Introduction
L’Ecclésiaste occupe le second rang dans nos Bibles parmi les livres sapientiaux.
Le titre qu’il porte est tiré du nom qu’y prend l’auteur, Kohéleth, traduit en grec par Ecclesiastês. La version latine a conservé le nom grec ; il signifie « celui qui parle à l’assemblée. » Il faut donc rejeter le sens de collectionneur qu’on a voulu donner aussi au mot Kohéleth : l’Ecclésiaste n’est pas un recueil, une collection de sentences comme les Proverbes, mais forme un tout suivi.
Le nom hébreu de Kohéleth est un titre de dignité, appliqué à la personne qui en est revêtue. Il est employé ici symboliquement (comme
Isaïe, 29, 1-2 ;
Jérémie, 25, 26) pour exprimer la fonction que remplit Salomon dans ce livre en instruisant l’assemblée. Il en est qui pensent cependant que Salomon a pu réunir le peuple, à la fin de sa vie, comme il l’avait fait lors de la Dédicace du temple, voir
3 Rois, 8, 55-61, et lui adresser le discours contenu dans ce livre.
Le nom de Salomon ne se lit pas en toutes lettres dans ce livre ; mais celui qui prend le nom symbolique d’Ecclésiaste se dit fils de David et déclare qu’il est roi de Jérusalem, ce qui ne peut convenir qu’à Salomon. Tous les commentateurs juifs et chrétiens ont été unanimes à attribuer à ce prince la composition de l’Ecclésiaste, jusqu’au XVIIe siècle, où Grotius, le premier, en 1 644, a prétendu qu’il n’était pas de lui (Depuis le commencement de ce siècle, la plupart des auteurs protestants et même quelques catholiques comme Jahn, Herbst, Movers, ont adopté l’opinion de Grotius. Ils font le livre moins ancien que Salomon, mais sont très divisés sur sa date.). Aucune raison concluante n’oblige d’abandonner la croyance traditionnelle, et de refuser à Salomon la composition de l’Ecclésiaste. L’origine salomonienne de ce livre n’est pas de foi, mais elle a en sa faveur le seul argument véritablement décisif en pareille matière : l’autorité du témoignage, 1° du titre du livre, voir
Ecclésiaste, 1, 1 ; 2° de toute la tradition juive et chrétienne qui est unanime, comme tout le monde le reconnaît. Les objections qu’on a faites contre la croyance traditionnelle sont loin d’être irréfutables.
On croit généralement, avec la tradition juive, que Salomon composa l’Ecclésiaste dans sa vieillesse, comme il avait écrit le Cantique des cantiques dans sa jeunesse et les Proverbes dans l’âge mûr. Cette tradition est confirmée par plusieurs passages du livre qui constatent que l’auteur avait fait de l’expérience personnelle des choses dont il parle. D’après le Talmud, le texte de l’Ecclésiaste fut définitivement fixé du temps d’Ezéchias par les savants dont parlent les
Proverbes, 25, 1.
La canonicité et par conséquent l’inspiration de l’Ecclésiaste est de foi. Théodore de Mopsueste, qui en contestait l’inspiration, fut condamné à ce sujet par le Ve concile œcuménique. Les Juifs l’avaient placé dans leur canon. On parle de discussions qui auraient au lieu à ce sujet dans la synagogue, entre l’école de Hillel et l’école de Schammaï. Celle-ci, qui avait des tendances hétérodoxes, l’attaquait surtout à cause de son obscurité. Le synode de Jabné (Jamnia) se prononça en 90 contre l’école de Schammaï. Mais il était déjà à cette époque dans le canon reçu par les Juifs. On le lit encore officiellement tous les ans dans les synagogues israélites. Il a toujours fait partie du canon de toutes les Eglises chrétiennes.
