Introduction
On ignore par quel nom les anciens Hébreux désignaient la collection des Psaumes. Aujourd’hui on lui donne, dans la Bible hébraïque, le titre de Thehillîm, louanges. Les Septante intitulèrent leur traduction des Thehillîm, « Psal-moi, » d’où notre mot de Psaumes. Psallein, dans les auteurs grecs, signifie toucher un instrument à cordes, et psalmos, le poème ou l’air qui est ainsi joué avec ou sans accompagnement de la voix.
Le nombre des Psaumes, selon le témoignage constant de tous les anciens auteurs, est de cent cinquante. Il existe d’ailleurs, dans le classement, quelques différences qui proviennent de ce que les divisions n’étaient pas primitivement marquées dans les manuscrits. La version grecque, reproduite par notre Vulgate, joint ensemble les Psaumes, 9 et 10, 114 et 115 de l’hébreu ; elle partage le Psaume, 117 dont elle fait les Psaumes, 114 et 115. Ces variations, qui ne portent que sur la coupure, pour ainsi dire, des poèmes, sont du reste sans importance sérieuse ; elles n’atteignent pas le fond des choses.
La tradition juive, constatée par le texte même de l’Ecriture et par la tradition des Pères, partageait les Psaumes, comme le Pentateuque, en cinq livres. La fin des quatre premiers est indiquée, dans le texte, par une doxologie placée à
Psaumes, 40, 14 ;
71, 19 ;
88, 53 et
105, 48. Les versets que nous venons d’indiquer n’ont, (pour) la plupart, aucune liaison avec les Psaumes auxquels ils sont attachées ; ils marquent simplement la fin d’un recueil.
L’Eglise reçut certainement le Psautier des mains des Juifs, non seulement comme une partie de la Bible, mais aussi comme un livre liturgique, dont la synagogue se servait régulièrement dans les assemblées religieuses. Tout le monde en admet l’authenticité, entendue dans ce sens.
Tous les Psaumes, à l’exception de trente-quatre en hébreu (vingt dans la Vulgate), ont un titre qui nous fait connaître soit leur auteur, soit leur nature et la manière dont ils devaient être chantés, soit la circonstance historique dans laquelle ils ont été composés, soit toutes ces choses à la fois. Ce titre n’est pas toujours absolument semblable dans le texte hébreu et dans les Septante ou la Vulgate.
L’autorité des inscriptions placées en tête des Psaumes n’est pas acceptée par tous les critiques. L’absence de titre dans plusieurs psaumes est au moins une présomption en faveur de la valeur des titres qu’on lit en tête des autres, car il faut qu’on ait eu des motifs sérieux d’en donner aux uns, sans en donner à tous.
Quelques Pères ont attribués tous les Psaumes à David, mais le style, le contenu et les titres mêmes de ces chants sacrés nous apprennent qu’ils sont d’auteurs et d’époques diverses, comme le reconnaît expressément le Talmud.
David est le principal et le plus grand poète lyrique d’Israël. Ses chants se distinguent par la douceur, la tendresse, la grâce et la profondeur du sentiment. Sa note est ordinairement plaintive : plusieurs de ses chants commencent par une sombre peinture de sa désolation et de ses souffrances, mais ils se terminent par d’admirables élans de confiance en Dieu. Son amour pour Dieu et pour le tabernacle où il réside éclate en transports qui s’élèvent parfois jusqu’au sublime, comme dans le Psaume 17. Il a composé la moitié des Psaumes que nous possédons et il mérite bien le nom de Psalmiste qui lui est donné par excellence.
Les titres des Psaumes en attribuent douze à Asaph. Quelques-uns d’entre eux sont d’excellents poèmes didactiques. Asaph était un des principaux musiciens de David. Tous les Psaumes qui portent son nom ne sont pas de lui, mais de l’un de ses descendants ou bien d’un autre Psalmiste qui s’appelait comme lui.
Onze des plus beaux psaumes sont attribués aux enfants de Coré. L’auteur n’est pas désigné individuellement, excepté dans le Psaume 87, œuvre d’Héman l’Ezrahite.
Le Psaume 88 a pour auteur Ethan l’Ezrahite, un des chantres de David, comme Héman.
Divers autres auteurs ont également composé des Psaumes.
