Appendice - Note 19, Introduction au livre des Psaumes. DE LA POESIE HEBRAIQUE.
I. De la poésie hébraïque en général.
On ne compte d’ordinaire, d’après les Juifs, que trois livres proprement poétiques, Job, du chapitre 3, verset 8 jusqu’au chapitre 42, verset 6, les Psaumes et les Proverbes ; mais les Lamentations de Jérémie, le Cantique des cantiques, Isaïe et une grande partie des prophètes sont aussi écrits dans une forme poétique particulière ou contiennent des morceaux en vers.
On s’est donné beaucoup de peine pour classer les poèmes hébreux dans les genres littéraires connus des Grecs et des Latins. Cette pine est assez inutile. La Poétique d’Aristote ne donne pas la forme nécessaire de toute poésie, et Job, pour n’être pas un drame selon le type hellénique, n’en est pas moins un magnifique poème.
La poésie de la Bible est en général lyrique. On peut la subdiviser en didactique, gnomique, élégiaque, dramatique même, si l’on veut, mais aucun de ces genres n’est parfaitement tranché ; toutes les subdivisions rentrent plus ou moins les unes dans les autres, et tous les poètes d’Israël sont des lyriques, en ce sens qu’ils expriment toujours les sentiments personnels qu’ils éprouvent.
Le véritable caractère des chants hébreux, c’est qu’ils sont religieux. Dieu, qui les inspire, y occupe toujours la première place, quand il n’en est pas le sujet unique. Les Psaumes, en particulier, sont remplis de Dieu. De là l’enthousiasme, le lyrisme des poètes d’Israël, et cet accent particulier qui a fait de leurs chants les chants de l’univers chrétien.
La poésie hébraïque a cela de commun avec toutes les poésies du monde, que son langage est pleine d’éclat et de magnificence. Dans toutes les littératures, les poètes se distinguent des prosateurs par un style plus brillant, plus vif, plus harmonieux et plus imagé. Les poètes orientaux ne diffèrent, sous ce rapport, de nos poètes occidentaux que par une plus grande hardiesse, une profusion plus abondante de métaphores, des hyperboles plus fortes, un coloris plus riche, dont la vivacité égale celle de leur soleil : tous ces traits se remarquent dans la poésie biblique.
Aucune partie du globe n’offre, dans un aussi petit espace, une variété pareille à celle de la Palestine. On y trouve tous les climats, les montagnes et les plains, la mer et le Jourdain, les champs fertiles et l’aride désert, une flore et une faune variées. Quelle abondance d’images offre au poète d’Israël cette terre bénie ! Les comparaisons pleines de grâce ou de grandeur s’offrent en foule à son imagination, depuis les cèdres du Liban et les pics neigeux de l’Hermon jusqu’aux lis de la vallée et aux plantations de roses de Jéricho. Il peut contempler tous les grands spectacles de la nature, l’orage qui gronde au sommet des montagnes et les soulèvements majestueux des flots de la mer. La langue qu’il a à sa disposition, et qui est toute composée de termes concrets, vient enrichir encore d’innombrables figures le langage du poète et fournir d’inépuisables couleurs à sa palette. L’hébreu n’est pas un idiome riche ; il a cependant de nombreuses expressions pour peindre la nature et exprimer les sentiments religieux, et quel admirable usage sait en faire un artiste comme David ou comme l’auteur de Job ! Leur poésie est toujours une peinture ; elle est souvent aussi une musique. Des mots bien formés, des sons imitatifs, donnent à la pensée un merveilleux relief. Enfin, la simplicité de la syntaxe imprime aux poèmes hébreux un cachet particulier qui en augmente le charme.
Un certain nombre d’images reviennent fréquemment dans la poésie hébraïque, et il importe d’en connaître exactement la signification pour bien comprendre nos livres sacrés. Avant que le Christianisme ait adouci les mœurs, la guerre était beaucoup plus cruelle et plus sanglante qu’aujourd’hui ; elle n’était que meurtres et rapines sans fin ; la guerre et la violence sont par conséquent synonymes du plus grand des maux, et la paix, au contraire, signifie le bonheur et l’ensemble de tous les biens. En dehors de la guerre à main armée, les maux dont les hommes d’alors avaient le plus à souffrir étaient d’abord l’oppression du faible par le fort, du petit par le puissant, et ensuite la tromperie et la fourberie, vices très communs en Orient.
