Introduction
On a donné le nom d'Actes des Apôtres à des Mémoires divinement inspirés sur l'établissement de l'Eglise et sur ses premiers développements parmi les Juifs et parmi les Gentils. Ce titre, qui paraît aussi ancien que l'ouvrage, le caractérise parfaitement. L'auteur y rapporte tout ce qu'il a vu ou appris sur ce sujet d'intéressant pour les chrétiens. C'est moins une histoire proprement dite qu'une suite de récits, ayant pour objet les travaux des Apôtres (surtout ceux de saint Pierre et de saint Paul), et pour but l'affermissement des âmes dans la foi et leur progrès dans la ferveur.
Par leur objet, les Actes des Apôtres complètent les Evangiles ; ils en sont la suite et le couronnement. C'est pourquoi saint Luc les donne pour la seconde partie de son principal écrit. De plus, ils confirment l'histoire évangélique en rappelant le souvenir des mystères principaux du Sauveur, en constatant l'accomplissement de ses prophéties et le fruit merveilleux de son œuvre. Si l'Evangile disparaissait, il serait facile, à l'aide des Actes, de le reconstruire, au moins en substance ; et, sans ce livre, l'œuvre des évangélistes serait inachevée.
Pour la composition, on trouve dans les Actes la même simplicité et la même brièveté que dans l'Evangile. On y remarque aussi la même absence de dates. Nulle époque n'est indiquée, même pour les faits principaux, et on n'en saurait fixer aucune que par approximation. Celle de l'Ascension, qui sert de point de départ, n'est pas mieux déterminée que les autres : le sentiment des auteurs oscille de l'an 29 à l'an 33. Il est vrai que nul écart ne saurait aller au-delà de cinq ou six années. On convient, d'ailleurs, que l'auteur suit en général l'ordre des temps, que les faits qu'il rapporte se sont passés sous quatre empereurs, Tibère (33-37), Caligula (37-41), Claude (41-54), Néron ; et que la durée totale du récit est d'une trentaine d'années.
Les Actes sont la meilleure introduction aux Epîtres des Apôtres, à celles de saint Paul en particulier. Nous n'avons guère d'autre document de cette époque sur les faits, les lieux, les personnes et les circonstances au milieu desquelles elles furent écrites. C'en est aussi le plus sûr commentaire. Sans les renseignements que ce livre fournit, bien des passages des Epîtres resteraient obscurs et donneraient lieu à des discussions de toutes sortes. On aurait peine à s'expliquer le caractère de saint Paul, les persécutions qu'il a souffertes, ses controverses, ses apologies, ses voyages, etc.
L'auteur ne se nomme nulle part ; mais, dès le début, il se donne pour évangéliste. On voit, au milieu de son récit, qu'il est un des disciples et des compagnons de saint Paul, et la tradition nous fait connaître son nom. C'est sans raison et contrairement à tous les témoignages que certains critiques ont donné cet ouvrage pour une compilation ou une juxtaposition d'écrits de provenances diverses. Dès le temps de saint Irénée, on l'attribuait tout entier à saint Luc, quoiqu'il eût la même étendue et la même forme qu'aujourd'hui ; et nous verrons que l'unité du livre atteste celle de son origine.
Il est probable qu'en faisant ses recherches sur la vie du Sauveur, saint Luc eut soin de recueillir tout ce qui lui fut communiqué d'intéressant sur les premiers disciples. Outre les notes qu'on avait dû prendre et garder sur certains faits, par exemple, les délibération du Sanhédrin au sujet des Apôtres, les premiers discours de saint Pierre, le jugement et le supplice de saint Etienne, outre certains documents officiels, comme la lettre synodale du Concile de Jérusalem, cet auteur fut à même de consulter et d'entendre les témoins les plus compétents : saint Paul, avec lequel il passa seize années entières et dont il avait les Epîtres entre les mains, saint Pierre, qu'il eut plusieurs fois l'occasion de voir, saint Jacques le Mineur, auprès duquel il séjourna à Jérusalem, saint Philippe, qu'il visita en passant à Césarée et qu’il entretint à loisir dans les deux premières années de la captivité de son Maître, saint Marc à Rome, et une foule de disciples dont on ignore les noms. Pour les faits qui remplissent les douze derniers chapitres, il n'avait qu’à se rappeler ses propres souvenirs ; car après avoir quitté son pays pour s'attacher à saint Paul, il ne s'en est presque jamais séparé : d'Antioche il l'a suivi à Troade, à Philippes, à Milet, à Césarée, à Jérusalem et enfin à Rome.