Le plus ancien des Psaumes, le Psaume 89, est de Moïse ; les plus récents sont du temps d’Esdras. La plupart, ayant David pour auteur, datent du XIe siècle avant notre ère. Quelques-uns de ceux qui portent le nom d’Asaph et des enfants de Coré, à plus forte raison les anonymes, sont d’époque incertaine. La plus grande partie des Psaumes graduels, du Psaume 119 au Psaume 133, sont postérieurs à la captivité. Les Psaumes 146 à 150 ont été probablement composés pour la fête de la restauration des murs de Jérusalem, du temps de Néhémie. Rien ne prouve qu’aucun de nos Psaumes ait été composé après cette date et qu’il en existe du temps des Machabées.
Le premier des cinq livres des Psaumes, qui est exclusivement davidique, a été probablement formé par le saint roi lui-même. Le second, en partie davidique, en partie lévitique, a été compilé, d’après plusieurs critiques, du temps d’Ezéchias. Nous ne pouvons dire à quelle époque ont été faites les collections des chants renfermés dans les livres III et IV, mais c’est certainement avant Esdras. C’est Esdras lui-même qui a vraisemblablement recueilli les Psaumes réunis dans le livre V.
Le sujet ordinaire des Psaumes est Dieu et l’homme en face de Dieu : Dieu dans sa grandeur, sa bonté, sa miséricorde, ses bienfaits, sa justice ; l’homme dans sa faiblesse, sa petitesse, sa misère, ses infidélités et le besoin qu’il a du secours de son Créateur.
Le premier mouvement du Psalmiste le porte toujours vers Dieu. Non seulement Dieu occupe la plus large place dans ces chants ; mais sur cent cinquante qui composent la collection, il n’y en a que dix-sept où il ne soit pas nommé dès le premier verset. L’union habituelle et la plus intime avec Dieu, tel est le caractère le plus saillant des Psaumes.
Après Dieu, c’est de l’homme surtout qu’il est question dans la poésie lyrique des Hébreux, non pas de l’individu en particulier, mais de l’homme en général. David ne parle pas seulement en son nom ; il parle au nom de l’humanité entière, et lorsque l’univers chrétien chante les vers du poète hébreu, comme exprimant ses propres sentiments et ses propres pensées, il ne fait que s’approprier ce qui a été fait pour lui. Quoique l’auteur ait souvent composés ses cantiques à l’occasion d’événements particuliers, il n’en a pas moins franchi les bornes étroites de l’horizon de la Palestine : jusque dans les Psaumes les plus personnels, il a parlé au nom de tous. Quand il célèbre sa victoire sur Goliath, voir Psaume 143, il ne dit point à Dieu :
Que suis-je, ô Seigneur, pour que tu penses à moi ?
Mais s’élevant bien au-dessus de sa personnalité, il s’écrie : Ô Seigneur ! qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, Le fils de l’homme, pour que tu t’occupes de lui ? L’homme, qui est semblable à un souffle, Dont les jours sont comme l’ombre qui passe.
Psaumes, 143, 3-4.
Cette largeur de conception et de vues est d’autant plus frappante, que la langue dont il se sert plus rebelle aux généralisations. Les idées générales et abstraites semblent ne pas exister pour la langue hébraïque, mais le génie du Psalmiste sait lui donner ce qui lui semble ; il oppose sans cesse dans ses chants la petitesse et la misère de l’homme à la grandeur et à la perfection de Dieu :
Quand je regarde ton ciel, l’œuvre de tes doigts,
La lune et les étoiles que tu as faites,
Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui,
Le fils de l’homme, pour que tu prennes soin de lui ?
Psaumes, 8, 4-5.
Ces admirables vers, que nous lions dans le Psaume 8, l’un des poèmes les plus achevés et les plus parfaits qui existent dans aucune littérature ancienne ou moderne, nous les retrouvons sous une autre forme dans plusieurs autres passages de nos chants sacrés, où la créature est mise également en contraste avec son Créateur.
Mais le Psalmiste ne se contente pas de parler ainsi de l’homme en général, il étend plus loin ses généralisations. Quand il demande à Dieu de juger et de punir ses ennemis, sa pensée, d’un vol hardi, enveloppe dans sa prière tous les peuples qui font la guerre au Seigneur. Il veut se venger des Philistins, et il réclame de Dieu l’abaissement, non pas seulement des habitants de Geth, mais de tous les Gentils :
Echapperont-ils [au châtiment] de leurs crimes ?
Dans ta colère, ô Dieu, terrasse les Gentils.
Psaumes, 55, 8.
Dans les chants de David, le juste et le pécheur, le bon et le méchant, le grand et le petit, le riche et le pauvre deviennent ainsi des caractères généraux, et c’est de la sorte qu’il développe et agrandit le champ de la poésie gnomique qui devait prendre un si grand élan sous son fils Salomon.