Aussi ces deux espèces de péchés sont-elles considérées dans les Psaumes et dans les prophètes comme celles qui résument tous les autres, tandis que la justice, opposée à la violence qui opprime, et la sincérité ou la fuite du mensonge sont regardées comme la perfection, voir Psaumes 14, etc. La lumière du jour, grâce à laquelle on est en sécurité, est l’emblème du bien ; les ténèbres de la nuit, pendant lesquelles le méchant peut nuire plus aisément, sont le symbole du mal. L’eau qui rafraîchit, la source qui fertilise le sol qu’elle arrose, l’arbre et l’ombre qui reposent, dans ces pays brûlés par le soleil, sont l’image du bonheur et de la joie ; la sécheresse, l’aridité du désert, celle de l’affliction et de la souffrance.
Mais, dans toutes les langues, la poésie ne se distingue pas seulement de la prose par le style, elle s’en distingue aussi par la forme. A ce langage divin il faut un rythme, une cadence particulière, je ne sais quelle harmonieuse symétrie qui rende mieux que le terre à terre de la langue vulgaire les sentiments dont déborde l’âme, transportée par l’enthousiasme dans une région supérieure et voulant exprimer par une manière de parler extraordinaire des idées et des émotions qui ne sont pas communes. De là des règles plus ou moins difficiles auxquelles s’astreint le poète, un moule artificiel dans lequel il doit couler sa pensée.
Si le fond du style est le même chez tous les poètes, la forme de la poésie n’est pas semblable chez les différents peuples : elle varie selon le génie des langues et de ceux qui les parlent. Le vers grec et latin est mesuré par la quantité des syllabes qui le composent ; le vers français est essentiellement constitué par le nombre de syllabes et par la rime. Chez les Hébreux, nous ne rencontrons pas la rime ; d’après plusieurs orientalistes, on y trouve une certaine mesure prosodique ; mais, de l’avis de tous, ce qui distingue particulièrement la poésie hébraïque et lui donne une physionomie propre, tout à fait distincte de celle de la poésie des langues occidentales, c’est le parallélisme.
II. Du parallélisme.
C’est Lowth qui, le premier, dans ses Leçons sur la poésie sacrée des Hébreux, publiées en 1753 à Oxford, où il était professeur, a établi l’existence du parallélisme dans la poésie hébraïque. Il n’avait pas été soupçonné par les anciens ; du moins ne l’ont-ils pas signalé en tant que mécanisme poétique, et n’en ont-ils pas tiré aucun parti pour l’interprétation de l’Ecriture.
Lowth définit le parallélisme la correspondance d’un vers avec un autre. Il l’appelle le parallélisme des membres, parce que la répétition de deux ou trois membres parallèles est un des caractères constitutifs de la poésie hébraïque, où il n’y a jamais de vers isolé. C’est une sorte de rime de la pensée, une symétrie de l’idée, exprimée ordinairement deux fois, ou quelquefois trois, en termes différents, tantôt synonymes, tantôt opposés.
On a comparé le parallélisme au balancement d’une fronde ; on pourrait le comparer peut-être plus justement au mouvement d’un balancier qui va et revient sur lui-même. Ces répétitions de la même pensée décèlent un trait du caractère oriental qui est plus lent que vif, qui n’a jamais attaché au temps la même valeur que nous, et s’est toujours complu dans la méditation des mêmes idées. Il faut d’ailleurs reconnaître que le parallélisme est jusqu’à un certain point dans la nature des choses, au moins pour le chant, puisque les refrains sont de toutes les époques et de tous les pays.