C'est dans cette dernière ville, probablement, que saint Luc acheva sa rédaction. Il avait pu commencer son travail auparavant, prendre des notes à mesure qu'il voyait les faits se succéder ; mais tout porte à croire qu'il termina son écrit dans l'intervalle qui séparer la publication du troisième Evangile des derniers faits rapportés dans les Actes, c'est-à-dire entre l'an 58 et l'an 63, trente ans au plus après la mort de Jésus-Christ, huit ou dix ans avant la ruine de Jérusalem. Ainsi s'expliquent la précision, la vivacité, la fraîcheur de souvenir qu'on remarque dans ses derniers récits, par exemple, la comparution de l'Apôtre devant Agrippa, son voyage sur mer, sa rencontre avec les chrétiens de Rome sur la voie Appienne, sa première conférence avec les Juifs de cette ville. Au moins, le livre fut-il achevé avant la ruine de Jérusalem, qui est toujours supposée debout, et avant le martyr de l'Apôtre dont l'auteur ne fait aucune mention, qu'il ne fait pas même ressentir. Bien plus, si l'on compare ce que saint Paul dit aux anciens d'Ephèse, qu'ils ne doivent plus le revoir, avec les assurances qu'il donne aux Philippiens et à Philémon, on est porté à croire que l'écrit de saint Luc a été publié avant la fin de la première captivité ; car s'il l'avait été plus tard, il est probable que l'auteur n'aurait pas manqué d'écarter toute prévision funeste, en avertissant le lecteur que l'Apôtre avait recouvré sa liberté et que ses disciples de Philippes et de Colosses avaient vu se réaliser les espérances qu'il leur donnait du fond de sa prison.
Si l'on trouve dans les Actes quelques indications géographiques c'est sur Jérusalem et la Palestine. On n'y voit aucune particularité sur l'Italie, ni sur le séjour que saint Paul a fait à Rome. C'est une raison de penser que l'auteur destinait son écrit particulièrement aux fidèles de cette ville et aux chrétiens d'Europe convertis par son Maître.
La tradition a toujours attribué les Actes des Apôtres à saint Luc.
On trouve, dans toutes les Introductions à la sainte Ecriture, les témoignages les plus convaincants de la foi de l'Eglise à cet égard : ― le Canon de Muratori (160-170), qui place ce livre à la suite des Evangiles : ― la Version italique et la Version syriaque, dont les Actes ont toujours fait partie ; ― des citations des auteurs les plus graves et des Pères les plus anciens, depuis saint Augustin, qui nous apprend l'usage où était l'Eglise latine de faire lire ce livre durant le temps pascal, comme un monument assuré de la résurrection du Sauveur, jusqu'à Origène (230), qui en a fait l'objet de vingt Homélies dont il reste quelques fragments, jusqu'à Tertullien (207), qui le cite en cinquante endroits de ses écrits, jusqu'à Clément d'Alexandrie (193), qui trouve un certain rapport entre le style des Actes et celui de l'Epître aux Hébreux, jusqu'à saint Irénée (180), qui fait valoir, en les citant, l'autorité de saint Luc, jusqu'aux Pères apostoliques eux-mêmes, en particulier saint Polycarpe, qui y fait visiblement allusion dans son Epître aux Philippiens, dès la première partie du second siècle.
L'étude critique des Actes démontrent de la manière la plus certaine : ― que ce livre est l’œuvre d'un seul auteur ; ― que cet auteur était contemporain des Apôtres ; ― qu'il était disciple et compagnon de saint Paul ; ― qu'il a écrit le troisième Evangile ; ― enfin, qu'il ne peut être différent de saint Luc.