Un autre caractère des Psaumes, très important à noter, c’est que l’homme qui est placé en face de Dieu dans ces chants sacrés est très souvent le Dieu-Homme, le Messie, représentant de l’Humanité auprès de son Père ; leur auteur parle presque toujours au nom de Jésus-Christ, ou au moins en termes qu’on peut lui appliquer. Dieu, en faisant du Psalmiste l’interprète des sentiments de l’humanité, l’a fait par là même l’interprète des sentiments de son Fils, qui est le second Adam, l’homme par excellence ; c’est ainsi que le cri de David s’est trouvé tout à fois le cri par excellence du Messie et de la nature humaine.
« Celui qui sait combien il y a de flots dans la mer et combien de larmes dans l’œil de l’homme ; celui qui voit les soupirs du cœur quand ils ne sont pas encore, et qui les entend encore, quand ils ne sont plus ; celui-là seul pourrait dire combien de pieux mouvements, combien de vibrations célestes a produit et produira dans les âmes le retentissement de ces merveilleux accords, de ces cantiques prédestinés, lus, médités, chantés à toutes les heures du jour et de la nuit, sur tous les points de la vallée des larmes. Ces psaumes de David sont comme une harpe mystique suspendue aux murs de la vraie Sion. Sous le souffle de l’esprit de Dieu, elle rend des gémissements infinis, qui, roulant d’écho en écho, d’âme en âme, réveillant dans chacune d’elles un son qui s’unit au chant sacré, se répandent, se prolongent et s’élèvent comme l’universelle voix du repentir. » (Mgr GERBET.)
« [David] est le premier des poètes du sentiment, dit Lamartine ; c’est le roi des lyriques. Jamais la fibre humaine n’a résonné d’accords si intimes, si pénétrants et si graves ! jamais la pensée du poète ne s’est adressée si haut et n’a crié si juste ! jamais l’âme de l’homme ne s’est répandue devant l’homme et devant Dieu en expressions et en sentiments si tendres, si sympathiques et si déchirants ! Tous les gémissements les plus secrets du cœur humain ont trouvé leurs voix et leurs notes sur les lèvres et sur la harpe de cet homme ! et si l’on remonte à l’époque reculée où de tels chants retentissaient sur la terre ; si l’on pense qu’alors la poésie lyrique des nations les plus cultivées ne chantait que le vin, l’amour, le sang, et les victoires des Muses et des coursiers dans les jeux de l’Elide, on est saisi d’un profond étonnement aux accents mystiques du roi-prophète, qui parle au Dieu créateur comme un ami à son ami, qui comprend et loue ses merveilles, qui admire ses justices, qui implore ses miséricordes, et semble un écho anticipé de la poésie évangélique, répétant les douces paroles du Christ avant de les avoir entendues. [Personne ne peut] refuser au poète-roi une inspiration qui ne fut donnée à aucun autre homme ! Lisez de l’Horace ou de Pindare après un psaume ! Pour moi, je ne le peux plus ! »
« David est le prince de la prière et le théologien de l’Ancien Testament, dit Lacordaire. C’est avec ses Psaumes que prie l’Eglise universelle, et elle trouve dans cette prière, outre la tendresse du cœur et la magnificence de la poésie, les enseignements d’une foi qui a tout su du Dieu de la création, et tout prévu du Dieu de la rédemption. Le Psautier était le manuel de la piété de nos pères ; on le voyait sur la table du pauvre comme sur le prie-Dieu des rois. Il est encore aujourd’hui, dans la main du prêtre, le trésor où il puise les aspirations qui le conduisent à l’autel, l’arche qui l’accompagne aux périls du monde, comme au désert de la méditation.
Nul autre que David n’a mieux prié ; nul autre, préparé par plus de malheurs et plus de gloire, par plus de vicissitudes et plus de paix, n’a mieux chanté la foi de tous les âges, et mieux pleuré les fautes de tous les hommes. Il est le père de l’harmonie surnaturelle, le musicien de l’éternité dans les tristesses du temps, et sa voix se prête à qui la veut pour gémir, pour invoquer, pour intercéder, pour louer, pour adorer… Empruntez cette voix dont l’Eglise a fait la sienne, et qui, depuis trois mille ans, porte aux anges les soupirs et la joie des saints… Il n’y a pas dans la vie de l’homme un péril, une joie, une amertume, un abattement, une ardeur, pas un nuage et pas un soleil qui ne soient en David, et que sa harpe n’émeuve pour en faire un don de Dieu et un souffle d’immortalité (Sur le caractère de la poésie hébraïque, voir la note 19 à la fin du volume (appendices)). »