Nous avons dit qu’on peut comparer le parallélisme au mouvement d’un balancier. Rien n’est plus monotone en soi que la régularité de ce va-et-vient qui ne change jamais. La variété est cependant un élément nécessaire de la beauté. La monotonie ne devait-elle donc pas devenir l’écueil fatal de toutes les compositions poétiques d’Israël ? Ce danger a été évité beaucoup mieux que dans nos poèmes en vers alexandrins, grâce à la souplesse du génie hébraïque et à la diversité des combinaisons qu’il a su introduire dans le parallélisme. Il y en a quatre espèces principales qu’on appelle parallélisme synonymique, antithétique, synthétique et rythmique.
1° Le parallélisme est synonymique quand les membres parallèles se correspondent en exprimant en termes équivalents le même sens. Assez fréquemment, il y a gradation dans la pensée, quoiqu’elle reste substantiellement la même dans les deux membres. On trouve de nombreux exemples de cette espèce de parallélisme dans les psaumes. Lowth a signalé déjà, comme un des plus beaux, le Psaume, 114 (selon l’hébreu, première partie du Psaume, 113, selon la Vulgate) :
Quand Israël sortit de l’Egypte,
La maison de Jacob, [du milieu] d’un peuple barbare.
Juda devint un sanctuaire,
Israël, son royaume.
La mer [le] vit et elle s’enfuit,
Le Jourdain recula en arrière,
Les montagnes bondirent comme des béliers,
Les collines, comme des agneaux.
Pourquoi t’enfuir, ô mer ?
[Pourquoi] Jourdain, reculer en arrière ?
[Pourquoi] bondir comme des béliers, ô montagnes,
[Et vous], collines, comme des agneaux ?
Tremble devant la face du Seigneur, ô terre !
Devant la face du Dieu de Jacob,
Qui change la pierre en sources abondantes ;
Et le rocher en ruisseaux d’eau [vive].
2° Le parallélisme est antithétique quand les deux membres se correspondent l’un à l’autre par une opposition de termes ou de sentiments. Cette espèce de parallélisme est surtout usitée dans les Proverbes, parce qu’elle est conforme à l’esprit de la poésie gnomique : l’antithèse fait mieux ressortir la pensée qui est le fond de la sentence et de la maxime :
Les coups de l’ami sont fidèles,
Les baisers de l’ennemi sont perfides.
L’homme rassasié dédaigne le miel.
L’affamé [trouve] doux même ce qui est amer.
Proverbes, 27, 6-7.
On en rencontre aussi de beaux exemples dans les Psaumes :
Ceux-ci se confiaient dans leurs chariots, ceux-là dans leurs [coursiers].
Et nous dans le nom de Jéhovah, notre Dieu.
Ils ont fléchi, ils sont tombés ;
Et nous, nous sommes debout, nous sommes fermes.
Psaumes, 19, 8-9.
3° Le parallélisme est synthétique quand il consiste seulement dans une ressemblance de construction ou de mesure : les mots ne correspondent pas aux mots et les membres de phrase aux membres de phrase comme équivalents ou opposé par le sens, mais la tournure et la forme sont identiques : le sujet répond au sujet, le verbe au verbe, l’adjectif à l’adjectif et la mesure est la même. La seconde partie du Psaume 18, Cœli enarrant gloriam Dei, contient des exemples remarquables de parallélisme synthétique :
La loi de Jéhovah est parfaite,
Récréant l’âme ;
Le précepte de Jéhovah est fidèle,
Instruisant le simple ;
Les commandements de Jéhovah sont justes,
Réjouissant le cœur ;
Le décret de Jéhovah est pur,
Eclairant les yeux…
Plus désirable que l’or,
Que des monceaux d’or ;
Plus doux que le miel,
Que le rayon de miel.
4° Le parallélisme est néanmoins quelquefois simplement apparent et ne consiste que dans une certaine analogie de construction ou dans le développement de la pensée en deux vers. Il est alors purement rythmique et se prête par là même à des combinaisons infinies. Les poètes hébreux en font un usage assez fréquent, et c’est surtout grâce à lui et aux formes multiples qu’ils savent lui donner qu’ils ont réussi à éviter la monotonie à laquelle semblait les condamner fatalement la forme même de la poésie hébraïque.