Quant à la forme littéraire de l’Ecclésiaste, elle est poétique, au moins en partie, et on le range généralement parmi les poèmes didactiques. Cependant la plupart des passages sont écrits en prose, et l’on n’y remarque point la symétrie du parallélisme hébreu. Dans quelques endroits, la forme poétique est très sensible. Le parallélisme est très bien réussi, voir
Ecclésiaste, 5, 5 ;
8, 8 ;
9, 11. Nous lisons, voir
Ecclésiaste, 7, vv. 7, 9 ;
9, 8, des maximes qui ressemblent, pour la forme comme pour le fond, à celles des Proverbes. Quand Salomon parle de son expérience personnelle et communique à l’assemblée à laquelle il s’adresse ses propres réflexions, il s’exprime en prose, mais en une prose oratoire, jusqu’à un certain point mesurée et cadencée ; quand il fait des exhortations, son style devient tout à fait poétique et conforme à toutes les lois de la poésie hébraïque, surtout à la fin du livre, dans le chapitre 12.
Il y a, d’ailleurs, de l’art dans l’Ecclésiaste, malgré quelques négligences et un peu de diffusion. Les répétitions et pléonasmes, voir
Ecclésiaste, 8, 14 ;
9, 9, sont certainement voulus et cherchés, et ils produisent leur effet. « L’Ecclésiaste se manifeste comme un maître de la parole quand, voir
Ecclésiaste, 1, 4-11 et
12, 2-7, il représente, là, l’éternel va-et-vient des choses, et quand il peint, ici, la vie humaine qui touche à son terme et enfin se brise. » (F. DELITZCH.)
L’absence d’uniformité dans la forme et dans la marche de la pensée, l’absence même d’un enchaînement rigoureux dans les idées, ne sert qu’à faire mieux ressortir la vérité qu’il veut faire pénétrer dans l’esprit de l’homme : le néant de la vie en dehors de Dieu. Il a tout essayé, rien n’a pu le satisfaire ; il passe d’un sujet un autre, parce que rien n’est capable de le fixer et de le retenir. Son style est en parfait accord avec sa manière de voir les choses. Il tient ferme à la crainte de Dieu et au jugement final, mais il n’en sent pas moins douloureusement le dégoût de la vie et ses déceptions amères, et il exprime ses sentiments d’une manière si saisissante qu’il nous les fait partager. Avec quelle force éclate sa douleur dans la première partie de son livre : Vanitas vanitatum, dixit Ecclesiastes, vanitas vanitatum et omnia vanitas ! On ne saurait imaginer une entrée en matière plus brusque ni plus énergique. Salomon a longtemps contenu au fond de son cœur le chagrin qui le ronge, mais enfin il éclate soudainement, il répète sa pensée, et ses pléonasmes mêmes sont éloquents. C’est un coup de tonnerre qui retentit et que l’écho répercute sourdement et longuement comme pour le rendre plus terrible. Jamais écrivain n’a trouvé une formule plus concise et plus forte pour exprimer sa pensée. Qui a pu jamais oublier le vanitas vanitatum, après l’avoir une fois entendu ?
L’Ecclésiaste est d’ailleurs un discours qui n’a pas toute la rigueur et toute la suite d’une dissertation ; mais il est impossible d’y méconnaître un ordre et un plan. Il se compose d’un prologue, chapitre 1, versets 2 à 11, de quatre sections ou parties, du chapitre 1, verset 12 au chapitre 12, verset 7, et d’un épilogue, chapitre 12, versets 8 à 14.
La suite des pensées n’est pas toujours rigoureuse, la liaison des idées surtout n’est pas partout apparente, et l’enchaînement n’est pas très méthodique ; il y a des oscillations dans l’exposition, quelques répétitions et quelques parenthèses, mais néanmoins l’idée dominante de chacune des parties se dégage clairement : 1° la vanité des plaisirs de ce monde dans la première section, du chapitre 1, verset 12 au chapitre 2 ; 2° l’impuissance de l’homme contre la volonté de la Providence dans la seconde, du chapitre 3 au chapitre 5 ; 3° la vanité des richesses et de la réputation dans la troisième, du chapitre 6 au chapitre 8, verset 15 ; 4° le résumé de tout ce qui précède dans la quatrième, du chapitre 8, verset 16 au chapitre 12, verset 7, et enfin la conclusion que le but de la vie doit être, non de chercher un bonheur parfait, qu’il est impossible d’atteindre, mais de s’assurer une sentence favorable au tribunal de Dieu.