Observations préliminaires
Ces observations ont pour but de nous faire éviter, dans les notes explicatives du texte sacré, une foule de redites qui, sans elles, seraient absolument inévitables, et qui ne pourraient manquer de fatiguer le lecteur.
1° Quand le Psalmiste lance des malédictions et des imprécations contre ses ennemis, quand il demande à Dieu de les punir et de les faire périr avec toute leur postérité, il n’est nullement animé de l’esprit de vengeance ; car : 1° S’il eût été, comme on le suppose un homme haineux, emporté et vindicatif, aurait-il épargne Saül, qui machinait sa perte ? aurait-il vengé et pleuré amèrement sa mort ? aurait-il vengé aussi celle d’Isboseth, et recherché dans tout Israël quelqu'un de la famille de ce prince, son ennemi déclaré, pour le combler de bienfaits ? Aurait-il pardonné si généreusement à Séméi, qui l’avait outragé de la manière la plus atroce ? Ainsi on a toute raison de penser que ces imprécations ne procédaient pas d’un sentiment de vengeance, mais d’un grand zèle pour la gloire de Dieu que ses ennemis outrageaient. Fallût-il une nouvelle preuve de notre assertion, nous la trouverions dans ces deux passages des
Psaumes mêmes : « Est-ce que je ne haïssais pas, Seigneur, ceux qui vous haïssent, et à la vue de vos ennemis, ne séchais-je point de douleur ? je les haïssais d’une haine entière (voir
Psaumes, 138, 21-22)… Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en avaient fait, que je tombe sans défense devant mes ennemis, je l’ai mérité. Que l’ennemi poursuive mon âme, qu’il l’atteigne, qu’il me foule vivant contre terre et qu’il ensevelisse ma gloire dans la poussière. » (Voir
Psaumes, 7, 5-6.)
2° Saint Chrysostome et saint Augustin, suivis de plusieurs interprètes, pensent que ces imprécations ne sont pas réelles, mais qu’elles n’expriment que de simples prophéties énoncées dans la forme imprécatoire. Il est certain que quelques-unes au moins peuvent très bien s’expliquer de cette manière. Un cœur si bon, une âme aussi généreuse, ne peut avoir formé ces désirs de vengeance ; c’est une prédiction que lui suggère l’Esprit-Saint dont il est animé ; le même Dieu qui l’associera un jour à son jugement veut bien avancer à son égard l’exercice de ce pouvoir, en le chargeant d’annoncer de sa part les arrêts de sa justice contre les méchants.
3° Plusieurs de ces imprécations ne sont que conditionnelles, et ne renferment le souhait d’un mal qu’autant que le coupable ne se corrigera pas, mais qu’il persévérera dans son iniquité.
4° Les maux que paraît souhaiter le Psalmiste n’ont pas pour objet la ruine personnelle du pécheur, mais se rapportent quelquefois à sa propre correction : « Remplissez leurs faces d’ignominie, et ils chercheront votre nom, Seigneur. » (voir
Psaumes, 82, 17.) D’autres fois ils se rapportent au bien général de la religion et de la société. Le prophète, brûlant de zèle pour la gloire de Dieu, craignait que si la prospérité et les persécutions des méchants persévéraient, les justes ne fussent découragés, l’honneur de Dieu ne fût compromis et la religion ne souffrît un notable dommage ; ce qui paraîtra évident à quiconque jettera un simple coup d’œil sur les prophéties de Malachie. Le Psalmiste demande donc à Dieu que par sa puissance il veuille bien réprimer les efforts des méchants. Or, c’est ce que demande l’Eglise chrétienne elle-même, quand elle prie contre ses persécuteurs et quand elle ordonne des prières contre les ennemis de l’Etat. Il faut encore bien remarquer que les ennemis de David ne s’attaquaient pas à lui personnellement, mais à Dieu qui l’avait établi dans sa théocratie, et dont il était le vice-gérant, et à tout le peuple hébreu dont il était le chef. Ainsi, sans faire attention à ses injures particulières, dont il était disposé à pardonner, il considérait dans ses persécutions l’homme de Dieu, dont il tenait la place, et le bien de l’Etat dont il était le roi. Ainsi, ce n’était pas le sentiment d’une vengeance particulière, mais par le zèle de la gloire de Dieu qu’il désirait l’humiliation et l’extermination de ses ennemis.