Ils ont su introduire la variété dans toutes les formes de parallélisme par une multitude de procédés ingénieux dont nous n’énumérons qu’un petit nombre.
1° Tantôt le verbe exprimé dans le premier membre est sous-entendu dans le second :
Quand Israël
sortit de l’Egypte,
La maison de Jacob [du milieu] d’un peuple barbare,
Juda
devint son sanctuaire,
Israël à son royaume.
Psaumes, 113, 1-2.
2° Tantôt le sujet du premier hémistiche devient régime du second :
Dans l’iniquité
j’ai été formé,
Et dans le péché ma mère
m’a conçu.
Psaumes, 50, 7.
3° Ou bien le discours direct est substitué à l’indirect :
Il est bon de louer Jéhovah,
Et de chanter ton nom, ô Très-Haut.
Psaumes, 91, 2.
4° Le parallélisme strict est rompu par l’emploi de diverses figures, de l’inversion, de l’interrogation, de l’exclamation, de l’ellipse :
Mon âme est troublée, beaucoup,
Et toi, Jéhovah, jusqu’à quand ?
Psaumes, 6, 4.
Ils crient au secours… et point de sauveur,
Vers Jéhovah… et il ne leur répond pas.
Psaumes, 17, 42.
5° Le sens, suspendu dans le premier membre, n’est terminé que dans le second, et le parallélisme est indiqué par la répétition des mêmes mots :
Louez, serviteurs de Jéhovah,
Louez le nom de Jéhovah
.
Psaumes, 112, 1.
Ces moyens de varier le parallélisme, empruntés à la grammaire et à la rhétorique, ne sont pas les seuls qu’aient employés les poètes d’Israël. Ils ont eu recours encore à d’autres qui modifient davantage la forme poétique et produisent une diversité plus grande :
1° La pensée que veut exprimer le poète embrasse quelquefois quatre membres, et alors, par un procédé analogue à celui de nos vers à rimes mêlées ou croisées, les membres parallèles ne se suivent pas deux à deux, mais sont intervertis, de sorte que, par exemple, le premier est parallèle avec le dernier et le second avec l’avant-dernier.
Mon fils, si ton cœur est sage,
Mon cœur se réjouira.
Mes reins tressailliront d’allégresse,
Quand tes lèvres proféreront des paroles sensées.
Proverbes, 23, 15-16.
Dans l’exemple suivant, le premier membre répond au troisième, et le second au quatrième :
J’enivrerai mes flèches de sang,
Mon épée se nourrira de chair,
Du sang des morts et des captifs,
De la tête des chefs ennemis.
Deutéronome, 32, 42.
2° Les parallélismes synonymique et antithétique sont quelquefois employés simultanément :
La vérité germera de la terre,
La justice poindra des cieux.
Psaumes, 84, 12.
3° Le nombre des membres parallèles peut être multiplié et porté à trois ou même à quatre. Il est de trois dans cette imprécation de David, voir Psaumes, 7, 6 :
Que l’ennemi me poursuive et m’atteigne,
Qu’il foule ma vie aux pieds,
Qu’il me réduise en poussière !
Le Psaume 90, versets 5 et 6, nous présente quatre membres parallèles consécutifs, combinés deux à deux avec beaucoup d’art :
Ne crains point les terreurs de la nuit,
Ni la flèche lancée dans le jour,
Ni la peste qui s’avance dans l’obscurité,
Ni la contagion qui exerce ses ravages en pleine midi.
4° Enfin la diversité de mesure dans le vers, c’est-à-dire du nombre de mots ou de syllabes mesurées qui le composent régulièrement, permet d’introduire un nouvel élément de variété dans le parallélisme, en alternant les vers de diverses mesures ou en les mêlant au gré du poète. Nous en avons cité plus haut un exemple, tiré du psaume Cœli enarrant gloriam Dei, à propos du parallélisme synthétique ; en voici un autre exemple, emprunté au Psaume, 14 (13 dans la Vulgate) :
L’insensé a dit dans son cœur :
Dieu n’est pas.
