Raguel donne le nom de
frère à Tobie, son véritable cousin (voir
Tobie, 7, 2). Dans le même livre, chapitre 8, verset 9, le jeune Tobie, parlant à la fille de Raguel, qui était simplement sa cousine, lui dit :
Ma sœur. On peut voir d’autres exemples dans le
Lévitique, 25, 48 ;
Deutéronome, 2, vv. 4, 8, etc. Pour n’en citer qu’un seul pris dans un autre peuple, nous ferons remarquer que, dans
Quinte-Curce, Amyntas est appelé
frère d’Alexandre, bien qu’il ne fût que son
cousin germain, du côté de son père. Ainsi l’
Evangile a pu donner le nom de
frères et de
sœurs de Jésus à des personnes qui étaient simplement ses
proches ; mais l’a-t-il donné réellement ? Il nous semble qu’il n’y a pas lieu d’en douter. Toute l’antiquité chrétienne, comme le remarque justement D. Calmet, a toujours cru que Marie avait conservé sa virginité après, comme avant et pendant l’enfantement miraculeux de son divin fils Jésus. Il est certain que le terme hébreu
becôr, rendu dans le texte grec par
prôtolokos, et, dans la Vulgate, par
primogenitus ou
premier-né, signifie proprement, comme
phéter réhem (ou simplement
phéter), qui lui sert souvent d’explicatif,
fente, ouverture, et
ce qui fend, ce qui ouvre un sein (quod aperit vulvam). Or il n’y a rien là qui prouve que la très sainte Vierge ait eu d’autres enfants après Jésus-Christ. Nous ajouterons, avec Aberlé, (
Dictionnaire de la Théologie catholique), que si ces frères de Jésus-Christ, dont parle l’Evangile, aient été ses véritables frères selon la chair, il serait très singulier que jamais Marie n’eût été appelée leur mère ; il serait tout à fait inconcevable que Jésus eût recommandé sur la croix sa mère à saint Jean (voir
Jean, 19, 26-27), tandis qu’ayant d’autres fils, c’eût été le devoir naturel de ceux-ci de la recueillir, et ils n’y auraient certainement pas manqué. On ne voit dans le Nouveau Testament, comme fils de Marie, que Jésus, et c’est précisément par opposition avec ceux qui sont appelés ses frères, qu’il est désigné comme le fils de Marie (voir
Marc, 6, 3). La manière dont Jésus, du haut de la croix, recommande sa mère à saint Jean prouve encore qu’il était le fils unique de Marie, car il est dit littéralement :
Voilà le fils de vous ; avec l’article déterminatif, qui aurait évidemment manqué, s’il y avait encore d’autres fils de Marie. Un nouvel argument en faveur de notre thèse est la possibilité de démontrer quelle fut, en dehors de la très sainte Vierge, la véritable mère de ceux qui sont appelés
les frères du Sauveur. Saint Matthieu cite (voir
Matthieu, 27, 56), parmi les femmes présentes au crucifiement, une
Marie, mère de Jacques et de Joseph ; saint Marc le dit également (voir
Marc, 15, 40), et, de plus, il distingue ce Jacques d’un autre Jacques, fils de Zébédée, par le surnom de
le petit (o mikros) ou
le mineur. Comme il ne paraît en général dans le Nouveau Testament que deux Jacques, il n’y a pas de doute que le premier ne soit celui que saint Paul nomme (voir
Galates, 1, 19)
le frère du Seigneur, celui à qui sa position comme premier évêque de Jérusalem, donnait alors une haute importance ; celui enfin dont l’épître fait partie du Nouveau Testament. Saint Jude, au commencement de son épître, se nomme
frère de ce Jacques. Ainsi on trouve dans le Nouveau Testament pour trois des frères du Seigneur, Jacques, Joseph et Jude, une Marie qui est leur mère, et qui est différente de la mère de Jésus. Or, cette Marie est, sans aucun doute, identique avec la Marie nommée par saint Jean (voir
Jean, 19, 25) la femme de Cléophas et la sœur de la mère du Seigneur. Cléophas, ou selon une autre forme de ce même nom, Alphée, était par conséquent le père de Jacques, de Joseph et de Jude ; et, en effet, Jacques est, en plusieurs circonstances, (voir
Matthieu, 10, 3 ;
Marc, 3, 18 ;
Luc, 6, 15 ;
Actes des Apôtres, 1, 13), nommé
le fils d’Alphée. Pour Simon ou Siméon, il est expressément désigné comme le fils de Cléophas par Hégésippe, le plus ancien historien de l’Eglise. Il est donc incontestable que les quatre frères de Jésus étaient simplement ses cousins du côté de sa mère ; et si, d’après la donnée d’Hégésippe, Cléophas était un frère de saint Joseph, ils l’étaient aussi vraisemblablement du côté paternel. On a objecté que deux sœurs vivantes n’ont pas pu porter le même nom. Mais il fallait prouver que cela n’avait jamais lieu chez les Juifs, surtout dans les derniers temps. Cet usage existait incontestablement chez les Latins, puisque, sur les quatre filles qu’avait Octavie, la sœur de l’empereur Auguste, et qui vécurent en même temps, deux se nommaient, sans aucun surnom, Marcella, et les deux autres Octavie. On a dit encore que, d’après saint Hilaire, saint Epiphane, Théophilacte et plusieurs autres anciens, saint Joseph avait eu des enfants d’une autre femme avant son mariage avec la sainte Vierge, et que ce sont ces enfants que l’Ecriture appelle les frères de Jésus-Christ. Origène remarque à ce sujet que c’est le faux évangile de saint Pierre ou celui de saint Jacques qui a donné lieu à cette opinion. Il est certain qu’elle n’est nullement fondée sur la tradition, et il est très vraisemblable que ceux qui l’ont adoptée l’ont fait uniquement parce qu’ils ont cru devoir prendre ici le mot
frère dans sa signification propre, en l’étendant seulement aux frères de lits différents.
Nos adversaires, comme nous ne l’ignorons pas, ont opposé à nos arguments des difficultés plus ou moins spécieuses ; mais ils sont forcés de convenir que ces difficultés ne dépassent pas les limites de l’hypothèse et que sous ce rapport même notre sentiment est le mieux fondé en raisons. Quoi qu’il en soit, nous avons pour nous toute l’antiquité chrétienne, qui a toujours cru que Marie avait conservé sa virginité après avoir enfanté Jésus-Christ. Or, un pareil témoignage, si on consulte la vraie critique, doit l’emporter sur toutes les hypothèses, même les plus séduisantes. (J.-B. GLAIRE.)