1° C'est l'œuvre d'un seul auteur. ― L'unité de la composition est manifeste. C'est d'un bout à l'autre la même doctrine, le même dessein, la même marche, la même mise en scène. Les particularités dont le style abonde, se retrouvent dans toutes les parties des Actes, et partout les mêmes et dans un mesure à peu près égale. Cette observation s'applique spécialement à trente-quatre expressions singulières qu'on y a relevées et qu'on ne trouve dans aucune autre partie de la Bible, par exemple, voie pour religion, ― à une vingtaine de termes favoris, fort rares ailleurs, fréquents ici : main pour puissance, en quatorze endroits ; parole ou discours pour évangile, hérésie, etc. ; ― à certains mots écrits d'une manière inusitée, par exemple Hierosolyma, répété quarante-deux fois en grec, pour Hiérousalêm ; à l'emploi fréquent de cette formule : il fut fait que, quatorze fois répétée, du mot se levant, dix-neuf fois ; se tenant dehors, six fois ; ― aux citations de l'Ancien Testament, toujours conformes aux Septante, pour le sens au moins, etc.
2° L'auteur était des temps apostoliques. ― La nature des faits qui le frappent, les discussions qu'ils rapporte sur l'incorporation des Gentils à l'Eglise, sur les rites judaïques, sur les aliments prohibés ; les renseignements qu'il donne sur Jérusalem, sur les croyances et le culte juif ; la manière dont il parle des prophéties anciennes et des prophètes de la loi nouvelle ; l'importance qu'il y attache ; les dispositions d'esprit dont son écrit porte l'empreinte ; les détails nombreux et circonstanciés où il entre à l'égard des personnages, des emplois, des usages, des lois de cette époque, ses allusions aux faits contemporains, aux sectes de la Judée, aux divisions territoriales ; son grec mêlé d'hébraïsmes, le fiel de l'amertume, etc., et de latinismes, colonia, etc. ; la justesse de ses indications, leur accord parfait avec l'histoire et la géographie du temps, sont autant d'indices qui dénotent un auteur du premier siècle, contemporain des Apôtres.
3° Il a été disciple et compagnon de saint Paul. ― Son disciple : car il est animé du même esprit et préoccupé des mêmes pensées. Ce qu'il aime surtout à mettre en relief, c'est la nécessité et le mérite de la foi, l'universalité de la rédemption, la miséricorde de Dieu sur les Gentils, leurs bonnes dispositions qui contrastent avec l'endurcissement des Juifs, les conversions qui s'opèrent parmi eux, la divinité du Sauveur, qu'il appelle habituellement le Seigneur, à l'exemple de l'Apôtre. Le mot grâce, que les autres évangélistes n'emploient jamais, et qui revient si souvent en saint Paul, est répété par saint Luc dix-sept fois dans les Actes et trente fois dans le troisième Evangile. ― Son compagnon dans ses courses apostoliques : car la part qu'il fait à saint Paul dans ses récits, l'abondance et la justesse des détails politiques et topographiques, l'indication d'une foule de circonstances et de personnages sans importance par eux-mêmes, surtout l'harmonie parfaite qui règne entre toutes les indications qu'il fournit et les Epître de saint Paul, ne permettent pas de révoquer en doute ce que suppose l'auteur, en se mêlant au récit, qu'il l'a suivi dans une partie de ses voyages et qu'il ne fait que rapporter ce qu'il a vu de ses yeux : « Il écrivit l'Evangile d'après ce qu'il avait entendu, dit saint Jérôme, il composa les Actes des Apôtres d'après ce qu'il avait vu. »
4° Il est l'auteur du troisième Evangile. ― Il suffit de citer en preuve, après les premiers versets des Actes, la conformité qu'on remarque entre ces deux livres pour les sentiments, les dispositions d'esprit, les tendances, le langage. D'un côté comme de l'autre, on reconnaît l'influence de saint Paul. C'est la même attention à ne rien dire de blessant pour les Gentils, à ménager l'autorité romaine et même à relever ce qui est à son avantage. C'est le même respect pour les cérémonies judaïques, avec la même conviction que l'Evangile est pour tous les peuples et le même soin de rattacher les faits aux actes publics de l'empire. C'est la même insistance sur la nécessité du détachement, la même horreur de l'avarice. Ce sont aussi les mêmes qualités descriptives, la même manière de citer l'Ecriture, les mêmes expressions, les mêmes tournures. Enfin ce sont les mêmes particularités de style, des périphrases fréquentes, souvent identiques ; une trentaine de mots qu'on ne rencontre jamais ou presque jamais dans le Nouveau Testament et qui se montrent également dans l'un et dans l'autre de ces livres ; des locutions semblables ou d'une analogie frappante : le fruit du ventre pour fils, la main de Dieu pour la puissance de Dieu, etc. Pour être fortuites et peu saillantes dans le détail, ces coïncidences ne sont que plus décisives. Mais c'est dans le texte grec qu'il les faut chercher.