Ses œuvres sont corrompues, abominables ;
Nul n’agit bien.
Seigneur, du haut du ciel, jette les yeux
Sur les enfants des hommes,
Pour voir s’il est un homme sage,
Cherchant Dieu.
Tous ont dévié, tous sont pervertis ;
Nul n’agit bien !
Tout ce que nous avons dit jusqu’ici du parallélisme montre clairement quel avantage offre cette forme particulière de la poésie hébraïque, pour faire passer cette dernière dans une langue différente, sans lui enlever complètement son cachet. Celles des formes poétiques qui consistent exclusivement dans la mesure prosodique ou la rime des mots, disparaissent nécessairement dans les traductions ; au contraire, le parallélisme existant d’ordinaire, non dans les sons, mais dans la pensée même, peut être aisément conservé. On dirait que Dieu, qui voulait que les poèmes qu’il avait inspirés aux chantres d’Israël devinssent le chant et la prière de l’Eglise universelle et du monde entier, voulut aussi qu’ils fussent jetés dans un moule poétique capable d’être facilement transporté dans toutes les langues parlées sous le ciel.
L’étude du parallélisme a donc une véritable importance littéraire, et puisque Dieu a voulu qu’une partie de la parole révélée nous fût transmise sous forme de poèmes, il ne peut pas être indifférent pour un chrétien de connaître les règles et les lois qui le régissent. Mais là n’est pas cependant le principal intérêt de cette étude. Elle a une utilité plus grande encore. S’il nous est avantageux de connaître les beautés littéraires de la Bible, il l’est bien davantage d’en pénétrer le sens. Or, la connaissance du parallélisme est un moyen puissant de mieux saisir la signification d’un grand nombre de passages, qu’on rencontre précisément dans les livres les plus obscurs et les plus difficiles de la Sainte Ecriture. Bien des endroits des Psaumes, par exemple, deviendront clair et intelligibles à qui leur appliquera pour les comprendre les règles du parallélisme synonymique ou antithétique. Ainsi le sens d’in virtute tua, dans le passage suivant de Psaumes, 121, 7 :
Fiat pax in virtute tua
Et abundantia in turribus tuis
est déterminé par le parallélisme. Puisque in virtute correspond à in turribus, il doit avoir un sens analogue et désigner par conséquent ce qui fait la force de Jérusalem et lui assure la paix, c’est-à-dire ses murailles, comme l’a traduit saint Jérôme dans sa version des Psaumes sur l’hébreu in muris tuis. De même, à Psaumes, 75, 3 :
Et factus est in pace locus ejus,
Et habitatio ejus in Sion,
le mot in pace doit désigner Jérusalem, Salem, séjour de la paix, parce qu’il correspond à Sion. Le parallélisme sert même quelquefois à déterminer la vraie leçon. Ainsi il prouve que dans le verset 17 du Psaume 21, qui a une si grande portée, il faut lire avec notre Vulgate, kâ’arou, " ils ont percé, " et non kâ’ari, " comme un lion, " ainsi que le porte le texte massorétique, parce que cette dernière leçon détruit le parallélisme :
Ils ont percé mes mains et mes pieds,
Ils ont compté tous mes os.
III. Le vers hébreu.
L’existence d’un vers hébreu, constitué soit par la quantité prosodique des mots, soit par le nombre des syllabes, est tellement évidente dans le texte original, qu’on ne peut sérieusement la contester, quoiqu’on n’ait pas songé pendant longtemps à la remarquer. Chaque membre du parallélisme forme un vers dans la poésie hébraïque.
L’élément constitutif du vers hébreu, c’est la quantité prosodique, selon les uns, le nombre des syllabes, selon les autres. Cette dernière opinion est la plus probable.
Le vers le plus usité chez les Hébreux semble être le vers heptasyllabique ou de sept syllabes. Le Livre de Job, du chapitre 3 au chapitre 42, verset 6, et celui des Proverbes tout entier, ainsi que la plupart des Psaumes, sont en vers de cette mesure. Il y a des vers de quatre de cinq, de six et de neuf syllabes, etc., alternant quelquefois avec des vers de mesure différente.