5° Le prophète ne parle pas en son nom propre, mais au nom de Dieu qui l’inspire et dont il est l’organe. Or répugne-t-il aux attributs de Dieu qu’il souhaite de tirer vengeance de tout homme qui refuse opiniâtrement de se soumettre à sa volonté ? Ce désir n’est-il pas lié avec l’amour de l’ordre et de la justice dont il ne saurait se départir ? Mais, si ces sentiments peuvent se supposer en Dieu, pourquoi paraîtraient-ils choquants dans celui qui n’est que son interprète, qui ne fait que déclarer au dehors ce qu’il lui révèle au-dedans ? N’oublions pas que les saints prophètes eurent aussi les sentiments de Dieu même. Plus ils sont remplis de son amour, plus ils haïssent et détestent tous les crimes qui attaquent sa sainteté infinie ; et Dieu leur découvrant par sa lumière divine l’endurcissement et l’impénitence des méchants, et la résolution infiniment juste où il est de les punir, ils entrent dans les sentiments de sa justice vengeresse, ils les approuvent et désirent la punition des coupables, mais ils désirent comme Dieu lui-même, c’est-à-dire sans passion, sans mouvement de haine, sans emportement de colère, par le seul amour de l’ordre et de la justice éternelle.
6° Enfin, il faut se rappeler que ces imprécations sont exprimés dans un style poétique, style beaucoup plus véhément et plus hyperbolique chez les Orientaux qu’il ne l’est parmi nous, dont l’imagination infiniment plus froide et plus calme ne se permet pas toutes ces exagérations.
II. L’Ecriture, comme l’a remarqué saint Augustin, a une langue particulière, et ceux qui n’en ont as appris les règles, ne pouvant l’entendre qu’avec beaucoup de peine, se trouvent embarrassés quand ils veulent l’expliquer : Scriptura nostra quomodo loquitur, sic intelligenda est : habet linguam suam ; quicumque hanc linguam nescit, turbatur (Tract. X in Joan., c. II). En effet, les écrivains sacrés étant originairement hébreux ou hellénistes, c’est-à-dire Grecs hébraïsants, nous ont transmis les Livres saints avec toutes les locutions et toutes les expressions propres à la langue hébraïque. D’un autre côté, ceux qui les ont traduits de l’hébreu en grec, ou du grec en latin, n’ont presque rien changé à ces idiotismes. De là ces hébraïsmes et ces hellénismes sans nombre, qui arrêtent presque à chaque pas le lecteur étranger à la connaissance de la langue sainte. La Vulgate latine surtout, qui est assez ordinairement imite avec fidélité la concision du texte original, devient souvent par là même inintelligible, principalement dans le livre des Psaumes. Aussi est-ce pour faire mieux comprendre le sens de cette version à ceux de nos lecteurs qui n’ont aucune connaissance de la langue hébraïque, que nous signalons ici les hébraïsmes principaux, les mêmes que saint Augustin regardait comme si nécessaires pour bien entendre l’Ecriture, qu’il exhortait tous ceux qui l’étudiaient, à les apprendre et à se les rendre familiers (De Doct. Christ., lib. III). Par ce moyen d’ailleurs, nous serons dispensés de les expliquer dans les nombreux passages où ils se rencontrent. Or parmi ces idiotismes de la langue sacrée, les uns regardent plus particulièrement les noms, soit substantifs, soit adjectifs, soit pronoms, les autres les verbes, d’autres enfin les particules, c’est-à-dire l’adverbe, la préposition, la conjonction et l’interjection.