5° Enfin, c'est saint Luc lui-même. ― Nous savons que saint Luc a composé le troisième Evangile et qu'il était médecin, par conséquent qu'il avait fait quelques études. Or, le livre des Actes témoigne : ― 1° Que l'auteur avait l'esprit cultivé. Tout mêlé qu'il est d'hébraïsmes, son grec est plus pur que celui des autres écrivains du Nouveau Testament. ― 2° Qu'il distinguait très bien les maladies et les infirmités. Il les caractérise parfaitement et emploie pour les désigner des termes qui lui sont propres et qui appartiennent à la langue médicale de l'époque. ― 3° Qu'il a écrit un Evangile, qui ne peut être que le troisième.
On ne saurait exiger des marques d'authenticités plus nombreuses ni plus convaincantes. Réunies aux témoignages de la tradition, elles mettent absolument hors de doute l'origine du livre des Actes.
L'intégrité des Actes est déjà prouvée par ce que nous avons dit de l'unité de la composition ; de plus, elle a une garantie certaine dans le caractère du livre et la notoriété de l'auteur. Les Actes des Apôtres, ayant la même origine que le troisième Evangile, reçurent la même publicité ; ils furent l'objet du même respect. Les chrétiens devaient donc veiller également à la conservation de ces deux écrits. Altérer les Actes dans ce qu'ils ont d'essentiel, y glisser furtivement par exemple les prodiges dont ils sont remplis ou remplacer les faits naturels par des événements miraculeux eût offert plus de difficultés encore que de supposer le livre tout entier.
Il ne s'agit ici, bien entendu, que d'altérations essentielles, de nature à porter atteinte à la doctrine. Quant aux simples changements de termes, aux substitutions, additions ou transpositions de mots, il a pu s'en produire, et il en est survenu un certain nombre ; mais les variantes sont sans importance.
La véracité des Actes des Apôtres résulte aussi de leur authenticité et de leur intégrité ; car on ne peut supposer en saint Luc ni erreur ni imposture sur les faits qu'il rapporte. ― 1° Il ne pouvait être dans l'erreur. Pour les faits les plus récents, il atteste les avoir vus de ses yeux : comment prétendre qu'il est dans l'illusion, ou que ces faits, donnés par lui pour merveilleux, n'ont rien que de naturel ? Pour ceux qui précèdent, il les tient de saint Paul, des Apôtres, de leurs disciples, les témoins les mieux informés et les plus sûrs. ― 2° Il ne cherchait pas à tromper, car quel intérêt pouvait l'y porter ? Et comment eût-il réussi, dans un temps où saint Jean, d'autres Apôtres, une foule de disciples étaient là pour contrôler ses récits, et où tant de chrétiens étaient disposés à mourir pour l'intégrité de leur foi ?