IV. Des strophes.
Un très grand nombre de poèmes de l’Ancien Testament sont partagés en strophes. La strophe est comme une prolongation du parallélisme, une sorte de rythme soutenu pendant une série de vers et superposé au rythme de chaque vers particulier. Ce qui constitue essentiellement la strophe, c’est qu’elle renferme une idée unique ou particulière, dont l’ensemble de vers qui la forme contient le développement complet. Chaque vers n’est qu’un anneau de la chaîne totale, qui est la strophe. La strophe est une des règles de la poésie lyrique, dans la plupart des langues. En hébreu, on ne la rencontre pas seulement dans les Psaumes, où le chant en chœur la rendait indispensable, mais aussi dans le livre de Job, où les pensées se partagent en groupes très distincts, mais naturellement moins réguliers pour la longueur que dans l’ode.
F.-B. Kœster est le premier qui ait remarqué, en 1831, l’existence des strophes dans la poésie hébraïque. Aujourd’hui elle est admise par tous les orientalistes. On peut être en désaccord pour la détermination des strophes dans un poème donné ; on est unanime à accepter le principe. Dans quelques psaumes, la division strophique est si évidente qu’il suffit de les lire pour qu’elle s’impose. Tel est, par exemple, le Psaume 3, qui se compose de quatre strophes de quatre vers (sauf la quatrième qui en a cinq) exprimant chacune une idée particulière :
Jéhovah, que mes ennemis sont nombreux !
Nombreux ceux qui s’élèvent contre moi,
Nombreux ceux qui disent de moi :
Point de salut pour lui en Dieu. Sélah.
Mais toi, Jéhovah, tu es mon bouclier,
Ma gloire, celui qui relève ma tête.
Ma voix invoque Jéhovah
Et il m’exauce de sa montagne sainte. Sélan.
Moi je me couche et je me réveille sans inquiétude,
Parce que Jéhovah est mon soutien.
Je ne crains pas la multitude du peuple
Qui tout autour de moi me tend des pièges.
Lève-toi, Jéhovah ! sauve-moi, ô mon Dieu
Frappe mes ennemis à la joue,
Brise les dents des méchants.
A Jéhovah le salut !
Sur ton peuple ta bénédiction. Sélah.
V. Poèmes acrostiches ou alphabétiques.
Il existe en hébreu un poème d’une forme particulière, dont il nous reste à parler pour achever de faire connaître l’art poétique d’Israël ; c’est le poème alphabétique, dans lequel chaque vers ou chaque série parallèle de vers commence par une lettre de l’alphabet, reproduit selon l’ordre reçu. C’est donc une sorte d’acrostiche. Ce genre de composition paraît avoir été adopté, de préférence, pour aider la mémoire, à retenir les vers, quand la suite des idées n’était pas très marquée.
Les
Psaumes, 111 et 112 sont composés chacun de vingt-deux vers, commençant par les vingt-deux lettres de l’alphabet. Les membres parallèles sont doubles dans les huit premiers versets, formés par les seize premières lettres. Le parallélisme a trois membres dans les deux derniers versets, et par conséquent six vers, commençant par les six dernières lettres. Dans le
Psaume, 119 (118 dans la Vulgate), il y a vingt-deux stances de seize vers chacune. Le premier membre parallèle de chaque stance commence par la même lettre. Ce sont là les seuls exemples de Psaumes alphabétiques parfaitement réguliers. L’éloge de la femme forte dans les Proverbes, voir
Proverbes, 31, 10-31, est aussi un poème alphabétique tout à fait régulier, de même que les deux premiers chapitres et le quatrième des
Lamentations de Jérémie. Dans le troisième chapitre, chaque lettre de l’alphabet est répétée trois fois et l’ordre est exactement suivi, excepté pour le
phé, qui est placé avant l’
aïn, au lieu de le suivre. Les
Psaumes 25 ; 34 ; 37 ; 145 et surtout 9 et 10 sont des poèmes alphabétiques irréguliers.