un parjure.
Celui-là jure encore contre la vérité, qui jure par les faux dieux. Qu’y a-t-il en effet de plus opposé à la vérité que de prendre à témoin des divinités mensongères et imaginaires, comme si elles étaient le vrai Dieu Lui-même ?
Mais si l’Ecriture nous dit, en nous défendant le parjure: (Lv., 19, 2.) « Vous ne déshonorerez point le Nom de votre Dieu, » elle condamne par là même toute espèce de négligence dans tous les devoirs que ce précepte nous impose, et spécialement en ce qui concerne la Parole de Dieu, dont la Majesté est infiniment respectable non seulement auprès des personnes de piété, mais quelquefois même auprès des impies, ainsi que nous l’apprend l’exemple d’Eglon, roi des Moabites, au Livre des Juges. Or, c’est traiter la Parole de Dieu d’une manière absolument injurieuse que de détourner la sainte Ecriture de son sens droit et naturel, pour lui donner un sens conforme à la doctrine des impies et des hérétiques. Le Prince des Apôtres nous met en garde contre ce crime dans ce texte qu’il faut citer: (II Pierre, 3, 16.) « Il y a quelques endroits difficiles à entendre, que des hommes ignorants et légers détournent à de mauvais sens aussi bien que les autres Ecritures, pour leur propre ruine. »
C’est encore déshonorer honteusement l’Ecriture que d’en employer les maximes et les paroles, qui sont dignes de toute notre vénération, à des choses purement profanes, comme aussi de s’en servir dans des contes, dans des fables ridicules et vaines, pour des flatteries, des médisances, des sorts, des libelles diffamatoires et autres choses de cette nature. Le Concile de Trente condamne ces pratiques détestables et veut qu’on les punisse.
Enfin, de même que ceux qui réclament et implorent le secours de Dieu dans leurs infortunes, L’honorent et Lui rendent hommage ; de même ceux qui n’invoquent point son appui, Le privent d’un honneur auquel Il a droit. C’est de ces malheureux que David veut parler, quand il dit : « Ils n’ont pas invoqué le Seigneur, c’est pourquoi ils ont tremblé d’épouvante, là où il n’y avait rien à craindre. »
Mais il en est qui sont enchaînés dans les liens d’un crime beaucoup plus détestable encore ; ce sont ceux qui d’une bouche impure et souillée osent blasphémer et maudire le nom adorable de Dieu, ce nom digne de toutes les bénédictions et de toutes les louanges des créatures, ainsi que le nom des Saints qui règnent avec Lui dans le ciel. Ce crime est si horrible et si monstrueux, que parfois nos Saints Livres pour le nommer se servent du mot (contraire) bénédiction.
La crainte des peines et du châtiment est d’ordinaire un excellent moyen de réprimer le penchant que nous avons à désobéir à Dieu. C’est pourquoi le Pasteur pour toucher davantage les cœurs et disposer plus facilement les Fidèles à l’observation de ce précepte, devra leur expliquer avec soin ces paroles qui en sont comme une dépendance nécessaire: (Ex., 20, 7.) « Le Seigneur ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris en vain le nom du Seigneur son Dieu. » Et d’abord il leur montrera combien Dieu a eu raison de joindre des menaces à ce Commandement. Ces menaces en effet nous font connaître et la gravité du péché et la bonté de Dieu, qui bien loin de se réjouir de notre perte, cherche par des menaces salutaires à nous détourner du mal, afin que nous ne devenions point l’objet de sa colère, mais plutôt de sa clémence et de sa miséricorde. II convient que le Pasteur insiste fortement sur ce point, afin que les Fidèles, connaissant l’énormité de ce crime, en conçoivent une horreur plus vive et mettent tous leurs soins à l’éviter.
Il fera remarquer ensuite que le penchant des hommes à commettre ce péché est si grand, qu’il n’eût pas suffi de le défendre simplement, mais que la Loi avait besoin d’être accompagnée de menaces. On ne saurait croire combien cette pensée peut être utile aux Fidèles. Car de même que rien ne nous est plus nuisible qu’une téméraire confiance en nos propres forces, de même le sentiment de notre faiblesse nous est extrêmement avantageux.
Le Pasteur ajoutera enfin que si Dieu n’a point décerné de châtiment particulier contre ce crime, Il a affirmé d’une manière générale que ceux qui s’en rendraient coupables ne resteraient pas impunis.
Nous avons donc lieu de croire que les maux dont nous souffrons chaque jour sont pour nous avertir de nos désobéissances en cette matière. Il est permis de penser en effet que les hommes ne sont sujets à de si grandes calamités, que parce qu’ils manquent à ce Commandement. Et l’on peut s’attendre qu’en mettant sous leurs yeux le tableau de ces malheurs, on les rendra plus sages, et mieux avisés pour l’avenir. Que les Fidèles, frappés d’une sainte frayeur, évitent donc ce péché avec tout le soin possible ! Car s’il est vrai qu’au jugement dernier il faudra rendre compte de toute parole oiseuse, que sera-ce de ces crimes affreux qui font un tel mépris du nom adorable de Dieu ?