1° Les Hébreux, n’ayant point dans leur langue de genre neutre, le remplacent le plus ordinairement par le féminin. Or l’auteur de la Vulgate se conforme quelquefois à cet hébraïsme. ― Les noms abstraits se mettent très souvent pour les concrets. ― La répétition d’un même substantif au même cas, avec ou sans la conjonction et, indique ordinairement ou l’universalité, ou un grand nombre, une multitude, ou une différence, une diversité dans l’espèce, ou enfin la vivacité du sentiment de celui qui parle. L’ensemble du discours fait distinguer facilement, dans chaque phrase, quel est celui de ces divers sens qui lui est propre. Mais, quand le substantif répété est mis la seconde fois au génitif, il tient lieu de superlatif, comme on va le voir un peu plus bas. ― Les adjectifs sont souvent remplacés par un substantif précédé d’une préposition. ― Les adjectifs qui indiquent une possession, une manière d’être, une habitude, et qui dans nos langues modernes sont pour la plupart dérivés du substantif dont ils indiquent la possession, se trouvent quelquefois remplacés par les mots fils, homme (filius, vir). ― Le positif se met souvent pour le comparatif ; mais alors ce positif est suivi de la particule quàm. ― Le comparatif s’exprime en hébreu par le positif suivi de la particule min, qui signifie plus que (præ) ; mais comme cette particule signifie aussi de (ab, ex), la Vulgate la rend quelquefois dans ce dernier sens, lors même qu’il s’agit d’un comparatif. ― Le superlatif s’exprime ou par les particules beaucoup, excessivement, extrêmement, ajoutées à l’adjectif, ou par un substantif répété et mis, la seconde fois, au génitif, ou enfin par le mot Dieu qu’on joint au substantif ; mais dans ce dernier cas, c’est le superlatif porté à sa plus haute puissance et qui doit se rendre en français par le plus, le plus possible. ― Quant aux nombres, le singulier se met souvent pour le pluriel. ― Les cas se mettent également l’un pour l’autre, sana égard pour la concordance latine. ― Le nominatif se met souvent d’une manière absolue, c’est-à-dire comme détaché de la proposition, quoique son usage propre soit d’en caractériser le sujet. Cet hébraïsme n’est point un pur pléonasme, comme plusieurs l’ont prétendu ; il a pour but d’attirer l’attention principalement sur l’idée exprimée par le nominatif absolu, d’en faire l’objet dominant de la pensée de l’écrivain sacré. Le génitif marque assez souvent ou la fin qu’on se propose, ou l’effet qui est produit, ou le sujet dans lequel ou bien auquel on attribue quelque chose ou enfin la ressemblance. Le datif se met quelquefois pour la préposition contre (adversus, contra), et quelquefois aussi pour de, touchant, au sujet de (de). ― L’accusatif se prend souvent d’une manière adverbiale ; souvent aussi il est remplacé par la préposition dans (in) avec l’ablatif, genre d’hébraïsme qui a pour but de donner l’idée renfermée dans le verbe plus de force et d’énergie. Le vocatif et l’ablatif n’offrant que des idiotismes faciles à comprendre, nous les passons sous silence. ― Tout pronom exprimé, quoiqu’il soit implicitement renfermé dans le verbe, doit être autant que possible rendu dans une traduction, parce qu’il donne au discours une force et une énergie qui disparaîtrait entièrement si on n’en tenait pas compte. Le pronom possessif, qui a le plus ordinairement une signification active, se prend fréquemment dans le sens passif.
2° Lorsqu’un verbe actif, au lie de régir l’accusatif, se joint à son complément par l’intermédiaire d’une préposition, il donne à l’action qu’il exprime une nouvelle force et plus d’énergie. ― Plusieurs verbes qui indiquent une chose comme positive, ne signifient réellement que dire, déclarer, publier cette chose. Quand deux verbes de même temps ou de même mode sont joints ensemble par la conjonction et, le second exprime quelquefois le complément du premier et représente l’infinitif. D’autres fois le premier tient lieu d’un adverbe, ce qui arrive principalement quand ce premier verbe est ajouter (addere, adjicere) ou d’autres qui ont une signification analogue. Quand un même verbe est répété plusieurs fois ou qu’il est joint à un nom ayant le même sens que lui, l’action qu’il exprime devient plus forte et plus énergique, et le nom lui-même répond alors à l’idée de tout à fait, entièrement, absolument, etc. Le parfait s’emploie assez souvent pour le présent dans les choses qui ont coutume de se faire, c’est-à-dire dans les propositions générales dont la vérité ne dépend d’aucune circonstance de temps ; pour le futur, soit dans les prédictions et les promesses prophétiques, où les choses prédites et promises sont envisagées par l’écrivain sacré comme déjà accomplies, ou bien se passant sous ses yeux, soit quand il se trouve dans une proposition dépendante d’une première. ― Le futur s’emploie comme le prétérit pour le présent dans les propositions générales dont la vérité est indépendante de toute circonstance de temps ; pour l’imparfait, et lorsque le verbe renferme implicitement les idées de devoir et de coutume. ― Quand un verbe se trouve construit avec un complément qui ne lui convient pas, ce genre de construction indique qu’un autre verbe auquel appartient le complément est sous-entendu et que celui qui est exprimé réunit la signification de ce verbe sous-entendu et la sienne propre. La nature de la proposition, aussi bien que la construction elle-même, suggèrent facilement à l’esprit la signification du verbe sous-entendu.
3° Les particules avant que, jusqu’à, jusqu’à ce que, ne signifient pas toujours que l’action du verbe qui les précède, finit, se termine au moment où commence celle du verbe qui les suit. La négative non jointe à tout (omnis), signifie pas un, aucun (nullus). La préposition de (ab, ex) a quelquefois le sens de plus que, en comparaison de (plusquàm, præ). Voir ce que nous en avons dit au 1°, au sujet du comparatif.