Pour apprécier la valeur du livre des Actes, on peut le considérer sous plusieurs aspects : ― 1° Au point de vue de l'édification. Saint Chrysostome affirme que la lecture des Actes n'est pas moins salutaire que celle de l'Evangile. Aucun écrit n'est plus propre à faire connaître et à inspirer le véritable esprit du christianisme. On y voit briller toutes les vertus chrétiennes, surtout les vertus sacerdotales, le détachement, la charité, le zèle de la gloire de Dieu, le mépris des souffrances, le désir du ciel. ― 2° Au point de vue de doctrine. Ce livre est doublement précieux, soit parce que les miracles qui y sont rapportés confirment hautement la prédication du Sauveur et le récit des évangélistes, soit parce que la plupart des dogmes révélés s'y trouvent établis, par l'enseignement des Apôtres et la pratique des fidèles. ― 3° Au point de vue de l'histoire ecclésiastique. C'est un monument d'une valeur incomparable. Il n'embrasse qu'une période assez courte et il a bien des lacunes ; mais il est le seul de cette époque, et cette période a une importance exceptionnelle. Comme la constitution de l'Eglise est divine et invariable, savoir ce qu'elle fut à son origine ou sur quel plan sont fondateur voulut qu'elle s'établît, c'est savoir ce qu'elle a été depuis et ce qu'elle doit être jusqu'à la fin des temps.
Les vingt-huit chapitres dont ce livre est composé forment deux parties bien distinctes. ― 1° La première contient douze chapitres et comprend un espace de douze années environ. On y voit le christianisme prêché à Jérusalem et dans la Palestine. Le personnage qui domine dans ces récits, c'est saint Pierre. Il y est nommé plus de cinquante fois, tandis qu'il n'est fait mention de saint Jean que six fois, et que les autres Apôtres, sauf Jacques le Majeur, son frère, sont simplement énumérés au commencement. ― 2° La seconde partie comprend dix-sept chapitres et embrasse environ vingt ans, durant lesquels l'Evangile est prêchée aux Gentils. C'est saint Paul qui paraît ici en première ligne. Du 12° au 16° chapitre, l'auteur décrit les premiers progrès du christianisme parmi les païens, spécialement à Antioche, dans l'île de Chypre et en Asie. A partir de 16, 10, il rapporte les prédications de l'Apôtre en Europe, dans la Macédoine, dans l'Achaïe, enfin à Rome, dans la capitale du monde.
Cette division n'était pas expressément dans l'esprit de l'auteur ; elle n'a pas donné sa forme à l'ouvrage, mais elle en résulte et peut servir à le résumer. Les deux parties réunies font voir l'accomplissement de la dernière parole de Notre Seigneur à ses Apôtres : « Vous me rendrez témoignage à Jérusalem, dans la Judée, dans la Samarie et jusqu'aux extrémités du monde. » (L. BACUEZ.)
« Je ne vous le cache pas, écrivait Lacordaire, les Actes des Apôtres m'émeuvent plus que l'Evangile. En celui-ci, tout est trop divin, si l'on peut parler de la sorte ; en celui-là l'homme paraît ; mais en quel moment et sous quel souffle ! Jésus-Christ vient de quitter la terre… Les voilà seuls en face de l'univers, qui ne croit rien de ce qu'ils croient, qui n'en sait même rien encore, et qu'ils doivent convertir à leur foi du pied de la croix qui a vu périr leur Maître. Y eut-il jamais pour des hommes un semblable moment ? Et quels hommes ? Des artisans, des pêcheurs. Ils vont dire au monde les premières paroles de la prédication chrétienne ; ils vont faire dans les âmes, après la leur, les premiers miracles de la toute-puissance apostolique, et tracer dans la corruption du siècle les premiers linéaments de ces mœurs où la charité s'enflammera des glaces de la pureté. Toutes les origines et toute l'éloquence du Christianisme sont dans ces courtes pages où saint Paul, qui n'avait pas vu le Christ et qui le persécutait, se lève à côté de saint Pierre ; désormais inséparable de lui, moins grand par l'autorité, plus éclatant par la parole, égaux tous les deux en trois choses, leur amour, leur supplice et leur tombeau… C'est à Jérusalem qu'a commencé ce drame surnaturel ; c'est à Rome qu'il se termine, après avoir passé par Antioche, Athènes et Corinthe. Saint Paul, tout chargé de chaînes, apporta aux Romains la liberté de l'univers, et le bruit de ses pas dans la capitale future du Christianisme est la dernière parole qu'on entende de lui. »